"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
C’était mieux avant. Tout le monde le sait, certains en font la propagande acharnée, et ça amène à ce que certains groupes prennent une direction totalement anachronique. Il y a deux ans, on avait pu constater par exemple que des groupes comme Nocturnus AD et Sarcasm avaient, dans deux styles certes très différents, pondu des albums complètement hors du temps, qui auraient pu sortir respectivement en 1991 et 1997 qu’on y aurait vu que du feu. Alors certes, dans pas mal de scènes « old-school » qui vont du Heavy au Death, on peut trouver quantité d’autres exemples de formations qui tentent de retrouver l’esprit de certaines époques, mais certains vont parfois loin dans les détails. Et on pourrait même penser que ce virus de l’anachronie et de l’old-school jusqu’au-boutiste va finir par atteindre les plus hautes sphères du Metal. C’est ainsi que lorsque Therion s’est annoncé avec le morceau-titre de son nouvel album Leviathan, qu’on a pu croire qu’il était lui aussi tombé dans une faille spatio-temporelle. Morceau fait essentiellement de chœurs opératiques et d’une ambiance ésotérique, "Leviathan" semble tout droit revenir d’albums comme Vovin (1998) ou Deggial (2000). Ce qui a surpris pas mal de monde mais un groupe comme Therion, qui mange un peu (beaucoup) de pain noir depuis de menues années, serait logiquement tenté par un retour aux sources pour retrouver un peu de peps. Lui qui restait sur un trèèès looong Beloved Antichrist (2018), triple album de plus de trois heures franchement rébarbatif, seulement réservé à ceux qui ont pu accrocher à son concept, et musicalement assez dispensable. Mettant de côté l’improbable album de reprises Les Fleurs Du Mal (2012), le dernier « vrai » album, simple et classique, de Therion remonte à tout de même 11 ans en arrière (Sitra Ahra). Et il n’était pas fameux… Le dernier « bon » album de Therion (qui n’avait pas fait l’unanimité non plus) remonte donc à 14 ans (Gothic Kabbalah) ! Le collectif suédois doit donc vraiment relancer sa carrière peu importe les moyens, lui qui a été au bord de s’arrêter courant de la dernière décennie…
Le line-up ne bouge que très peu, si ce n’est que le groupe n’a pas vraiment de batteur attitré et plutôt que de se positionner derrière le micro, Snowy Shaw s’est ici mis derrière les fûts pour la plupart des morceaux. Au-delà du chef d’orchestre Christofer Johnsson, on retrouve le bassiste Nalle Påhlsson et le guitariste Christian Vidal, ainsi que le duo Lori Lewis - Thomas Vikström (chanteur de Candlemass sur Chapter VI en 1992), tous 4 présents depuis Sitra Ahra. A cette fine équipe s’ajoute de nombreux guests dont on reviendra en détail plus tard (ou pas). Il n’y a donc aucune raison que ça change par rapport à Sitra Ahra ou Beloved Antichrist, mais il est vrai que Therion va tenter de se redynamiser en penchant un tantinet vers de plus anciens albums. Mais le single "Leviathan" et le très sympho "Die Wellen der Zeit" qui a suivi ne sont finalement que peu représentatifs de ce que Therion va proposer sur Leviathan, qui s’annonçait de manière un brin kitsch (avec cette pochette d’un goût discutable et son fameux logo… non pas inimitable mais bien très imitable). "The Leaf on the Oak of Far" démarre l’album sur quelques riffs Heavy gentillets et des vocaux féminins un peu trafiqués, bref rien qui ne soit vraiment typique du Therion époque Vovin et Deggial. Avec un refrain tout en chœurs, c’est du classique, l’ambiance « péplum » étant finalement très retenue, rien à voir avec le côté mystique d’un Vovin. Globalement, Leviathan se situe plutôt parmi Lemuria/Sirius B (notamment sur l’aspect un peu plus « Metal »), Gothic Kabbalah, et malgré tout Sitra Ahra et Beloved Antichrist. Bref, les éléments sont plus à chercher du côté du Therion des années 2000, jusque dans la gestion des chants. Mais c’est vrai qu’on retrouve un petit esprit de la fin des 90’s, désuet ou pertinent, c’est à chacun de se faire son avis. La question a se poser plutôt, c’est est-ce que Leviathan sera un bon album, succédant à Sitra Ahra et Beloved Antichrist qui n’étaient pas loin d’être des purges. J’ai envie de dire oui, au moins comparativement, vous me répondrez que « ce n’était pas bien difficile quand même » et vous aurez raison. D’aucuns diront « mais qui écoute encore Therion en 2021 ? », ce qui n’est pas faux non plus. Mais soit, Therion est bien là et sort un nouvel album, alors…
C’est du pur Metal sympho un brin kitsch qui nous attend, je ne sais pas s’il fallait espérer autre chose de toute façon, à ce titre Therion ne peut que surprendre s’il essaye de sortir un peu des clous. C’est le cas avec le plutôt intéressant "Tuonela", légèrement folklorique avec quelques violons (assurés par Ally de Subway To Sally) et surtout relevé par les vocaux de Marko Hietala (Nightwish, enfin pardon, ex-Nightwish maintenant). D’ailleurs cet album ressemble parfois plus à du Nightwish qu’à du Therion finalement… Il n’y a vraiment rien d’autre à attendre que du Heavy/Sympho facile d’accès, et Therion ne n’est vraiment pas pris la tête, ce qui est à la fois facile et salutaire, surtout après un Beloved Antichrist franchement indigeste. Après son voyage dans le temps avec "Leviathan" et "Die Welle der Zeit", Leviathan se déroule sans chichis, et au moins avec un minimum d’inspiration. Ça commence avec le plus dynamique "Aži Dahāka", court et efficace, et avec même des mélodies à la Vovin. Mais comme toujours, Therion reste un groupe résolument symphonique, et de ce côté il se distingue avec quelques jolis moments. Notamment pour le purement sympho "Nocturnal Light" - lui aussi bardé de quelques ambiances à la Vovin - et surtout le final bien mené "Ten Courts of Diyu", porté par les beaux vocaux de Taida Nazraić du groupe bosnien The Loudest Silence. Pour le reste, ça va peut-être coincer un petit peu. Plus appuyés, "Eye of Algol" et "Psalm of Retribution" sont un peu traînards et dispensables, malgré le côté « péplum » du premier et l’intervention de Mats Levén sur le second. Même chose pour le très mou "El Primer Sol", que les chœurs à l’ancienne ne parviennent pas à faire décoller. Leviathan en devient assez hétérogène sur sa deuxième partie, Johnsson n’est pas allé chercher très loin dans ses compos. Alors qu’avec les 5 premiers morceaux, entre riffs sympathiques, petites originalités et aspirations old-school, il y avait de la matière pour faire quelque chose de complet et qui aurait pu mettre tout le monde d’accord pendant 46 minutes.
Leviathan n’est donc définitivement pas un total retour à la Vovin/Deggial. Les chœurs opératiques sont finalement relativement parcimonieux, laissant la place aux chanteurs principaux comme depuis Gothic Kabbalah. Et ça coince même parfois de ce côté, notamment du côté de certains chants féminins et en particulier celui de Rosalía Sairem sur "Eye of Algol". Et ceci est une réflexion très personnelle, mais je trouve toujours le chant de Thomas Vikström à la limite du supportable, et cela me flingue totalement un morceau comme "Great Marquis of Hell". Ah, si Mats Levén avait gardé le lead, ça aurait pu être autre chose… même si lui aussi ne fait pas l’unanimité. Leviathan ne fera pas l’unanimité, comme Therion tout entier d’ailleurs, qui a du mal à convaincre un auditoire assez large depuis Gothic Kabbalah (que les détracteurs d’époque devraient tout de même reconsidérer quand on voit ce qu’a donné la suite…). Le retour aux sources (à la Vovin, hein, ne parlons pas d’un retour à Theli et encore moins à Beyond Sanctorum), ça ne sera pas pour cette fois malgré les promesses données par les premiers singles et quelques éléments disséminés ici et là. C’est néanmoins le premier album de Therion depuis un bail qui regarde un peu vers son glorieux passé pour tenter de se relancer. Il y avait d’autres choses à tenter, pourquoi pas des ambiances plus originales comme Secret Of The Runes par exemple, mais Therion a choisi de brasser parmi ses albums depuis 2004 pour surfer sur une certaine tradition, tout en poursuivant la carrière chancelante qu’il mène depuis Sitra Ahra. C’était bien essayé, il y a de bons morceaux « Metal » ("The Leaf on the Oak of Far", "Aži Dahāka"), de bons morceaux sympho ("Nocturnal Light", "Ten Courts of Diyu"), de bons morceaux plus singuliers ("Tuonela", l’hyper rétro "Leviathan") ; mais Leviathan est plombé par une deuxième partie d’album globalement poussive, une prod pas énorme non plus, et toujours ces choix de chant discutables alors que le groupe pouvait impressionner à une certaine époque avec ses chœurs dans une musique « Metal ». Une époque révolue… et c’est finalement tout le problème avec Therion maintenant. Leviathan est certes son meilleur album depuis un bon moment, ou son moins pire si vous voyez le verre à moitié vide, mais même si un retour aux sources de Vovin aurait pu fonctionner, son Metal sympho à la lisière d’un certain kitsch est un peu vain. C’est un peu triste et ce qu’il reste de mieux à faire, c’est de se remettre Vovin ou Deggial… voire le culte intemporel du genre qu’est Theli.
Tracklist de Leviathan :
1. The Leaf on the Oak of Far (3:38)
2. Tuonela (4:37)
3. Leviathan (4:01)
4. Die Wellen der Zeit (3:46)
5. Aži Dahāka (3:06)
6. Eye of Algol (4:03)
7. Nocturnal Light (5:37)
8. Great Marquis of Hell (2:36)
9. Psalm of Retribution (5:03)
10. El Primer Sol (3:37)
11. Ten Courts of Diyu (5:29)