Entretien avec Marko Hietala : "Que je rechante avec Tarja signifie beaucoup pour les gens"
Marko Hietala
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
La barbe en double pointe est toujours aussi iconique, le personnage est toujours aussi volubile, prenant son temps pour exprimer les nombreuses idées qui lui passent par la tête : Marko Hietala a beau avoir quitté Nightwish depuis 2021 maintenant, il n'a pas beaucoup changé, à 59 ans déjà. Sa voix si particulière n'a d'ailleurs jamais aussi bien sonné que ces dernières années en live et, en février prochain, il sort son second album solo Roses From The Deep chez Nuclear Blast.
L'occasion de discuter avec Marko, de cet album mais aussi d'autres sujets comme sa santé physique et mentale, ses retrouvailles récentes sur scène avec Tarja... et même des nouvelles de Tarot !
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Bonjour Marko ! Comment vas-tu ? Impatient, j'imagine, que Roses From The Deep soit publié ?
Bien sûr, je suis impatient. Mais je dois dire que, même si bien sûr, nous sortons cet album parce que nous croyons en ces morceaux, les retours de la part de certaines personnes en qui j'ai confiance pour ne pas me frotter la manche sont bons. Je ne suis pas qualifié pour juger mon propre travail, je ne peux pas croire en mon propre jugement autant qu'en celui de quelqu'un qui ne sait pas à quoi s'attendre à l'écoute.
Y a-t-il une personne, ou plusieurs, en particulier, dont tu sais que le jugement est le bon ? Si cette personne te dit « c'est un bon album », alors c'est que l'album est bon ?
Oui, il y a notamment un ami que je peux très clairement croire pour mettre le doigt sur ce qui fait qu'un album « groove » bien ou pas. Et je pense que c'est le cas, plus qu'à l'époque de Pyre Of The Black Heart.
Tu as été dans différents groupes dans ta vie – Nightwish, bien sûr, mais aussi Tarot ; à quel point le processus est-il différent quand tu sors un album en solo ? Je ne crois pas que tu aies tout composé seul...
Non, en effet. Je dis souvent que c'est un processus de groupe, de toute façon. C'était déjà le cas à l'époque de Pyre Of The Black Heart. J'avais plusieurs idées de nom de groupe, mais les gars m'ont dit que si nous sortions ces albums sous mon propre nom, ce serait plus reconnaissable... et, bien sûr, ils ont raison.
Est-ce que c'est frustrant, ou c'est quelque chose que vous acceptez ?
On l'accepte, mais ce n'est pas comme si j'étais le frontman absolu du groupe. C'est ma vision artistique et j'ai un grand rôle, évidemment, mais j'ai avec moi des gars qui ont un sacré paquet d'expérience en termes de musique, qui ont leurs idées et me surprennent même parfois. C'est fructueux, car quand tu as un petit problème, tu sais que tu auras plusieurs solutions et pourra choisir celle qui convient le mieux.
J'ai aussi parfois la sensation que dans certains groupes, quand il y a trop de « cerveaux » et d'égos, toutes les idées doivent être mises sur un pied d'égalité, ce qui surcharge la composition et empêche de trier le bon du mauvais. C'était notamment mon feeling sur le dernier Iron Maiden.
(il hésite) Oui, c'est possible. Mais cela reste un processus très démocratique, car nous ne forçons personne à jouer ce qu'il ne prendrait aucun plaisir à jouer (sourire). Et jusqu'ici, ça marche. Nous avons tous été impliqués, sur les deux albums. (longue pause) Il y a une vraie confiance entre nous, et cela vient aussi du fait que nous dépassons les frontières des genres. Nous avons un groupe très versatile de compositeurs, qui réussissent à amener des identités très variées à nos morceaux tout en réunissant le tout dans un album cohérent. C'est l'ambition de cet album.
Il y a très clairement de nombreux styles sur cet album, du southern rock au symphonique en passant par le metal alternatif assez catchy. Ca aussi, c'est différent : j'imagine que tu peux bien plus te lâcher ici en termes d'influences que dans Tarot et Nightwish !
Oui, ça, c'est une vraie différence ! J'ai aussi rassemblé autour de moi des gens en sachant qu'ils étaient versatiles afin de pouvoir faire ce genre de choses. Alors que je sais bien que si je me mets à table avec les gars de Tarot et que nous décidons de composer, je suis sûr à quasi-100% que ça finira par tomber du côté du heavy metal (sourire). Avec Nightwish, je savais que cela pouvait être à peu près n'importe quoi, car c'est une musique très ambitieuse qui intègre énormément d'éléments, mais je n'avais globalement qu'à enregistrer mes démos et les envoyer à Tuomas Huolopainen, car la musique du groupe a toujours principalement été « sa » vision, et c'est cette dernière qui a fait de Nightwish le groupe à succès qu'il est aujourd'hui.
Tu as une voix particulièrement distinctive, qui permet d'identifier immédiatement que c'est « ton » groupe. J'ai aussi l'impression qu'en live, tu la gères mieux que jamais...
Merci !
Mais je me demandais quelles étaient tes influences, les chanteurs qui t'inspirent, car ton style de chant et ta voix sont si personnelles que c'est difficile de se dire autre chose que « oh, c'est Marko Hietala qui fait du Marko Hietala » (rires).
Quand j'étais gamin, l'album qui m'a vraiment fait étudier tous les textes, c'était le Long Live Rock & Roll de Rainbow, où Ronnie James Dio est plein de feu et de furie, comme un vrai dragon. C'est un bon point de départ (sourire). Bien sûr, j'aime beaucoup Rob Halford, qui a toujours été fantastique surtout dans sa capacité à ar-ti-cu-ler si bien pendant qu'il chante... C'est quelque chose dont je me suis beaucoup inspiré pour mon propre chant (sourire). Sinon, je suis aussi tombé amoureux de la voix de Kate Bush quand j'étais gamin, et j'aime toujours beaucoup son travail.
Ta routine vocale a-t-elle évolué avec les années ?
C'est simplement, disons, l'expérience... Quand tu es un frontman dans un groupe de metal, tu vas être amené à crier très fort, très longtemps... Et sur une tournée entière, tu ne peux plus simplement gérer ça avec la fougue de ta jeunesse (sourire). J'ai donc graduellement appris à faire attention à mon corps, à utiliser quelques techniques pour l'épargner. On l'entend, je crois, je pousse beaucoup moins ma voix que certains jeunes qui en font trop. Ce qui ne veut pas dire que je n'aime pas de temps en temps crier juste très fort (rires).
« If it's too loud, you're too old », disait Lemmy (rires).
Il avait 100% raison !
Je ne t'ai jamais vu en live, mais je suppose que tu joues d'un instrument en même temps que tu chantes en concert ?
Oui, en effet. Nous sommes quatre sur scène... quoique, il y aura un petit changement bientôt : pour notre mini-tournée finlandaise, Noora Louhimo, chanteuse de Battle Beast, nous rejoindra sur scène pour quelques titres. Je pense que nous chanterons « Left on Mars » ensemble. Ce sera très intéressant car même si Noora est vraiment géniale, elle est une chanteuse... très différente de Tarja (rires).
Oh, en effet ! Noora a d'ailleurs un petit côté Halford dans sa voix (rires).
J'ai déjà eu la chance de partager la scène avec elle, et elle est vraiment géniale. J'ai hâte !
J'ai aussi vu des vidéos de toi récemment, notamment lors de tes concerts avec Tarja, où tu n'avais pas ton instrument. Qu'est-ce que tu préfères, avoir plus de liberté et pouvoir bouger sur scène, ou justement, la sécurité de ton instrument et ne pas devoir réfléchir à quoi faire de tes mains ? (rires)
Hmmm... J'aime les deux options, en réalité. J'ai participé à ces sortes de « concerts de Noël » en Finlande, qui est parti de l'idée de quelques ivrognes souhaitant transformer des chants de Noël en morceaux de metal symphonique et remplit désormais des salles à travers le pays...
Raskasta Joulua, c'est bien cela ?
En effet. Dans ce contexte, je suis seulement chanteur. Pendant ce genre de choses, ainsi que toutes mes apparitions en tant que « guest » sur scène, je ne me sens pas vraiment « différent » de quand je joue de la basse. Parfois, le chant est plus simple quand tu ne dois pas te préoccuper de jouer en même temps, bien sûr. Mais je dois dire que j'adore aussi le grondement de la basse (rires). Et quand je n'en joue pas, je dois faire très attention à rester dans le bon rythme, car tu as tendance à aller trop vite ou trop lentement si tu ne te focalises pas sur le rythme de la basse et de la batterie.
Je m'exerce parfois chez moi en passant l'album. Je mets les pistes de basse plus fort et je chante par-dessus sans jouer. Dans l'autre sens, j'essaie aussi de « robotiser » au mieux les parties de basse durant les parties vocales les plus compliquées, de manière à ne pas devoir trop me concentrer sur autre chose que le chant, car c'est tout de même là que l'âme de la musique passe.
Parlons un peu de cet album à venir, Roses From The Deep. Tout d'abord, je tenais à te dire que je préfère la version en finnois de l'album précédent, Pyre Of The Black Heart(plutôt Mustan Sydämen Rovio, du coup, mais je n'allais certainement pas essayer de prononcer ça, nda). Sans en comprendre un mot, elle me touche plus. Je me demandais si tu allais en refaire deux versions cette fois (rires).
Nah ! (rires) Ça n'amenait pas grand chose cette fois. Ce n'était plus aussi novateur. À l'époque, je ne pense pas qu'il y ait eu un seul album fait en anglais et en finnois intégralement. Mais des gens me disaient qu'ils préféraient telle ou telle version d'un morceau... j'ai donc fini par faire l'album dans les deux langues pour qu'ils puissent choisir ce qui leur convenait (sourire). Je ne voyais plus vraiment l'intérêt de le refaire. J'écris toujours en finnois, j'ai d'ailleurs quelques titres prêts pour le futur, qui étaient candidats pour Roses From The Deep mais qui n'ont pas fini dessus... Mais je dois dire que j'apprécie vraiment le fait que nous soyons un si petit pays avec notre propre langue si particulière, ça a un côté presque tribal qui me plaît beaucoup.
Est-ce plus facile, toutefois, d'écrire en finnois ?
Pas spécialement, non. Ce qui compte est de trouver les bonnes premières lignes qui te permettront ensuite de faire couler l'histoire jusqu'à son terme, et ça m'arrive dans les deux langues. J'ai cependant remarqué, déjà sur Pyre Of The Black Heart, qu'écrire sur des choses fort personnelles était parfois plus facile en finnois.
Comme la chanson « The Voice of my Father », par exemple ?
Oui, c'est un exemple. Je l'ai écrite en finnois, mais je me suis aussi rendu compte qu'au moment de traduire en anglais, cela restait assez fluide. Un autre morceau assez personnel comme « For You », je l'ai écrit immédiatement en anglais. Ça se transcrit assez bien de l'un à l'autre, même si parfois, trouver exactement les mots qui ont un impact émotionnel est plus évident en finnois.
Bon... Je ne peux pas faire sans évoquer la chanson avec Tarja, « Left on Mars » (il rit). Tu peux comprendre l'excitation des fans de vous voir collaborer ensemble à nouveau après si longtemps. Ce qui est intéressant, c'est aussi que c'est un type de musique que vous ne faisiez pas ensemble à l'époque, ce n'est pas du Nightwish mais du Marko Hietala. Raconte-nous tout ça...
Tout d'abord, bien sûr, nous avions déjà mis les choses à plat en 2017 quand nous avions tourné ensemble. Les choses allaient bien depuis. Mais récemment, j'avais écrit cette chanson et mon guitariste, Tuomas Wäinölä, m'a fait remarquer que ce devrait être un duo. Ce morceau, c'était « Left on Mars », est dédié à ma femme, en forme d'hommage et de marque d'amour et de respect pour son inimaginable patience vis-à-vis de moi.
Et à la même période, donc, nous avions été bookés à un concert sur la même affiche, en Suisse, avec Tarja. Elle m'avait contacté pour savoir si je serais intéressé à l'idée de chanter « Phantom of the Opera » avec elle sur scène, pour la première fois depuis 18 ans. J'étais très enthousiaste, bien sûr. Et comme nous étions déjà en contact et que j'avais besoin d'une chanteuse... c'était assez évident (rires). J'ai dit à Tuomas : « Bon, j'imagine que je devrais lui envoyer un message » ; « Oui, tu devrais » (rires). Je ne me rappelle plus des termes, mais elle a rapidement dit qu'elle était intéressée. Nous avons alors joué « Phantom of the Opera », et ça m'a ouvert les yeux. L'atmosphère était à couper au couteau, nous avions rendu tellement de gens heureux en étant simplement sur scène ensemble. C'est pour ça que tu vas sur scène, c'est pour procurer des émotions aux gens. Et là, nous avons eu cette sensation que ce que nous faisions signifiait beaucoup.
La semaine suivante, Tarja m'a répondu en disant qu'elle appréciait la chanson. Inutile de dire que nous avons immédiatement compris que ce morceau devait être le premier sur lequel nous devions travailler, faire un clip, car j'avais pu constater qu'énormément de gens attendaient ça avec impatience.
Cela dit, ça doit être facile de travailler avec une chanteuse comme Tarja. Tu peux lui envoyer à peu près n'importe quoi, et tu sais qu'elle fera sonner ça parfaitement...
Je devais tout de même être sûr que la tonalité vocale soit la bonne, et par moments, c'était un peu bas. Nous avons donc corrigé un peu ça en réécrivant les harmonies ensemble. Sur la démo que j'ai envoyé, je chantais la plupart des parties, mais nous avions fourni une bonne base de travail pour Tarja.
Nous n'avons plus beaucoup de temps et je voulais parler d'un sujet en particulier avec toi. Il y a quelques années, tu as ressenti le besoin de prendre du recul vis-à-vis de la musique ; tu as quitté Nightwish, mais pas seulement. Il faut dire que tu as eu des années très chargées, avec plusieurs groupes, avec ce passage dans Masked Singer (il rit). Penses-tu que tu en as trop fait à l'époque, et prévois-tu de réduire la voilure à l'avenir ?
Absolument. Déjà à l'époque de Pyre Of A Black Heart, je m'accrochais de justesse, je ne tenais qu'à un fil et j'étais trop têtu pour admettre que j'étais cassé. Et ce processus de fracture a continué, je luttais contre l'inévitable. Au final, j'ai réalisé que je devais tout plaquer. Pas seulement Nightwish : j'ai quitté ma maison en Finlande pour m'installer en Espagne, dans un petit village qui n'est vivant que l'été. En hiver, je me promenais seul en chantant du Black Sabbath dans le vent (sourire), en réfléchissant à comment me remettre en selle. Et au final, c'est arrivé assez vite. J'ai été diagnostiqué dépressif il y a déjà 20 ans, mais il ne m'était jamais venu à l'esprit que cela pourrait être un effet secondaire d'un TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité, ou ADHD en anglais, nda). Quand tu en souffres, tu te sens un peu à part depuis ton enfance, et c'était mon cas. C'est très commun de souffrir de dépression quand tu as un TDAH.
Et donc, le fait que tu étais... littéralement hyperactif, impliqué dans beaucoup trop de choses, c'était aussi lié à ce TDAH.
Bien sûr, tu enterres tout ça derrière l'activité. J'ai toujours été très énergétique. Même si je ne m'intéresse pas à tout, quand je suis intéressé, je me donne à 100% !
Pour conclure, quels sont tes projets futurs ? Ton album solo, ta tournée, bien sûr... Northern Kings, ton projet avec Tony Kakko (Sonata Arctica), Jarkko Ahola (Teräsbetoni) et JP Leppalüoto (Charon), existe toujours ?
Pas vraiment, disons plutôt que c'est quelque chose qui se réunit de temps en temps quand nous sommes tous libres, et nous sommes des gens très occupés (rires). Cela arrivera bien un jour ou l'autre.
Et enfin, avec Tarot, avez-vous quelque chose de prévu ?
Nous avons décidé de nous réunir l'été prochain, oui, afin de voir si nous n'aurions pas quelques vieux riffs qui pourraient inspirer des morceaux à publier (sourire).
Super nouvelle. Merci pour ton temps, Marko, et bonne chance pour la sortie de l'album et la tournée à venir.
Merci à Marko Hietala pour cette interview, ainsi qu'à Nuclear Blast et à Valérie pour l'opportunité. Roses From The Deep sort le 7 février 2025 chez Nuclear Blast.