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Il n’y a de dieu que s’il y a présence de diable…Sitra Ahra…le mal nous recouvre…peu à peu…inexorablement…
Ambitieux. Grand. Décadent. L’histoire de la kabbale…qu’elle soit chrétienne ou judaïque, est devenue le point de départ d’un concept suivant les traces du diptyque "Lemuria"-"Sirius B". Les suédois de Therion avaient mis le monde à leurs pieds après un duo d’albums qui semblaient annoncés l’apogée de toute une vision de la musique. A des années lumières du death des débuts ou de la musique éthérée et opera d’un "Vovin", Therion créait (avec Nightwish) le métal symphonique à tendance lyrique le plus grandiose et imposant qu’il soit…la continuité est en marche aujourd’hui…
"Sitra Ahra"…symbolique de la négativité de la divinité, il est l’image de la propension de la vie à forcément exister en tant que dualité. La splendide création visuelle servant de support à ce quatorzième album dévoile donc cette idée. Le bénitier représentant le big bang…l’homme et la femme traçant leur route à travers les Sephiroth…la vie prenant forme…grande et majestueuse.
Si le concept, foncièrement ésotérique et éminemment complexe, n’est en soi pas une surprise (tout en pensant qu’il établit le lien entre "Sirius B" et "Gothic Kabbalah"), savoir ce qu’allait nous réserver Therion aujourd’hui musicalement était tout aussi excitant. Le virage rock prog 70s du double album précédent avait certes décontenancé au départ, mais s’était rapidement transformé en l’énorme succès que l’on lui connait aujourd’hui. La richesse musicale, ainsi que la sensibilité exacerbée du disque avait réussi à prendre le pas sur une grandeur certes toujours présente mais à un degré moindre.
Il semble temps aujourd’hui de rallier ces deux facettes…
"Sitra Ahra" retrouve donc une forme clairement plus agressive et marque un retour plus métal dans un opus foncièrement plus brut et solennel. Si l’orchestre est évidemment toujours présent, la présence d’une véritable chorale apporte une nouvelle dimension à la musique, à l’instar d’une cérémonie incantatoire et occulte. Logiquement plus sombre, le disque prend également une teinte plus possessive et écrasante. Très varié mais gardant une nouvelle fois une forte cohérence, "Sitra Ahra" se veut globalement très spirituel, profond, recherché, à la richesse sonore incroyable demandant des dizaines d’écoutes avant d’en récolter les trésors.
"Unguentum Sabbati", du haut de son ouverture aux chœurs monstrueux d’émotions, dissèque sa structure en un morceau puissant sur lequel le nouveau chanteur, Thomas Vikström, en compagnie de Snowy Shaw (officiellement de retour dans le groupe), excellent en la présence des choristes habituelles du groupe. La multiplicité vocale se transforme en une expression théâtrale saisissante, où se mélangent les cuivres menaçants, les sopranos à l’allure fantomatique et malsaine ainsi qu’une base rythmique rugueuse et directe. La personnalité du groupe se reconnait instantanément. Le morceau éponyme, s’ouvrant magnifiquement sur les vocalises Lori Lewis, installe un climat mélancolique, instauré par une basse sensuelle et un riff minimaliste, où Lori répond à Thomas sur des couplets en question-réponse sublimes. Le refrain, basé sur une harmonie de chorale, se retient en une écoute pour ne plus vous quitter…Therion décide d’ouvrir son album sur un morceau simple, sombre et direct mais témoignant de la vision presque cérémoniale du concept, le chant de Thomas se faisant vicieux…les arrangements renvoyant à "Gothic Kabbalah".
L’image marquante de "Sitra Ahra" résidera en sa capacité à traverser les atmosphères pour entremêler les différents caractères d’un groupe ayant presque tout joué. "Din" renvoie directement au death d’antan. Le riff est vicieux, le growl vomitif, les mélodies constantes…la batterie tisse une toile très dense avant de se refermer sur un blast sauvage surmonté de chœurs pour le moins ahurissants de présence et de grandeur. L’orchestre se fait orageux et noir (évoquons Septic Flesh…), Thomas dévoile ses talents de caméléon en proposant une partie de chant à la limite du suraigu, proprement impressionnante techniquement, avant de se revoir broyer par ce blast jouissif. A l’inverse, "Land of Canaan" redéploye la tension latente et psychédélique de "Gothic Kabbalah", à la basse proéminente, aux chœurs liturgiques dogmatiques ainsi qu’aux arrangements vocaux de Snowy glaçants. L’orgue Hammond, inimitable, dévoile un univers des plus malsains qui s’ouvrira dans de multiples chemins, telle une pieuvre assoiffée. De l’ambiance nostalgique d’un harmonica à l’expression tournoyante évoquant une fête foraine étonnamment glauque, Therion explore en dix minutes les multiples recoins d’une personnalité bien anti-conformiste…
Retrouvant toute son essence sur un "Hellequin" à l’ouverture au cor (ou tuba) porteuuse de frisson, Therion livre un morceau qui, en live, mettra l’entière panel vocal du groupe a contribution tant il est vocalement d’une richesse rare (chaque ligne vocale est en soi une surprise). Si "2012" se veut bien plus lourd, aux guitares massives et aux chœurs annonciateurs d’un chaos à venir, "After The Inquisition: Children Of The Stone" fermera le disque dans une émotion d’une pureté à couper le souffle. D’une profondeur spirituelle touchant aux confins du sublime, aux arrangements au plus près du cœur, une chorale d’enfants apporte une dimension tragique, divine, annonciatrice, glauque…tout est si beau…si pur…si fin…tant que tout ceci semble refléter un monde qui aurait enfin appris à être en paix avec lui-même…ou évoquer les vestiges d’une existence déjà morte…du point de vue angélique. Pendant sept minutes, c’est une prière que nous livre Therion, une litanie venant d’un esprit supérieur et divin…une prière si belle que nous désirions ne jamais quitter le monde qu’il nous offre à travers les images évoquées.
Plus qu’un nouveau chef d’œuvre artistique, "Sitra Ahra" est l’œuvre avant tout d’un chef d’orchestre passionné, monsieur Christofer Johnsson qui, malgré les départs de la quasi-totalité de son groupe, à créer comme il le souhaitait une nouvelle pièce à son image, d’un édifice dont il est l’artisan principal. Therion ne nous livre aujourd’hui plus uniquement de la musique, mais un fragment d’âme, un pan d’ésotérisme, une fraction de spiritualité…dans laquelle la magie est telle que la vision de notre réalité y parait irrévocablement plus pale…
1. Sitra Ahra
2. Kings of Edom
3. Unguentum Sabbati
4. Land of Canaan
5. Hellequin
6. 2012
7. Cu Chulain
8. Kali Yuga III
9. The Shells Are Open
10. Din
11. After the Inquisition : Children of the Stone