Interviews Retour
mardi 4 février 2025

The Night Flight Orchestra ou le deuil dansant : "Cet album est un hommage à David Andersson"

Björn Strid

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Pensait-on encore The Night Flight Orchestra capable de décrocher la lune ? Après deux albums, le diptyque Aeromantics I & II, franchement anecdotiques, et le décès tragique de leur guitariste et compositeur principal David Andersson, on pouvait être pessimiste. Mais du deuil a surgi la renaissance : Give Us The Moon n'est pas seulement un retour en forme, il est le meilleur album de The Night Flight Orchestra depuis Amber Galactic... et si vous nous demandez notre avis, il pourrait bien être leur meilleur tout court. La clef ? Une volonté de surmonter un drame personnel en dansant encore plus fort. On en a parlé, de ça et de bien d'autres choses, avec le toujours excellent Björn "Speed" Strid. 

***

Salut Björn, et bonne année à toi ! Comment vas-tu, alors que la sortie de Give Us The Moon se rapproche (nda : l'album est sorti ce 31 janvier, l'interview a été réalisée début janvier) ?

Bonne année à toi ! Je vais bien, les mois de novembre et décembre ont été assez chargés. Beaucoup d'interviews, la sortie du nouvel album... Je produisais aussi les vocaux sur l'album de The Haunted. Ce début d'année est un peu plus calme, mais il y a énormément d'intérêt autour de Give Us The Moon et j'en suis très content.

Il n'y avait jamais eu autant de temps entre deux albums de Night Flight Orchestra. J'imagine que le décès de David Andersson en 2022 a joué un grand rôle dans ce long intervalle...

Bien sûr. Il nous a fallu du temps pour nous en remettre, pour faire notre deuil, tout simplement. C'était un coup très dur, sur le plan humain, je n'ai pas besoin de le souligner, mais aussi musical, car j'ai lancé ce groupe avec David. C'était un sacré costume à remplir. Mais Rasmus (Ehrnborn) avait déjà remplacé David sur les deux tournées précédentes, quand David était trop malade pour tourner... La transition a donc été «plus facile » de cette manière, en un sens. Et Rasmus fait un travail fantastique sur cet album. Mais bien sûr, il n'empêche que nous voulions vraiment prendre notre temps pour cet album car il allait falloir creuser très profondément en nous, afin de sortir un album dont nous soyons fiers et dont David aurait été fier aussi. Nous voulions sortir le meilleur album de nos vies. Au fur et à mesure, nous avons recommencé à ressentir de la joie dans ce processus à nouveau, nous nous sommes rappelés les bons moments passés avec David dans ce même studio. C'est devenu une célébration, un héritage que nous souhaitions continuer à porter avec nous. L'objectif était que Give Us The Moon soit une explosion de tous ces éléments, et je crois que ça l'est en un sens.

La musique de Night Flight Orchestra est très « positive », lumineuse ; ne serait-ce pas plus simple pour toi d'évacuer tes émotions négatives, cette tristesse, via la musique de Soilwork ?

Les deux groupes sont d'excellentes façons d'évacuer n'importe quel type d'émotions en moi. Ce sont deux groupes très différents et je peux pourtant canaliser n'importe quel type d'émotion à travers les deux, même si bien sûr, sur papier, Night Flight Orchestra a l'air d'un groupe de disco joyeux (sourire). Mais c'est en réalité plus profond que ça, et je crois qu'on a pu le sentir sur Aeromantic I & II, sur le plan des textes. David était déjà mal en point et on peut le ressentir. Nous ne nous fermons jamais aux émotions négatives et à la mélancolie dans NFO, nous voulons juste le faire à notre façon. Cette fois, cependant, nous voulions vraiment faire quelque chose de plus positif, au contraire de Aeromantics. Pour moi, ça a été très thérapeutique. Quelqu'un qui l'écoute sans y penser a peut-être la sensation d'entendre une grosse fiesta qui n'en finit pas, mais il y a différents niveaux d'écoutes (rires). J'ai un peu la sensation d'avoir le meilleur des deux mondes, j'ai Soilwork, j'ai The Night Flight Orchestra, et je peux naviguer entre les deux.

C'est vrai que c'est un cliché récurrent, comme ceux qui connaissent seulement Europe pour "The Final Countdown", de penser que la musique des 80s n'est que de la musique festive et joyeuse alors que certains titres sont bien plus profonds.

Oui, ABBA est aussi un excellent exemple de ça. « Oh, ABBA, le groupe de disco qui a fait « Dancing Queen » ! », mais c'est bien plus que ça, il y a des textes très sombres à certains endroits, même s'ils arrivent à faire en sorte que leur musique sonne toujours aussi entraînante. C'est l'un de nos grands exemples, nous espérons perpétuer cette tradition – même si je ne prétends pas que nous soyons ABBA (sourire). Même si les mélodies paraissent simples, il y a aussi une forme de complexité. Tu peux te dire que ça a l'air simple, mais c'est en réalité très compliqué à faire.

Est-ce que c'est le plus difficile à composer ? Si on compare à Soilwork, on aurait l'impression que les riffs, les soli, même le chant sont beaucoup plus techniques que dans The Night Flight Orchestra. Qu'est-ce qui est le plus « facile » pour toi ?

C'est très différent. Je ne m'assieds de toute façon pas en me disant « allez, je vais composer quelque chose de super complexe aujourd'hui » (rires). Non, ça vient tout seul, et parfois il suffit d'un riff ou d'une mélodie bien trouvée pour que ce soit parfait. Parfois, on sent que non, que le morceau nous emmène ailleurs... Ce qui est très cool avec The Night Flight Orchestra, c'est qu'on peut bouger un peu dans les genres, et rester cohérent. C'était la norme dans les 70s et les 80s, et cela nous a beaucoup inspirés. C'est quelque chose qui s'est perdu. Un groupe pouvait passer de sonorités reggae à quelque chose de plus progressif sans que les gens se posent la question. Je dirais donc qu'avec The Night Flight Orchestra, c'est plus facile de faire « ce que tu veux », tu retomberas plus facilement sur tes pieds.

L'idée de Give Us The Moon était donc d'être plus catchy, plus entraînant ? Car j'ai la sensation que chaque titre est taillé pour le live et pourrait très bien fonctionner en concert...

Merci! C'est en réalité un très grand compliment. L'idée n'était pas forcément de rendre les choses simples, mais que le tout soit plus efficace, sans pour autant qu'on s'en fatigue après cinq écoutes. Il faut aussi qu'on puisse y redécouvrir des choses à chaque écoute.

L'un des plus gros tubes de l'album, à mes oreilles, est « Like the Beating of a Heart ». Il me fait penser à « I Ain't Old, I Ain't Young », l'un de mes titres préférés de Night Flight Orchestra, qui est aussi un énorme tube...

Figure-toi que nous ne jouons presque jamais « I Ain't Old, I Ain't Young » en live ! Je crois que nous ne l'avons jouée qu'une fois. Nous avons essayé, mais pour une raison ou une autre, c'est un morceau dont nous ne parvenons à capter le « feeling » en live. Je ne sais pas comment ça se fait. Il y a quelque chose de si « rêveur » dans ce morceau, je l'adore... Ah, bon sang, j'ai l'impression que nous aurions dû réessayer sur la prochaine tournée mais – spoiler alert – il n'est pas dans la setlist. C'était dans un coin de ma tête mais je n'ai pas insisté. J'aurais dû. Tant pis !

Je ressens une vibe « à la Toto » sur « Cosmic Tide », peut-être que je rêve...

Je ne sais pas, je dirais que Toto est toujours présent, de toute façon. Mais c'est en réalité Sebastian qui m'a envoyé des titres en me demandant si je pensais que nous pourrions les utiliser. Et j'ai retenu « Cosmic Tide » et « Paris Point of View », qui sont formidables. « Cosmic Tide » est l'un des mes favoris, il peut faire penser à du « vieux » Night Flight Orchestra, je dirais.

Est-ce toi qui a écrit le texte de « Paris Point of View » et, donc, décidé de chanter brièvement en français en disant « mais je t'aime » ? (rires)

Sebastian avait des idées pour ce morceau, et son titre de travail était déjà « Paris Point of View », ça a attisé ma curiosité. Le thème était ce couple qui bat de l'aile et décide d'aller à Paris, ville de l'amour, pour rallumer la flamme... et ça s'avère désastreux. L'une des premières lignes de texte est « you wanted châteaus », avec cet homme qui tente une dernière fois de tout régler mais le fait avec cynisme. Je sais d'ailleurs que le pluriel de château ne se prononce pas comme ça, mais tout se passe du point de vue d'un Américain un peu ignorant de la langue française, bien sûr (rires).  Il y a un peu d'humour noir là-dedans aussi, et je me suis dit que le français donnerait quelque chose d'intéressant dans le texte.

Il était temps que Night Flight Orchestra mentionne enfin Paris après avoir placé tant de villes dans vos titres de chanson (rires).

Oh oui !

Es-tu un voyageur dans la vie de tous les jours, ou les tournées intensives sont suffisantes et tu préfères rester chez toi entre celles-ci ?

C'est bien de rester à la maison de temps en temps, oui (sourire). Mais nous voyageons de temps en temps avec ma femme également, nous venons de voyager en Italie. Cela dit, j'ai tendance à éviter les voyages au bout du monde quand je reviens de tournée et à privilégier des trips plus proches. Le fait de voyager a toujours été très « romantisé », alors que bien sûr, le check-in à l'aéroport n'est pas toujours très romantique (rires). Mais ça dégage toujours quelque chose qui fait rêver, et ça s'adapte très bien à notre musique. On adore travailler autour de ce concept. J'ai toujours aimé les groupes qui avaient un thème « total », et nous essayons donc de nous donner à fond là-dedans. Ce n'est qu'une question de budget, car sans ça, il n'y aurait pas de limites à ce que je voudrais faire. Peut-être un 747 sur scène (rires).

Je vous ai vus l'été passé à l'Alcatraz et il faisait une chaleur folle. Ta cape et les costumes d'hôtesse de l'air des vocalistes devaient être invivables (rires). J'ai aussi la sensation que Night Flight Orchestra prend probablement toute sa dimension en salle, avec une ambiance plus festive, «disco »...

Bien sûr, nous prenons vie dans le noir, c'est le mieux pour nous. J'aimerais que nous pourrions choisir nous-mêmes toutes nos salles, car j'aime bien le concept de « An evening with... » plutôt qu'un simple concert, un package plus réduit. Cela nous permettrait de peaufiner notre concept un peu plus. Je suis dans le metal depuis très longtemps, 1995... J'ai donc besoin de sortir un peu des concerts classiques.

On a, au début, parlé de The Night Flight Orchestra comme d'un « side project du chanteur de Soilwork »... Actuellement, je pense qu'on peut dire que c'est bien plus que ça ?

Dans ma tête, ça a toujours été un groupe à part entière. Disons qu'au début, c'était un projet pour le plaisir, afin d'essayer des choses différentes. Puis, à partir d'Amber Galactic (2017), on s'est rendu compte qu'on tenait quelque chose de spécial qui pouvait aller assez loin. Aujourd'hui, c'est à peu près du 50-50. Je me sens très chanceux d'avoir ces deux groupes, de pouvoir passer de l'un à l'autre. C'est assez cool.

Un peu plus tôt, j'ai évoqué les émotions liées à Soilwork et Night Flight Orchestra. Qu'en est-il sur scène ? Est-ce qu'il y a des soirs où tu préférerais peut-être chanter du Soilwork, parce que tu ressens de la frustration qui serait plus facile à exprimer via du death metal ?

Peut-être qu'avec Soilwork, c'est plus simple d'exprimer ta frustration, oui, mais avec NFO, tu peux l'évacuer et t'en débarrasser. C'est une façon différente de le faire.

Tu as mentionné ABBA. La dernière fois que j'étais en Suède, à la Friends Arena de Stockholm, la playlist du stade était 100% suédoise : rien que des tubes venus de Suède. J'ai été tout simplement choqué par le nombre de tubes suédois. ABBA, Europe, Ghost, Ace of Base, Avicii... Sans même parler du metal. Qu'y a-t-il dans l'eau en Suède ? (rires).

J'ai une théorie simple là-dessus... Je dirais que comme les Suédois ne sont, pas disons, réputés pour être très extravertis, nous choisissons de nous exprimer via les mélodies plutôt que par les mots. Je constate aussi qu'en Suède, les gens prêtent moins attention aux textes qu'aux mélodies. Nous nous exprimons par la mélodie, plutôt que par les paroles. Ou alors, je dis de la merde, c'est possible aussi. Mais je me rends compte aussi que par moi-même, quand j'ai une idée, elle me vient sous forme de mélodie, pas de texte au début. Je mets les mots par après sur la musique.

Quel type de musique écoutes-tu principalement chez toi ? De la pop ou du metal ?

Je pars dans tous les sens, vraiment. Mais si j'écoute du metal extrême, c'est généralement vraiment extrême, je dirais. Je ne suis pas vraiment intéressé par... et ça va sonner bizarre (rires), car Soilwork est tout de même caractérisé par ça. Mais je n'aime pas les groupes qui enchaînent un refrain mélodique et des couplets hurlés. C'est rare que j'aime le mélange des deux ces derniers temps. Je préfère du metal extrême qui le soit vraiment.

Enfin, étant donné que l'année 2024 est derrière nous : quelles ont été les sorties de 2024 qui t'ont le plus marqué et que tu as le plus écouté ?

Laisse-moi regarder ma playlist... J'aurais dû être mieux préparé à cette question (rires). Spine, de Myrkur, c'est 2023... l'album de Jessie Ware, c'était l'année passée ? Non. C'est difficile ! Empire Of The Sun a bien sorti un album l'année passée, et je l'ai beaucoup écouté. Hushed & Grim de Mastodon date aussi de l'année d'avant... je crois que j'ai du retard. J'écoute beaucoup de podcasts aussi, je regarde pas mal de sport, du football, du hockey... Et j'écoute des vieilleries. Mais je crois que j'ai raté pas mal de bonnes choses l'année passée.

Nos albums de l'année étaient le Blood Incantation, le Judas Priest...

Je n'ai entendu qu'un passage du Blood Incantation, je crois, mais c'était très bien. Le Priest, très clairement, est dans mes favoris de l'année passée, il est extraordinaire. Et le Tribulation ! Un très bon album aussi. Bon, j'ai quand même écouté quelques albums. Mais c'est difficile d'y repenser spontanément. Je préparerai mieux ça pour les interviews suivantes (rires).

Merci pour ton temps, Björn. J'imagine que 2025 sera consacré à The Night Flight Orchestra, mais peut-on s'attendre à quelque chose concernant Soilwork ?

Nous y pensons, oui. Peut-être quelques dates pour les 20 ans de Stabbing The Drama. Nous verrons !

***

Merci à Björn Strid pour son temps et sa sympathie, ainsi qu'à Anaïs et SLH Agency pour l'opportunité de réaliser cette interview.