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Album

26 avril 2025 - Malice

Ghost

Skeletá

LabelLoma Vista Recordings
styleHard FM/AOR
formatAlbum
paysSuède
sortieavril 2025
La note de
Malice
7/10


Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Qu'un nouvel album de Ghost sorte la veille de l'enterrement du pape François est le genre de coup marketing fumant qu'on imagine Tobias Forge trouver fort cocasse. Car Ghost aussi, bien sûr, a changé de pontife avec la sortie de Skeletá, sixième album qui voit Papa V Perpetua reprendre la mitre. Bon, pour être honnête, le « lore » autour de la lignée des papes et cardinaux créé par Forge m'échappe un peu, mais j'y ai toujours vu un gimmick assez fun, qui ne mange pas de pain et a contribué à créer une esthétique très reconnaissable ; si plus de groupes prenaient le temps de faire ça, on ne s'en plaindrait pas.

Quoi qu'il en soit, Forge (depuis que son anonymat a été rompu, donc) ne s'en est jamais caché : le but de Ghost est de devenir énorme. Pas seulement énorme dans la sphère metal, mais énorme tout court : un groupe de stades, une tête d'affiche de Hellfest. Et pour ça, le « scooby-doom » d'Opus Eponymous a rapidement dû se parer d'autres atours, au grand dam des puristes... dont on se demande quand même s'ils ne manquent pas un peu de lucidité. Dès Infestissumam, Ghost intégrait des influences à la Abba, et malgré le riff à la Slayer de « Cirice », il n'y a guère que le biais de confirmation qui peut faire de Meliora un album « dangereux ». Non, Ghost a toujours été un groupe gentil, popisant, accrocheur. Tobias Forge n'a jamais prétendu être le nouveau King Diamond (et dès Opus Eponymous, j'ai toujours regardé avec des yeux ronds ceux qui voyaient la moindre trace de Mercyful Fate chez Ghost).

***

Maintenant, fallait-il pour autant aller aussi loin que sur Impera et, maintenant, sur ce Skeletá ? Car trêve de suspens : ceux qui ont été enthousiasmés par le single « Satanized », qui avait de faux airs d'Infestissumam et Meliora et ramenait une ambiance occulte bienvenue, vont être un peu déçus. Avec ce 6e album, Ghost va plus loin encore dans son processus de Toto-isation. Et en tant que représentant du kitsch dans cette rédaction, qui a encore passé son vendredi soir à se repasser The Seventh One et Toto IV, loin de moi l'idée de m'en plaindre, mais il faut aussi que ce soit bien fait. « Peacefields » et son refrain rappelant furieusement le « Separate Ways (Worlds Apart) » de Journey, ne lance pas l'album au mieux : c'est probablement l'entrée en matière la plus molle de la carrière de Ghost, et on ne comprend pas trop qu'elle ouvre également les concerts sur la tournée actuelle (je ne parlerai pas ici de la politique « sans téléphone » de Forge, chacun a son avis sur l'initiative).

Heureusement, « Lachryma », déjà révélé en single, réveille un peu tout ça, avec un riff qui rassurera les nostalgiques. Pas pour longtemps : après un pré-refrain magnifique (sur lequel Tobias Forge module de façon surprenante), BAM : le refrain le plus putassier qu'ait jamais sorti Ghost, claviers FM de sortie. Il faut vous y faire : tout ici sera bardé de cet aspect AOR, dépouillé de tout véritable mordant (qu'on retrouvait pourtant encore fréquemment sur Prequelle en 2018, par exemple). En un sens, Forge offre ici son album le plus personnel aussi, un opus qui se veut touchant par moments. Le problème, c'est que les titres les plus dispensables de la carrière de Ghost ont souvent été ces ballades que Forge ne parvient pas à rendre aussi belles qu'elles le devraient, et « Guiding Lights », un peu nunuche, ne fait pas exception à la règle ici.

Là où Forge a toujours été le plus fort, c'est dans la création de refrains et de mélodies accrocheuses, d'atmosphères, et malgré tous ses efforts, Skeletá n'en offre ici que trop sporadiquement : le refrain de « De Profundis Borealis », soutenu par ces lignes de guitare imparables, est une belle réussite, mais il faut se coltiner un morceau un peu bateau avant que ça décolle vraiment. On a en fait l'impression que Ghost ne va parfois... pas assez loin, car c'est quand Forge ose et en fait des tonnes que, à mon grand désarroi, ça marche. Ainsi, ce « Missilia Amori » proprement débile : riff de stade, refrain digne de Bon Jovi (« Love rockets ! Shot right inbetween your eyes ! ») qui se perce une voie dans vos cerveaux, et cette phrase digne de Carlos - « You showed me yours, I'll show you mine » : tu me les as montrés, je te les montrerai ?! Mais on est où là ? C'est le pape ou le papayou ? Bon, vu la tendance de Forge à faire des reprises inattendues, ne lui donnons pas de mauvaises idées.

Et puis, par moments, bien sûr – comme sur Impera pourtant déjà critiqué et critiquable – le génie affleure : « Umbra » est probablement l'un des meilleurs morceaux jamais sortis par Ghost, rien que ça. Tout y est : vraiment, si tout ce que Ghost propose depuis cinq ans au moins vous laisse froid et vous n'avez qu'un titre à écouter pour vous persuader que Forge est encore capable d'éclairs de génie, écoutez ce morceau au refrain magnifique, ce duel guitare-claviers à la Deep Purple... Putain, que c'est fort. Entre ça, « Satanized », « Lachryma » et – salaud - « Missilia Amori », Skeletá a probablement plus de vrais moments forts dans sa besace que son prédécesseur, tout en touchant par moments des fonds un peu plus bas.

Qu'en conclure ? D'abord, que ceux qui ont lâché Ghost quand Papa Emeritus III occupait encore la chaire ne reviendront pas dans le giron du culte de sitôt. Mais autant espérer que le papillon redevienne chenille : si vous ne comprenez pas la direction actuelle du groupe, vous n'en avez probablement jamais compris (ou accepté) l'ambition. Ni les influences très pop, évidentes dès, disons, Infestissumam (2013). Ensuite, quand même, que Forge a par moments oublié – et ça ne date pas de Skeletá – de composer de vrais bons morceaux au milieu de cette débauche putassière et que ça, quand on a un tel talent, c'est difficilement pardonnable. Ça ne ralentira pas la machine, malgré le final poétique de « Excelsis » et ces mots paradoxaux prononcés par Papa... Perpetua : « I am afraid of eternity too ». L'éternité attend Ghost, c'est une certitude.

Tracklist :

1. Peacefields
2. Lachryma
3. Satanized 
4. Guiding Lights
5. De Profundis Borealis
6. Cenotaph
7. Missilia Amori
8. Marks of the Evil One
9. Umbra
10. Excelsis

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