"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Huit ans. Cela fait huit ans que Dimmu Borgir n’avait rien sorti (pour ce qui est des albums purement studio, s’entend). Attente interminable pour les uns, « tant mieux » pour les autres, car Dimmu Borgir est devenu une grosse machine autant adulée que détestée. Le blockbuster du « Black » Sympho est ainsi de retour, avec une carrière qui semble avoir donc pris un rythme à la Rammstein (et encore, eux, il va falloir probablement attendre 10 ans si ce n’est plus encore). La succession d’Abrahadabra est donc en marche, ce qui laisse déjà une question en suspens : que va faire le groupe ? Mettre encore plus de Sympho, refaire du « Black », autre chose ? La réponse sera à la fois simple et compliquée mais d’abord, revenons un peu en arrière. Je dois avouer que pour ma part, Dimmu Borgir peut se targuer de n’avoir jamais sorti de réelle bouse. Jusqu’à Death Cult Armageddon (2003), c’était presque irréprochable, malgré le virage « bombastic » qui a pu en irriter certains. Ensuite, on passe vite fait sur le remake de Stormblåst que j’ai toujours apprécié pour diverses raisons, pour arriver à In Sorte Diaboli (2007), peut-être un peu faible dans l’absolu mais au final plus anecdotique que réellement mauvais (et on y trouve quand même de bonnes compos comme "The Chosen Legacy" ou "The Conspiracy Unfolds"). Avec Abrahadabra (2010), le groupe arrivait à une charnière délicate, ayant dégagé la moitié de son line-up, pour un résultat tout de même satisfaisant, un minimum inspiré et efficace, avec même quelques originalités, pour un effort plus symphonique qui certes était relativement pauvre en termes de « Metal » mais restait cohérent et réussi. Certes, on se situait bien loin de la classe de Puritanical Euphoric Misanthropia ou Death Cult Armageddon. Mais contrairement à Cradle Of Filth qui a pu décevoir (l’étron infâme Thornography (2006) qui a été tout de même été suivi d’une période de regain de forme, même si le fait de sortir un album tous les deux ou trois ans a fini par montrer ses limites), Dimmu Borgir n’est jamais tombé assez bas pour avoir une réelle tache dans sa discographie. Alors les choses vont-elles changer avec Eonian, 10ème album des Norvégiens qui s’est fait sacrément attendre ?
Alors que s’est-il passé en huit ans ? Pas grand-chose, Dimmu Borgir se résume désormais au trio Shagrath-Silenoz-Galder, qui a depuis été complété par le bassiste Victor Brandt (Entombed A.D., Firespawn), et toujours accompagné en studio par le batteur Daray (Masachist, Vesania, ex-Vader) ainsi que le claviériste Gerlioz (God Seed, The Kovenant). Pas de Snowy Shaw, d’Agnete et de Garm cette fois, Dimmu Borgir en reste à l’essentiel. Cependant, un orchestre et un ensemble de chœurs seront de nouveau de la partie. Inutile de dire qu’Eonian sera donc un nouvel album à forte emphase symphonique, tout comme son prédécesseur mais plus encore. De là à dire que Dimmu Borgir va faire un pas vers du Black Sympho Disney, il n’y a qu’un pas justement. Une des premières choses que l’on a remarqué à l’endroit d’Eonian, que ça soit pour le premier single "Interdimensional Summit" où les premières écoutes, c’est que les chœurs sont souvent de la partie, et… prennent même les devants sur les lignes vocales de Shagrath, notamment pour les refrains. Le symphonique se taille donc encore une bonne part du lion et autant dire que si Abrahadabra ne brillait pas par la qualité et la quantité de son « Metal », ça ne sera pas non plus le cas d’Eonian dans l'absolu. Il en résulte un album qui se veut épique mais qui paradoxalement, paraîtra bien vide. On a souvent l’impression d’avoir plus affaire à du Therion qu’à du Dimmu Borgir, et ce sans exagérer ("Interdimensional Summit", "Council of Wolves and Snakes", "Alpha Aeon Omega"… notamment). Et le premier abord de Eonian sera incroyablement décevant pour ne pas dire chiant. Dimmu Borgir semble s’être perdu dans son Metal Sympho gentiment « extrême » et n’arrive pas franchement à captiver, sa mixture est trop longuette, trop répétitive, trop vide. Alors voilà, 25 ans après sa formation, le groupe norvégien est sur le point de pondre sa première vraie bouse.
D’ailleurs dès le début de "The Unveiling" qui démarre l’album par de l’électro et des riffs chelou, on se dit que quelque chose cloche, que Dimmu Borgir essaye d’innover sans parvenir à le faire bien. Les claviers et les chœurs sont très (trop) doux, ça ne décolle pas, le groupe ennuie déjà. Le single "Interdimensional Summit" ne relèvera donc pas l’ensemble, c’est du Dimmu Borgir bien léger auquel nous avons affaire, que ça soit pour les riffs ou les chœurs bien peu palpitants. On trouve tout de même quelques bons leads, preuve que Galder en a encore sous la semelle (dommage d’ailleurs que Old Man’s Child semble avoir splitté alors qu’il n’a lui non plus jamais déçu), mais le Dimmu Borgir version Disney ne convainc pas le moins du monde. Pourtant, au fil des écoutes, on finit par trouver quelques qualités à Eonian, ce qui est presque miraculeux vu la première approche, j’ai même un peu honte de devoir l’avouer sachant que je m’attendais à le défoncer menu. A vrai dire, Dimmu Borgir arrive à mettre un minimum d’inspiration et d’accroches à certains moments de cet album, pour en arriver à un bilan relativement correct. "Ætheric" relève déjà un peu le niveau avec de bonnes mélodies et un beau break en chœurs, même si les riffs sont toujours light et que l’ensemble est vite lassant. C’est surtout le second single "Council of Wolves and Snakes" qui va tirer son épingle du jeu, le côté tribal plus original apporte un plus, les riffs et trémolos sont efficaces (un peu à la manière d’un des morceaux les plus rythmés d’Abrahadabra, "Chess With the Abyss"), les leads sont bons, seuls les passages en chœurs posent problème et c’est un peu aussi le gros souci d’Eonian car ces moments plus sympho se multiplient de trop, souvent sans panache et de manière redondante. Ça sera d’ailleurs la même chose pour "The Empyrean Phoenix" qui s’en tire tout de même avec les honneurs avec des riffs/trémolos satisfaisants, des ambiances là aussi plus originales et toujours des leads bien sentis. Mine de rien, Dimmu Borgir vient ainsi d’enchaîner trois morceaux tout à fait corrects, où le « Metal » est appréciable. Et Eonian pourrait passer vite fait du statut de bouse en puissance à disque tout à fait correct.
Mais les choses se gâtent un tantinet ensuite et le style d’Eonian trouve vite ses vraies limites, déjà décrites plus haut avec un trop-plein de sympho qui n’apporte jamais de plus-value, seul un "Council of Wolves and Snakes" étant vraiment mémorable en se distinguant du reste, assez linéaire. Un "Lightbringer" est alors bofissime à tous les niveaux d’autant plus qu’il se traîne sérieusement en longueur. Idem pour "I Am Sovereign" où l’on frôle même le kitsch sur fond de riffs très légers. "Archaic Correspondance" parvient à relever encore une fois le niveau avec des bonnes compos et même des chœurs convaincants, mais "Alpha Aeon Omega" fait bien vite retomber le soufflé, Dimmu Borgir essaye de repousser ses limites au niveau épique mais ça ne fonctionne pas le moins du monde. Les bonnes compos Metal sont hélas trop rares (même si avec Abrahadabra, ce n’est limite plus dans ce registre qu’on attendait le groupe…), et l’aspect sympho global d’Eonian est assez vain et décevant, pour ne pas dire chiant. Il y à la fois des idées et un manque d’idées, l’ensemble ne suffisant pas pour faire d’Eonian un album de Metal symphonique passionnant, qui se termine d’ailleurs par une outro instrumentale, "Rite of Passage", parfaitement inutile. On aurait pu y croire avec une partie d’album assez réussie, où Dimmu Borgir a mis un minimum d’inspiration dans son œuvre pour pondre des morceaux tout à fait sympathiques, mais ça n’a pas suffi tant le reste de Eonian fait pschiiiiiit. Alors certes, cet album n’est pas une catastrophe absolue, car tout ceci a été travaillé et fignolé c’est certain, mais c’est un album franchement léger, et pas seulement car il n’est pas très violent pour quelque chose d’encore relativement classifiable dans le « Black-Metal » ou au moins le Metal extrême (Shagrath est toujours bien en voix, par exemple). Il subsiste quelques passages, que ça soit strictement Metal ou plus mélodiques, plutôt appréciables, mais après huit ans d’attente, Eonian est bien faiblard, redondant et lassant. Le groupe veut faire du sympho, il n’y a pas de problème à ça mais il faut réussir à emporter son auditoire, faire quelque chose de vraiment classieux et épique, ce que Eonian ne parvient que rarement à faire voire pas du tout, et on s’en remet aux passages plus Metal tout juste corrects dans l’ensemble pour du Dimmu Borgir. C’est bien maigre, et si ce 10ème opus des Norvégiens n’est finalement pas une bouse innommable à la Thornography, c’est facilement son moins bon, ou pire, album.
Tracklist de Eonian :
1. The Unveiling (5:47)
2. Interdimensional Summit (4:39)
3. Ætheric (5:27)
4. Council of Wolves and Snakes (5:19)
5. The Empyrean Phoenix (4:44)
6. Lightbringer (6:06)
7. I Am Sovereign (6:48)
8. Archaic Correspondence (4:55)
9. Alpha Aeon Omega (5:18)
10. Rite of Passage (5:16)