Interviews Retour
mercredi 5 mars 2025

Grima, frères du froid : « Quel meilleur endroit que la Sibérie pour composer du black metal ? »

Vilhelm & Morbius

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Venus des tréfonds de la Sibérie, les surprenants Grima ont pris une sacrée ampleur ces dernières années, jusqu'à être programmés à une belle place sur l'Altar pour la prochaine édition du Hellfest. Leur recette : un black/doom mélancolique et froid, réhaussé d'accordéon – mais aussi une identité visuelle très personnelle qui leur permet de marquer les esprits. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec Gleb et Maxim Sysoev, dits Vilhelm et Morbius, à l'occasion de la sortie de Nightside, 6e album de Grima.

***

Salut Gleb, salut Maxim, merci pour cette interview. Nightside est sorti ce 28 février sur Napalm Records. Ca faisait 3 ans et demi depuis Frostbitten, la plus longue durée entre deux de vos albums. Vous avez été très occupés, il faut dire, avec des tournées, un album d'Ultar...

Gleb : Nous avons pris notre temps pour écrire ces chansons, suffisamment pour être satisfaits du résultat. C'est le plus important pour nous. Et en effet, nous étions en tournée et avons sorti des albums avec Ultar (où Gleb est au chant et Maxim aux guitares) et Second To Sun(Gleb/chant, Maxim/basse). Nous avons aussi tourné de manière assez intense en Europe pour Frostbitten, en Russie également.

C'est votre premier album sur Napalm Records. Ressentez-vous une pression quelconque au moment de sortir un album sur un label plus exposé ?

Gleb : En termes de créativité, il n'y a aucune pression, en tout cas, du moins pas plus qu'avant. Ça a toujours été important pour nous d'être honnêtes avec nous-mêmes sur le plan créatif. Concernant la pression du label ou du public... Disons que nous n'avons jamais fait de grosses conneries jusqu'ici, comme repousser la sortie d'un album, des choses comme ça. Notre travail est assez régulier, à un rythme que nous nous sommes créés nous-mêmes depuis 10 ans.

Pour ceux qui ne le savent pas, vous avez un autre groupe, Ultar, qui tourne souvent avec Grima (nda : Second To Sun est plus « confidentiel » et ne sort pas de Russie). À quel point est-ce difficile de différencier ces deux entités en termes de composition ? Savez-vous immédiatement si une idée qui vous vient en tête est destinée à Grima ou à Ultar... ?

Gleb : Tout d'abord, l'approche est totalement différente en termes de composition. Dans Grima, il y a toujours une collaboration créative entre deux frères – Max et moi – alors que Ultar est le travail collectif de cinq membres. Les mécanismes sont totalement différents, ce qui nous permet aussi de créer des choses totalement différentes.

En termes d'imagerie aussi, c'est très différent. Ultar fait appel à l'univers lovecraftien, là où Grima évoque, si je ne me trompe pas, le folklore sibérien...

Gleb : Nous travaillons avec des archétypes, dans les deux groupes. Des clichés et des archétypes qui existent dans la culture horrifique en général, pas seulement dans la musique mais aussi dans le cinéma. Ces choses inspirent nos deux projets. Ce qui est différent dans Grima, c'est qu'en plus de cela, nous composons et écrivons des textes basés sur un lore que nous inventons en bonne partie, là où Ultar est en effet basé sur Lovecraft.

Comment définiriez-vous le « son » de Grima, son identité ?

Gleb : Grima réunit tout une palette d'éléments qui lui sont vraiment propres par rapport à nos autres groupes, et qui en font l'identité. Ce style est assez unique et dessiné sur base de nombreux éléments, le premier étant les vocaux, le second une approche des guitares très mélodique mais aussi basée sur le metal des 90s. Enfin, tout cela est lié ensemble par un son ambient moderne, que nous créons via des synthétiseurs et des pédales. Voilà, en gros...

Tu ne le prends donc pas mal si je te dis que je trouve Nightside plus accessible et mélodique que tout ce que vous aviez proposé auparavant.

Gleb : Non, clairement, nous souhaitions rendre le son plus profond. Je dirais que l'influence principale, ce que nous rêvions d'accomplir, était de sonner comme sur les derniers albums de Paradise Lost.

L'identité visuelle de Grima, ce sont ces costumes. Pouvez-vous nous expliquer l'origine de ces masques et de manière générale de l'apparence scénique de Grima ?

Maxim (qui était présent depuis le début mais restait silencieux, nda): Les masques sont apparus quand nous avons filmé notre seconde vidéo. Nous avons ensuite décidé d'en développer le thème, de construire l'image du groupe autour d'eux. Nous avons discuté ensemble de cette identité visuelle, on y a travaillé longtemps, conçu les costumes nous-mêmes. Tout le processus créatif est réalisé ensemble. L'idée est d'offrir à notre audience une représentation claire des histoires que nous voulons raconter.

Cela créé une énergie totalement différente en live, où Ultar et Grima sont très différents. J'imagine que bouger sur scène dans ces costumes est un défi !

Gleb : C'est vrai, l'énergie des deux groupes est bien différente. La mobilité sur scène aussi (sourire). Oui, nous avons dû nous habituer à ces costumes et à ces masques, mais avec le temps, ils font partie de nous. C'est devenu un plaisir de nous « transformer » le temps d'un concert.

Où sont les limites, cependant ? Est-ce seulement une question de moyens, iriez-vous beaucoup plus loin dans l'aspect visuel si vous le pouviez ? Lors du tour précédent, il y avait notamment des canons à fausse neige...

Maxim : C'est clair qu'il faut connaître ses limites et savoir où se situe la frontière entre l'impressionnant et le « too much ». Mais il faut aussi se dire qu'en Russie, nos concerts sont différents : nous ne pouvons pas amener tous nos équipements et nos décorations en Europe pour l'instant. Nous avons donné des concerts notamment à Moscou et Saint-Pétersbourg avec bien plus de décors et d'effets spéciaux.

Un autre élément central de la musique de Grima, c'est l'accordéon – plus précisément le bayan – qui lui donne un côté très sinistre. En Europe, l'accordéon est souvent synonyme de musique de pubs ou de musique joyeuse dans les rues, surtout à Paris ! Le bayan est-il un instrument particulier en Sibérie ?

Gleb : Je ne dirais pas que c'est un instrument typique du folklore sibérien. De manière générale, la musique folklorique russe utilise les deux, le bayan et l'accordéon. Ce sont d'assez vieux instruments, mais le but n'est pas forcément de nous « connecter » à la musique et au folklore sibériens pour autant. Nous l'utilisons car nous aimons sa palette variée, les émotions qu'il confère, ses sonorités.

Le seul autre groupe que je connaisse et qui utilise de l'accordéon, assez ironiquement, est aussi russe. Il s'agit de Путь...

Maxim : Oui, mais eux n'utilisent pas un bayan. C'est un accordéon « classique », plus fréquent dans la musique folklorique européenne.

Je me demandais si vous auriez un « bayaniste » en live, mais lors du concert auquel j'ai assisté, c'était samplé. Est-ce par défaut ?

Gleb : Nous voyons cet instrument comme un clavier parmi d'autres, c'est utilisé en background mais nous voulons rester un groupe axé principalement sur les guitares. Avoir du bayan sur scène amènerait un côté « folk » que nous préférons éviter.

Gleb – désolé Maxim, c'est lui qui va encore parler pour un petit temps (rires) – ta voix est l'un des points distinctifs de Grima. Quelles sont tes influences... même si j'ai une idée sur la principale, à savoir Dani Filth !

Gleb : (rires) De manière générale, j'ai toujours aimé les vocalistes capables de produire à la fois des sons en tonalité aiguë et basse. Ce n'est pas fréquent dans le metal, la plupart des chanteurs restent sur la même tonalité. Il y a des groupes qui utilisent ce type de chant : Cradle Of Filth mais aussi Mercyful Fate. Ca a toujours été de grands exemples pour moi.

Vous faites partie des rares groupes russes à tourner en Europe, et ce de manière assez intensive. Avoir signé sur un label tel que Napalm aide-t-il en ce sens ?

Gleb : Tout est géré par Asgaardian Events, en collaboration avec notre manager russe. Actuellement, bien sûr, nous avons un certain soutien de la part de Napalm Records, mais la plupart du travail est effectué par nos agences de touring.

Certains groupes pourraient, dans ces conditions, se relocaliser. Vous êtes toujours situés en Sibérie, à Krasnoïarsk (où ils sont d'ailleurs au moment de l'interview, nda) ; ça doit compliquer les choses car c'est très loin même à l'échelle russe (rires).

Gleb : Quand tu vis en Sibérie, de toute façon, voyager prend longtemps, où que tu ailles. On est habitués, ce genre de conditions ne nous dérange pas. Et si nous vivions dans un environnement différent, nous percevrions le monde et nos vies différemment, ce qui influencerait inévitablement notre musique. Nous voyageons beaucoup, écoutons de nombreux styles de musique... Mais composer du black metal, dans un autre endroit ? Pour nous, ce ne serait pas possible. C'est l'endroit dont nous avons besoin pour notre processus créatif. Et il y a difficilement mieux comme endroit pour composer du black que Krasnoïarsk et la Sibérie (sourire).

J'ai vu Ultar à deux reprises, en octobre dernier en Belgique, et en janvier 2024 à Moscou. Le public black m'a semblé très différent en Russie : plus jeune, plus « à fond dedans », certains avaient du corpsepaint ! Est-ce culturel, peut-être parce que c'est moins « facile » d'aller à des concerts de metal extrême en Russie... ?

Gleb (après une longue réflexion) : La culture metal en Russie est bien plus « jeune » qu'en Europe. Il y a deux visages : le public adulte, qui était invisible dans les 90s mais existait déjà, et un public plus mainstream qui commence à grandir maintenant que le metal devient plus accessible, est devenu une partie intégrante de la « pop culture ». Ca se développe bien plus lentement que dans d'autres pays, et c'est arrivé bien plus tard. On voit bien que récemment, il y a beaucoup plus d'intérêt pour les groupes de metal. C'est aussi vrai que nous n'avons pas beaucoup de concerts en ce moment en raison des circonstances et que ce sont uniquement ceux de groupes russes... Les groupes étrangers ne viennent plus. Qui plus est, pour organiser un bon concert, vous avez besoin d'une bonne salle, de se déplacer... Peu de groupes en ont les moyens ou vont rassembler assez de public pour couvrir les coûts.

Enfin, pour conclure. Vous allez jouer au Hellfest en juin prochain pour la première fois. Sur la même scène que de grands noms, et assez haut sur l'affiche ! J'imagine que vous avez hâte.

Maxim : C'est un grand honneur pour nous de pouvoir nous produire en telle compagnie, vraiment. On va jouer sur la même scène que quelques-uns de nos artistes préférés tels que Deafheaven, Abbath. Ce sera vraiment un honneur de jouer là-bas.

Merci à Napalm Records et Anaïs pour cette interview.