
Le vrai du faux : entretien avec Bartlomiej Krysiuk (Patriarkh, ex-Batushka)
Bart

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Que n'a-t-on pas bien pu écrire sur Batushka et sur le désormais célèbre "schisme" qui a divisé le groupe dans la foulée de leur premier album Litourgiya, sorti il y aura déjà 10 ans cette année. Après des débuts triomphaux et une ascension météoritique jusqu'aux sommets de nombreux festivals européens, la musique est passée au second plan : en 2018, le divorce est consommé et deux versions de Batushka "coexistent" - celui de Krzysztof Drabibowski et celui de Bartlomiej Krysiuk. Qui avait raison, qui avait tort dans cette histoire mesquine ? J'ai toujours eu la sensation que Drabibowski, malgré le soutien de Krysiuk par le label Metal Blade, était dans son bon droit - et musicalement, Panihida, l'album de "son" itération de Batushka,désormais considéré comme le deuxième album officiel du groupe, me parlait bien plus que Hospodi et Maria, ceux publiés par Bart.
La loi a fini par trancher en ce sens : finie, cette "ère des deux Batushka", le Grand Schisme est acté et Bartlomiej Krysiuk est forcé de renommer sa version du groupe Patriarkh. C'est sous ce nom qu'il sort en ce début d'année Prophet Ilja (ou Prorok Ilja, dans la langue liturgique utilisée sur l'album), cette fois chez Napalm Records. Et vous savez quoi ? Il s'agit d'un... bon album, rien de moins. Beaucoup plus orienté folk et traditionnel que ce que Batushka proposait (et propose), chatoyant, mystique, Prorok Ilja m'a séduit, et c'est avec plaisir que j'ai eu l'occasion d'en discuter avec le très sympathique Bart. Sans souhaiter prendre parti (le tribunal s'en étant chargé), et en souhaitant parler musique avant tout.
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Bart, bonjour. L'album de Patriarkh est sorti en ce début d'année. Je suppose que tu attendais avec impatience les retours à ce sujet. Au vu du contexte, du caractère assez personnel de l'album, j'imagine que tu étais plus stressé que d'habitude.
Pour moi et pour tout le groupe, et pour toutes les personnes impliquées dans l'album, c'est un moment important. C'est un nouveau départ et une nouvelle voie, avec la fin du nom Batushka. Nous sommes conscients de peut-être faire deux pas en arrière mais c'est un nouveau défi avec ce groupe. J'ai presque 50 ans mais je suis à nouveau un débutant (rires). Bien sûr, l'année passée a été très difficile, avec le changement de nom du groupe, les derniers concerts sous le nom Batushka... L'ultime concert en Australie a été très émouvant pour nous. Après cinq longues années à nous battre entre nous et à nous battre contre les « haters » (rires). La production et l'enregistrement de l'album ont aussi pris cinq mois, de janvier à fin mai, avant de jouer des concerts autour du monde. Mais maintenant, tout va dans le bon sens, la réception du nouvel album est très bonne dans la presse et chez les fans. On sait que tout ce changement nous amène un souffle d'air frais, et maintenant il s'agit simplement de commencer à défendre l'album en live le mois prochain. On a hâte de montrer cet album en concert au monde.
Je sais que le litige n'a pas été tranché en ta faveur, mais même comme ça, j'imagine que c'est un soulagement de ne plus avoir trop à y penser, car cela devait devenir difficile de se concentrer sur l'aspect artistique dans ce contexte.
Oui, comme je le disais, ce sera aussi un vent frais dans nos têtes car bien sûr, toutes ces affaires légales, les passages devant la justice, ça reste dans un coin de ta tête. Enfin, ce n'est pas totalement fini car ce n'était que le jugement de première instance de la Cour, et il y aura une seconde instance qui devrait se passer d'ici deux ans pour valider le verdict. Mais ça ne nous préoccupe plus vraiment, nous sommes concentrés sur la promotion du nouvel album, et pour tous les membres du groupe, cela fait du bien de regarder vers l'avant.
Ne penses-tu pas que ce changement de nom, au final, peut « aider » Patriarkh car vous êtes détachés du « nom » Batushka qui est devenu très associé à tout ce drama ?
Je pense que ça nous aide beaucoup de changer de nom, oui. Musicalement, il y a aussi, pas une révolution mais une évolution, je dirais, dans notre musique, dans notre esthétique. On repart d'une page blanche, et nous voulons amener une nouvelle vitalité sur scène, un côté plus théâtral dans nos performances. L'objectif est de présenter notre nouvelle musique sous tous ses aspects. Bien sûr, il faut rester honnête et on ne peut pas passer sous silence tout cet aspect légal qui nous lie à Batushka, mais c'est, je l'espère, une nouvelle ère.
Comme je l'ai dit, le sujet de l'album est personnel car le Prophète Ilia vient de ta région, je crois.
Oui, il vient de ma région, la Podlachie, mais c'est une histoire célèbre dans toute la Pologne. C'est un prophète auto-proclamé, Eliasz Klimowicz, qui est parvenu à construire la plus grande secte d'Europe à l'époque dans les années 30. L'histoire est donc celle de son combat contre l'église orthodoxe, une histoire très blasphématoire. C'est aussi très personnel parce que nous avons voulu via cette musique présenter la musique folklorique de ma région, avec énormément d'instruments locaux. Tous ces sons que tu entends sur l'album viennent du cœur de ma région, de sa musique folklorique. Nous souhaitons aussi que le tout sonne très cinématographique, avec un aspect très symphonique. C'est un très gros concept, auquel nous voulons lier une forme de pièce de théâtre. Notre concert inaugural était à Lodz, en Pologne, le 3 janvier, avec un orchestre symphonique complet et un chœur masculin. Il y avait 16 personnes sur scène. Nous aimerions donner 3 ou 4 spectacles de cette taille en Europe, dans certaines villes.
Ca doit être difficile à organiser !
Oui, bien sûr ! Mais je pense que ce sera possible cette année. Nous allons aussi publier ce concert live symphonique en fin d'année, afin que tout le monde puisse apprécier cette version plus orchestrale de Prorok Ilja.
Pour moi, et je crois que c'est un compliment, les meilleurs moments de l'album sont ces atmosphères folkloriques et très religieuses. J'ai eu l'occasion de beaucoup voyager dans les pays de l'Est, de rentrer dans énormément d'églises orthodoxes en Russie, en Géorgie, en Roumanie... et j'y retrouve vraiment ces ambiances qui me frappaient à chaque fois.
Ça me fait plaisir, car le but était réellement de sonner authentique, aussi dans le mix de l'album. Tous ces instruments devaient sonner authentiques, c'était le défi. Tout ça n'est pas samplé, le but est que tu aies la sensation d'être « là », et les réactions des auditeurs me confortent dans l'idée que nous y parvenons.
L'un des morceaux est même intégralement folklorique, sans le moindre élément black metal – ce n'est pas une intro ou un interlude, mais un morceau entier – et c'est l'un de mes favoris de l'album.
Oui, je crois que tu fais référence à « Wierszalin VI » ! (j'acquiesce). C'est une chanson folklorique qui vient de Biélorussie que nous avons adaptée.
Wierszalin, la colonie établie par le Prophète Ilia, était très proche de la frontière biélorusse, si je ne me trompe pas.
Oui, et j'habite moi-même à quelques kilomètres de la frontière avec le Belarus. Bien sûr, les frontières bougeaient, un jour c'était la Russie, un autre la Pologne ou la Biélorussie (rires). Mais cela explique aussi pourquoi cette région est si diverse. C'est orthodoxe, mais aussi juif, il y a aussi des musulmans... La Podlachie est très multiculturelle et très spéciale. Je crois qu'on l'entend dans l'album.
Tu as utilisé le terme « blasphématoire » pour décrire l'histoire du prophète Ilia. Mais j'ai aussi la sensation que tu ne peux pas réaliser une telle musique s'il n'y a pas un profond respect et une vraie admiration pour cette culture orthodoxe.
Bien sûr ! C'est la culture de ma région, et j'essaie donc de montrer ce qu'elle a de plus beau. Oui, il y a une culture orthodoxe ici, je pense que 40% de la région l'est, mais une partie de ma famille est aussi catholique. Nous vivons là-dedans. Je sais que la culture orthodoxe m'a beaucoup inspiré depuis tant d'années, ça vient de mon cœur. Il n'y a pas de « pose » (sourire). Quand je ferme les yeux en écoutant et en jouant cette musique, je vois cette région, ces forêts, tout ce que m'évoque Prorok Ilja. C'est authentique et je veux le montrer aux auditeurs. Je crois que ça contribue à la bonne réception de l'album.
As-tu déjà parlé de ta musique avec des personnes religieuses, des prêtres par exemple ?
Oui, de nombreuses fois ! Nous ne sommes pas... (il hésite). Nous sommes des « messagers ». Nous voulons montrer aux gens non seulement le caractère spectaculaire de la religion orthodoxe mais aussi sa profondeur. Nous les invitons dans notre monde, notre culture, mais ils doivent aussi creuser par eux-mêmes. Tout n'est pas fourni sur un plateau et chacun doit se faire sa propre opinion et image de cette culture. C'est aussi un album qui s'écoute du premier au dernier morceau pour en comprendre toute la magie, même si je sais que de nos jours, 40 minutes de musique, c'est long (sourire). Mais c'est notre intention, inviter l'auditeur dans notre culture.
L'album sera donc joué en intégralité en concert ?
Oui, c'est notre intention, de la première à la dernière chanson. Ce qui se passe dans l'album, les transitions, la dynamique ne peut être reproduite que de bout en bout.
Parlons un peu du chant féminin sur cet album. Eliza Sacharzuk est très impressionnante sur « Wierszalin IV ».
Eliza est ma coach de chant et en effet, elle est incroyable ! Sur ce morceau, nous plongeons l'auditeur dans le côté roumain de l'orthodoxie. C'est un extrait du psaume 145 de David, réinterprété à notre manière, bien sûr. Notre intention est de montrer les différents aspects de l'orthodoxie, comme nous l'avons déjà fait avec des chants byzantins, ou en montrant les aspects biélorusses ou russes de l'orthodoxie.
Et Eliza va-t-elle tourner avec Patriarkh ?
Non, elle est occupée par son travail de coaching vocal. Mais nous avons une chanteuse au sein du groupe qui se chargera de ses parties, et Eliza nous rejoindra à coup sûr pour certaines dates et festivals. Notre vocaliste à temps plein, Sœur Fiotla, est spécialisée dans un type de chant particulier issu de la région de Podlachie, qui donne une véritable teinte à notre musique. Le line-up va également un peu changer car un troisième guitariste va intégrer le groupe afin de donner plus de profondeur à notre son en live.
Enfin, comme cette interview se fait en janvier 2025, je voulais te demander quels ont été les albums que tu as le plus écouté l'année passée ?
Oh... c'est difficile à dire ! Mais je dirais que le groupe que j'écoute le plus récemment est White Ward, même s'ils n'ont pas sorti d'album l'année passée. J'écoute énormément de metal, bien sûr, mais aussi de la musique un peu plus folk. Pas seulement Wardruna ou Heilung qui sont bien connus (sourire), mais aussi des chœurs orthodoxes de divers pays, d'Ukraine, de Russie... J'écoute également beaucoup de musique très pop comme Adèle. Je conseille aussi un groupe biélorusse qui s'appelle Znich. Et Dymna Lotva ! Ils sont fantastiques.
Merci pour ton temps, Bart. Comme tu le vois, j'ai voulu ne pas trop parler des polémiques entourant Batushka et me concentrer sur la musique car je me doute qu'on t'en parle bien assez (rires).
Oh, justement, tu sais, j'y suis habitué et j'y suis préparé. Je sais qu'on m'en parlera encore longtemps (rires). Mais merci à toi !