Interviews Retour
mercredi 11 septembre 2024

Charlotte Wessels, la vie loin de Delain : "Mes obsessions et mes peurs ont nourri cet album"

Charlotte Wessels

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Elles sont mine de rien nombreuses, les chanteuses devenues figures et visages de leur groupe et s'étant lancées dans une carrière solo. On connaissait les exemples de Tarja (ex-Nightwish), de Anneke Van Giersbergen (ex-The Gathering) ; désormais, Charlotte Wessels mène également sa barque. Après deux albums intimistes (Tales From Six Feet Under pt I & II), elle publie un album bien plus taillé pour la scène (et pour les fans de Delain) : The Obsession, qui paraîtra le 20 septembre prochain chez Napalm Records. 

Pour l'occasion, Horns Up a eu l'occasion de s'entretenir avec la très sympathique chanteuse, qui est apparue très détendue. Un paradoxe, car elle le reconnaît aisément : Charlotte Wessels est une grande stressée, et le nom The Obsession n'est pas anodin. 

Bonjour Charlotte. Comment te sens-tu à environ deux semaines de la sortie de The Obsession ? Impatiente, enthousiaste ... ?

C'est si excitant, oui ! Je suis impatiente, nerveuse... Les retours concernant les premiers singles et les chansons mises sur le Patreon ont été si positifs, que j'ai très hâte que l'album sorte et qu'on puisse enfin le partager avec le public dans son intégralité. J'ai aussi très hâte de partir en tournée avec cette équipe que j'adore.

La première question qui m'est venue c'est : qu'est-ce que The Obsession ? Es-tu une personne avec des obsessions, des peurs... ?

J'ai depuis toujours écrit sur mes peurs, mes obsessions, et notamment mon OCD (obsessive compulsive disorder, nda), donc je savais que c'était quelque chose que je voulais mettre au centre de cet album. Je voulais aussi que cette tournée, même si elle est sous mon nom propre, ait une espèce de sous-titre, de nom de groupe (Charlotte tourne sous le nom « Charlotte Wessels – The Obsession », nda) et avec le temps, c'est apparu comme une évidence. Malheureusement, j'ai en effet des obsessions et cet OCD qui me pourrit parfois la vie, mais la chance que j'ai, c'est que The Obsession est un nom plutôt classe pour un album (sourire).

Est-ce que cet OCD peut être un obstacle dans ta façon de faire de la musique, ou est-ce que la musique te permet de le combattre ?

Un peu des deux, en réalité. Ca peut m'arriver, parfois, de « bloquer » sur des détails, que ce soit dans le processus créatif ou dans la vie de tous les jours. Je dois vraiment me secouer pour évacuer les pensées parasites de ma tête. Mais la musique m'offre cet échappatoire et composer, en parler, parler de mes façons thérapeutiques d'en sortir comme je le fais dans « The Crying Room », ça m'aide, bien sûr.

Tales from Six Feet Under I & II avaient un côté dépouillé, sobre, avec bien moins de couches que la musique de Delain. J'imagine que c'était lié aux moyens à ta disposition, mais peut-être aussi à une volonté de te tenir éloignée de Delain pour quelque temps ? 

Je crois que tu touches dans le mille sur ce plan. En réalité, Tales from Six Feet Under, du moins le premier volume, était composé de titres que je gardais pour moi car ils ne s'inséraient pas dans la musique de Delain. Cela n'aurait jamais figuré sur les albums de Delain, donc je les gardais pour plus tard, sans avoir nécessairement la volonté de sortir un album ! Je m'amusais un peu à composer divers types de chansons, à expérimenter, je sortais les chansons sur mon Patreon pour mes fans. Puis Delain a splitté, et faire ce tri n'avait donc plus vraiment de sens. Mais bien sûr, les deux Tales from Six Feet Under ont été enregistrés ici, dans ce studio, avec peu de moyens et pas en tant que groupe, alors que The Obsession a été enregistré par un groupe complet. C'est aussi mon premier « vrai » album composé de A à Z dans l'optique d'être publié en tant que tel.

Est-ce qu'on peut dire que maintenant, tu te sens un peu plus prête à sortir quelque chose qui puisse évoquer Delain, y ressembler ? 

Au début, ça faisait un peu mal. Mais maintenant, oui, j'ai moins peur des comparaisons, même si elles sont inévitables, d'autant que certains membres de Delain sont avec moi dans ce projet.

Parlons de l'album maintenant. Notamment du single « Dopamine », avec Simone Simmons... Je crois que vous êtes amies depuis longtemps, maintenant. Était-ce naturel de l'avoir à tes côtés sur cet album ?

Je connais Simone depuis des années maintenant, en effet. À l'époque, j'ai publié une version différente de « Dopamine » sur mon Patreon, plus dépouillée, et en solo ; les retours ont été très positifs. Le thème de cette chanson, ce sont notamment les compléments que tu dois prendre quand tu es en dépression, les antidépresseurs, etc... et quand j'ai passé le pas de m'ouvrir à ce sujet, Simone a été l'une des premières à venir me parler et me soutenir. À partir de ce moment, quand une seconde version de « Dopamine » a été dans les tuyaux, c'était évident de l'avoir sur le morceau, et j'en suis très heureuse !

Epica est probablement l'un des derniers groupes de cette « vague » metal symphonique néerlandais à être resté fidèle à 100% au style, non ? Delain a pris un tournant plus rock assez rapidement, Within Temptation aussi, ton album est assez moderne et a beaucoup d'influences différentes... est-ce que le metal symphonique des années 2000 était juste une mode ?

« It's not a phase, mom ! » (elle éclate de rire). Oh mon dieu, je ne sais pas du tout. Est-ce que c'était une mode ? Peut-être un peu... J'aime toujours le metal symphonique, vraiment, mais au fil des années, tu te mets à varier les plaisirs, à intégrer d'autres influences. Tu évolues, bien sûr. Et même Epica, oui, c'est toujours symphonique, mais ils ont tout de même modernisé leur son... (elle hésite longuement). Non, vraiment, je ne sais pas quoi te répondre.

« Je ne sais pas » est une réponse tout à fait valide aussi ! (rires) Revenons à l'album : est-ce un côté... Lana Del Rey que j'entends sur la mélodie vocale de « Chasing Sunsets » ... ?

(surprise, elle chantonne la mélodie) Est-ce que c'est du Lana Del Rey ? Vraiment, tu entends ça ? J'ai évidemment écouté Born To Die, comme tout le monde (rires). Et elle est une telle figure qu'elle peut m'avoir influencé sans que je m'en rende compte. Mais une influence active ? Non. J'adore son esthétique, son personnage, sa voix... Mais je déteste ses textes, par contre (rires). C'est... (elle fait une mimique de malaise). Oh non, je n'aime vraiment pas dire du mal des gens, c'est horrible (rires). J'aime bien Lana Del Rey, mais je ne pourrais pas écrire ce genre de textes, clairement.

Tu vas partir en tournée avec un line-up complet pour la première fois... Tu n'avais fait que des dates en club aux Pays-Bas, je crois ?

Oui, c'est ma première vraie tournée avec ce line-up et je suis si heureuse de passer du temps sur les routes avec ces gars – et cette meuf (Sophia Vernikov au piano, nda). C'est aussi ma première vraie tournée depuis... hé bien, cinq ans, en réalité, entre ce qui s'est passé avec Delain et les années de confinement. Mais surtout, ce sera en première partie de VOLA, et j'en suis tellement fan ! Je serai chaque soir au bord de la scène à faire la fangirl, c'est sûr et certain (rires).

Je dois t'avouer un truc : je ne connais absolument pas VOLA...

Oh, tu dois écouter, et commence par le morceau « Head Mounted Sideways » ! C'est une tuerie.

Est-ce que tu penses qu'il y aura une bonne partie du public présente pour toi en tant qu'ex-Delain, plutôt que pour VOLA ?

(elle hésite) Je ne sais pas trop... Ca n'est pas impossible que j'amène un public qui ne les connaît pas, en effet. Et je trouve ça cool ! Tant que des gens ressortent de là en ayant découvert et en étant devenus fans, c'est super. Et vice-versa si des gens ne me connaissent pas. Quand tu regardes leurs chiffres, j'ai plus de followers sur Instagram, eux ont plus d'écoutes Spotify (nda : que Charlotte en solo, oui, mais certainement pas que Delain...)... ça s'équilibre.

Sur tes dates néerlandaises à l'époque de Tales from Six Feet Under, tu jouais très peu voire pas de titres de Delain. Cette fois, tu tournes avec plusieurs ex-membres de Delain (Timo Somers (guitare), Otto Schimmelpenninck van der Oije (basse) et Joey Marin de Boer (batterie), nda), hors des Pays-Bas, et ton nom est évidemment lié au groupe... Est-ce que tu comptes en jouer plus ?

Disons qu'à l'époque, toute cette histoire faisait encore un peu trop mal pour que joue des titres de Delain en live. Je voulais m'en détacher. Bon, on jouait « Combustion », mais c'est un instrumental, donc je ne suis pas vraiment dessus (rires). Ce n'est pas impossible que désormais, je joue quelques titres de Delain car je les aime, ces morceaux, évidemment. Ils sont une énorme partie de ma vie.

Mais en un sens, même si c'est agréable que pour beaucoup, tu sois restée le « visage » de Delain, tu as aussi un album à défendre...

Voilà ! Et surtout, au contraire des Tales from Six Feet Under que c'était parfois difficile de faire sonner en live, The Obsession est fait pour ça, très clairement, et a été composé comme un album de groupe. Mais tu sais, je suis quelqu'un qui aime faire plaisir aux gens. S'ils veulent que je joue certains titres de Delain, je le ferai, sans problème.

Pour ma dernière question, je vais retourner aux albums précédents pour parler d'une chanson que j'adore et qui parle au public français : « Victor », qui évoque le poème « Demain à l'aube, je partirai », de Victor Hugo... Un thème terriblement déprimant, si je puis me permettre (le poème a été écrit par Hugo après la mort par noyade de sa fille Léopoldine lors d'une promenade en barque avec son fiancé, mort lui aussi, nda).

(elle éclate de rire) Oh oui, c'est tellement déprimant ! Mais si beau, aussi, c'est mon truc. J'ai trouvé ce poème sur internet et il m'a immédiatement fasciné. J'adore la poésie, je participe à des lectures de poèmes et j'aime parfois en mettre en musique. Mettre le texte en musique est parfois le plus difficile, alors j'expérimente – par exemple, l'un de mes morceaux peut aussi être chanté sur l'air du thème de Pokémon (nda : Charlotte ne nous a pas révélé lequel, mais amusez-vous à tous les essayer...)... Mais, bref, ce morceau, « Victor », est aussi l'un de mes préférés. J'ai essayé de retranscrire l'émotion du poème initial, mais je me suis dit qu'à un moment, je devais insérer le poème en tant que tel.

Et donc, parles-tu français ?

Non (rires). Enfin, juste un peu. Je parle français quand j'ai bu... et à mon chien (rires).

Je crois que je le vois, derrière toi. Il est sur le canapé, j'espère qu'il a le droit...

Oh oui, il a le droit ! Il vient d'un refuge et a passé des années attaché à une corde, alors maintenant, il a le droit de faire absolument tout ce qu'il veut. Quand il est couché, il ressemble à un croissant. C'est pour ça que je me suis mis à lui parler en français.

Et tu lui dis quoi, en français ?

Du yaourt, rien qui ait le moindre sens (rires).

Peut-être peux-tu jouer ce morceau, « Victor », à ton public français...

Tu sais quoi ? Ce n'est pas une mauvaise idée du tout. Il va et vient sur nos setlists, donc peut-être que ce serait une bonne chose de le garder pour Paris et Le Petit Bain (avec son plus bel accent français, nda), ce morceau résonnera particulièrement pour le public français.

Tu as aussi chanté par moments en néerlandais. Est-ce plus simple pour toi ? Aimerais-tu le faire plus souvent ?

J'aime bien, oui... C'est parfois plus simple d'exprimer mes idées en néerlandais. Je sens aussi que le public néerlandais apprécie ça, mais que c'est plus compliqué pour mon public international (rires). Un album en entier en néerlandais, eh bien... Pourquoi pas. Ou en français (rires).

Ca serait quelque chose (rires). Il me reste à te laisser et à te souhaiter bonne chance pour la sortie de l'album et la tournée... J'imagine que d'autres dates s'y ajouteront, peut-être des festivals. Tu ne passes pas en Belgique, je vois...

Non ?! Je pensais qu'on passait en Belgique (elle vérifie)... Hé bien non, tu as raison. On est à Eindhoven, ce n'est pas si loin... Mais nous vous devons une date, à vous les Belges, c'est sûr. Et je donne rendez-vous aux Français au Petit Bain. Merci pour cette interview !