Punkach' renégat hellénophile.
Un groupe qui s'ancre autour d'une unique thématique c'est somme toute courant dans le Metal, mais cela reste un exercice périlleux, d'autant plus quand il s'agit d'Histoire ; civilisations, guerres et empires ont inévitablement une fin, et on risque bien, au bout d'un moment, d'en avoir fait le tour. Cela dit, la Grande Guerre reste quand même un événement si hors norme à tout point de vue qu'on pourra toujours écrire et composer dessus sans en avoir fait le tour, pour peu qu'on s'y intéresse sérieusement. Et les Ukrainiens de 1914 ont largement prouvé que c'était leur cas, pour qui les suit un peu sur les réseaux. J'étais donc assez confiant à l'approche de leur troisième album, Where Fear and Weapons Meet, et le premier directement sorti sur Napalm Records.
Après un Eschatology of War tirant plus vers le Death que le Black (d'où sa présence dans notre bilan Death des années 2010), suivi d'un The Blind Leading the Blind qui inversait la tendance, ce troisième opus nous fait la surprise d'opter pour une approche beaucoup plus grandiloquente, toute en claviers, qui peut dérouter le vétéran. Qu'on se rassure : on est loin d'une composition pseudo-épique facon power cheesy suédois. C'est le poids de l'Histoire dans toute sa fatalité qui se présente devant nous au fur et à mesure que s’emboîtent les engrenages du jeu des alliances sous la voix ô combien reconnaissable de l'oberleutnant Ditmar Kumarberg. Ce troisième opus se consacre largement à l'arsenal cauchemardesque développé durant le grand suicide européen du XXe siècle, des idées ou des objets qui sonnent encore fort sinistres à nos oreilles mais qui ont fait prendre conscience à une génération sacrifiée que la science n'était pas toujours l'alliée du progrès humain. Ainsi "Pillars of Fire" n'hésite pas à user du larsen comme d'un instrument pour retranscrire l'horreur de milliers de tonnes de terre se soulevant pour engloutir près de 10.000 hommes dans une explosion inégalée jusqu'en 1945, et qui sera entendue jusqu'à Londres et Dublin. 1914 prend le temps d'une approche épistolaire sur "...and a Cross Now Marks His Place", avec Nick Holmes (Bloodbath, Paradise Lost) en renfort pour aborder à la fois la domination écrasante de l'artillerie sur l'humanité et le deuil de millions de familles qui auront une lettre formelle pour toute épitaphe, et même pas de corps à mettre en terre.
Malgré quelques pistes évoquant des corps d'élite, on évitera de parler de morceaux de bravoure tant les Ukrainiens ne nous épargnent aucune des horreurs que l'humanité peut s'auto-infliger. Et "Coward", parenthèse sous forme de ballade folk saupoudre ce qu'il faut de douceur sur le fatalisme ambiant pour nous tirer une larme sur quelques cordes pincées comme seuls les Britanniques savent habituellement le faire. A aucun moment Where Fear and Weapons Meet ne nous laisse vraiment respirer, je dirais même que la pression s'accentue après cette fausse bouffée d'oxygène avant de retomber la tête la première dans le feu et la boue. Alors, je l'avoue, j'ai pouffé en entendant les premières mesures de mon si ronflant hymne national sur l'intro de "Corps d'autos-canons-mitrailleuses", mais au final ce morceau est une très belle évocation de ces quelques fous embarqués dans une Anabase moderne, et qui inventent au passage le combat blindé tout moteur hurlant et toute arme crépitant dans les environs de Lemberg, la ville trois fois renommée sur un siècle d'où viennent ces Ukrainiens tout aussi férus de bruits et de fureur.
Inutile de détailler chaque offensive à outrance, chaque déluge de feu : Where Fear and Weapons Meet est un album qui passe avec brio le test de l'endurance malgré sa longueur relative. La Grande Guerre est loin de s'achever pour 1914, groupe qui, avec sa focalisation à la fois impériale et aux portes orientales du continent, trouvera encore bien des munitions, j'en ferais volontiers le pari. Peut-être, pour se démarquer d'autres projets à la thématique proche, le groupe gagnerait-il à se consacrer à d'autres perspectives. Prendre un peu de distance avec le no man's land ? S'éloigner d'Europe pour combattre sur d'autres fronts ? Les options ne manquent pas, et je leur fais amplement confiance.
Setlist:
1. War In
2. FN .380 ACP#19074
3. Vimy Ridge (In Memory of Filip Konowal)
4. Pillars of Fire (The Battle of Messines)
5. Don't Tread on Me (Harlem Hellfighters)
6. Coward
7. ...and a Cross Now Marks His Place
8. Corps d'autos-canons-mitrailleuses (A.C.M)
9. Mit Gott für König und Vaterland
10. The Green Fields of France (Eric Bogle cover)
11. War Out