L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Depuis 2014, Behemoth a changé de dimension. Jusque-là fer de lance d'une scène black/death qui restait tout de même "de niche", le groupe d'Adam Darski a été propulsé dans la catégorie des mastodontes du metal avec The Satanist, oeuvre pouvant aller chercher du public au-delà de sa fanbase initiale. La popularité (voire la "starification" ) de Darski aka Nergal a également tout changé. Il y a, sans critique aucune au vu de l'épreuve traversée, un Behemoth et un Nergal avant et après sa leucémie, vaincue en 2011.
Devenu blockbuster, Behemoth s'accompagnait d'exigences, et succéder à The Satanist était compliqué. Qui aime bien châtie bien et nous avions châtié à la sortie de I Loved You At Your Darkest (2018), franchement moyen, confit entre autoparodie, composition bancale et tentative de reproduire la recette The Satanist sans succès. Autant dire que cet Opvs Contra Natvram provoquait chez moi un enthousiasme relatif. Sans réclamer un retour à Thelema 6 ou même Evangelion ("this ship has sailed", comme dit la belle expression anglaise), peut-on au moins revoir un peu de hargne et d'authenticité chez un groupe au final si important pour la scène ?
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Eh bien, la réponse est oui, et dans des proportions que je n'aurais pas crues possibles, même dans mes jours les plus optimistes. Passée la traditionnelle intro martiale qui fera fureur en concert pour faire monter la sauce, "Malaria Vvlgata" est une déflagration comme Behemoth n'en avait plus envoyé depuis 2009. Sans bien sûr qu'on atteigne le degré de violence (et surtout le côté foncièrement death) des "Shemamforash" et "Defiling Morality ov Black God", Evangelion fait un peu son retour. "Off to War!", un peu moins frontale, amènera les mêmes sonorités un peu plus tard, avec un Inferno devenu bien plus fin avec le temps, portant les subtiles accélérations de rythme. Car, enfin, la qualité de composition, la gestion du rythme de l'album est à nouveau géniale - pour être tatillon, elle ne l'était déjà plus...sur The Satanist, qui traînait un peu la patte en milieu d'exercice.
Pas de ça ici, tout s'enchaîne avec fluidité : "The Deathless Sun" débarque sans crier gare avec son refrain imparable, et s'impose peut-être comme le plus gros tube de la carrière de Nergal. On a toujours du mal à savoir où est la part de pose chez ce quadra fan de yoga et addict à Instagram chantant "I'm nothing without him" en louange à Satan, mais ça marche. C'est aussi le secret du Behemoth post-2010 : un côté catchy assez assumé, qui avait montré son plus mauvais visage avec le très moqué "Bartzabel" sur le précédent album. La recette fonctionne bien mieux ici. Pas immanquablement : le choeur enfantin un peu cliché de "Thy Becoming Eternal" n'est pas du meilleur goût. Mais "Once Upon A Pale Horse" amène presque des influences faisant penser à la scène post-black avec son riff bondissant, pour un résultat assez étonnant et très mélodique.
Côté influences, la meilleure surprise en ce qui me concerne est la fantastique doublette "Ov my Herculean Exile" - "Neo Spartacvs". Le premier met en valeur l'un des gros points forts de l'album : le travail sur les guitares, entre lignes mélodiques et soli très réussis, qui permettent une montée en puissance jouissive. D'une intro presque digne de Vargrav à des atmosphères glauques à la Mgla, "Ov my Herculean Exile" se termine ainsi sur un riff épique qui lance au mieux "Neo Spartacvs", vrai coup de poing de l'album. La session rythmique claquante des couplets rappelle cette fois un autre pilier de la scène polonaise, Furia, avant une marche guerrière lors de laquelle Nergal sonne menaçant comme jamais. Assez étonnant qu'un album qui a livré tant de singles avant sa sortie ait manqué d'allécher l'auditeur par une telle bombe que ce titre, dont les "Burn, Roma, Burn !" ont un gigantesque potentiel live. Tout autant que le final de l'album, "Versvs Christvs", est une incantation impie franchement puissante, même si elle ne remplacera pas de sitôt "O Father ! O Satan ! O Sun !" dans ce registre.
Difficile de dire, en définitive, si Opus Contra Natvram s'installera dans la durée parmi les meilleurs albums de Behemoth. À chaque écoute, son potentiel tubesque me paraît plus évident : contrairement même à The Satanist, il ne ralentit pas, ne se perd pas en route. Contrairement à The Satanist, il ne redéfinira pas non plus la scène pour les quelques années à venir. Nergal sort peut-être son album le plus accessible, celui que I Loved You At Your Darkest aurait dû être pour capitaliser sur le nouveau statut de tête d'affiche de son groupe. Disons que s'il y a deux carrières dans la vie du "Born Again Satanist" qu'est Adam Darski, voilà au moins de quoi rester optimiste pour la suite de la seconde.
Tracklist :
1. Post-God Nirvana (3:10)
2. Malaria Vvlgata (2:18)
3. The Deathless Sun (4:43)
4. Ov My Herculean Exile (4:43)
5. Neo-Spartacvs (4:18)
6. Disinheritance (4:22)
7. Off to War! (4:47)
8. Once Upon a Pale Horse (4:16)
9. Thy Becoming Eternal (4:09)
10. Versvs Christvs (6:29)