L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Qu'il est difficile à analyser, le « cas » Behemoth. Pendant de longues années, le combo a gravi les échelons et multiplié les mues jusqu'à devenir, probablement, l'un des groupes de metal extrême les plus imposants et emblématiques au monde à l'heure actuelle. Plus vraiment du black, plus vraiment du death : Behemoth a cultivé son esthétique, a réussi l'exploit de revenir plus fort et populaire que jamais après la grave maladie de son leader Nergal et a sorti The Satanist, opus décomplexé, à la fois épuré et prétentieux.
La recette marche : Behemoth a franchi depuis 2014 le dernier palier, celui qui en fait une tête d'affiche de festival, un incontournable. Je faisais partie des convaincus de The Satanist, je dois l'avouer ; la démarche me paraissait intelligente. Au sein d'une scène black/death certes saturée mais qui n'avait pas attendu le retour de Behemoth pour frapper plus fort, vouloir reprendre le trône en jouant dans la même cour était perdu d'avance. Nergal a visé plus grand, plus universel, et il a réussi, tout en conservant son identité et en affinant sa recette. Un beau pied de nez à la mort qu'il avait frôlé de si près en 2010. On lui pardonnait presque (tout en se moquant gentiment) ce côté rockstar qui avait commencé à devenir un peu pathétique : vie étalée sur Instagram, poste de juré chez The Voice, album de folk un peu poseur, toutes choses rendues encore plus agaçantes par le fait que sur le côté, l'imagerie satanique restait toujours bien présente et premier degré pour un résultat tout sauf crédible.
Peu importe, se dit-on, tant que la musique suit. Car The Satanist, impressionnant aux premières écoutes, semble s'essouffler au fil du temps, comme une production hollywoodienne qui vous colle au siège de cinéma mais vous paraît moyenne quand elle passe à la télé. Et en live, la machine est devenue tellement rodée qu'un sentiment de routine s'est vite installé ; oui, décidément, il était grand temps qu'un nouvel album arrive.
On avait cependant un mauvais pressentiment. Un album dont le premier single s'appelle God = Dog, vraiment ? La puérilité de la « vanne » (?) a presque effacé le fait que ce morceau était en fait plutôt bon – Nergal tient la route vocalement, Inferno reste un batteur d'exception et même les choeurs d'enfants en fin de morceau, qui sonnent un peu cheap, sont une idée... disons, intéressante. Puis est venue l'annonce du nom de l'album : « I Loved You At Your Darkest ». J'ai entendu divers sons de cloche mais cette phrase a beau être issue de la Bible (Epître aux Romains 5:8, d'où le titre Rom 5:8), elle me paraît bien peu adaptée pour un titre d'album (oui, je fais partie des monomaniaques qui y accordent de l'importance).
***
Mais laissons une chance à ce ILYAYD (on fera avec cet acronyme peu instinctif). Sûrement, Behemoth ne peut pas rejoindre le wagon – en vérité un foutu train de marchandises – de ces grands groupes devenus incapables de sortir un album décent. Wolves ov Siberia, déjà présenté en live, a beau être assez inoffensif, on ne peut pas nier que c'est une ouverture efficace, tout de même. Non, en vérité, on a envie au fil de l'écoute de se persuader que ça marche. Et l'album fait illusion quelque temps : Ecclesia Diabolica Catholica tient la route avec ses choeurs bien fichus et son passage acoustique et on se dit même que Bartzabel a le mérite de tenter quelque chose avec son refrain en chant clair, qui a fait crier certains réfractaires (si vous trouvez que « ça ressemble à Ghost », ça tient du psychiatrique) mais a surtout le gros défaut de désamorcer un morceau à la tension jusque là bien amenée.
Arrive le moment où on doit se rendre à l'évidence : si le seul moyen de parler en bien de ILYAYD, c'est de chercher des qualités à ces titres somme toute au mieux passables, qui seraient les moins inspirés de The Satanist s'ils y figuraient, c'est parce qu'autour, c'est le vide. Là où Behemoth tente d'amener une ambiance malsaine, une forme de tension, le combo polonais se troue – Havohej Pantocrator ressemble à un pastiche pompeux de O Father O Satan O Sun – et peine à trouver le juste milieu entre des morceaux trop courts et vides de toute substance (If Crucifixion Was Not Enough, We Are the Next 100 Years, aussi inintéressants que leur titre est inutilement long) et une certaine prétention qui émane du tout.
Sans qu'on se l'explique, ILYAYD sonne creux, voire – même si le terme paraît étrange appliqué à de la musique – antipathique. Ou peut-être est-ce cette manière qu'a le public de bêler, de porter aux nues l'album partout sur les réseaux sociaux, de balancer les pouces bleus et les « Killer album ! » en commentaires, bref l'absence totale d'esprit critique dans laquelle baigne désormais la scène metal comme n'importe quelle scène musicale qui me laisse au final un goût amer en bouche. Behemoth a sorti son pire album et devrait pourtant recevoir un accueil triomphal, continuer son ascension.
Car I Loved You At Your Darkest, sans être mal composé, sans être « mauvais », est probablement l'album le moins inspiré de Behemoth. Les quelques expérimentations tentées, comme sur Bartzabel ou God = Dog, font presque regretter après coup que Nergal n'ait pas "osé" un peu plus, notamment au niveau vocal. Mais tout cela a-t-il encore la moindre importance quand la seule provocation du combo polonais, fut un temps réellement subversif, est désormais de sortir des... croquettes pour chien « God = Dog food » ?
Tracklist :
1. Solve (2:04)
2. Wolves ov Siberia (2:54)
3. God = Dog (3:59)
4. Ecclesia Diabolica Catholica (4:49)
5. Bartzabel (5:01)
6. If Crucifixion Was Not Enough (3:17)
7. Angelvs XIII (3:41)
8. Sabbath Mater (4:57)
9. Havehej Pantocrator (6:05)
10. Rom 5:8 (4:23)
11. We Are The Next 1000 Years (3:24)
12. Coagvla (2:05)