"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Cela fait 4 ans presque pile-poil que Atoma est sorti, et donc on pouvait se demander, que fabriquait Dark Tranquillity ? Hé bien, il y a encore eu des remous. Alors qu’il va sur ses 30 ans de carrière (il les a déjà dépassés si on compte ses années sous le nom Septic Broiler), ça commence à sérieusement bouger au niveau du personnel, alors que la stabilité était de mise depuis 1999 et l’arrivée du claviériste Martin Brändström. Atoma voyait l’arrivée du bassiste Anders Iwers en remplacement de Martin Henriksson, Niklas Sundin récupérant au passage l’intégralité des guitares. Quatre ans plus tard, c’est maintenant ce même Niklas Sundin qui met les voiles, lassé des tournées et se concentrant sur d’autres projets (comme Mitochondrial Sun qui a sorti deux albums cette année dont le très Metal Sju Pulsarer sorti tout juste une semaine avant ce Moment). Dark Tranquillity doit donc désormais reconfigurer entièrement son personnel au niveau des guitares… ! C’est presque un sacré cap à passer, risqué même, pour un groupe qui pourrait finir par subir le poids des ans comme beaucoup avant lui. D’autant qu’il reste malgré tout sur une discographie quasi-parfaite depuis le début des années 2000, et se pose quelque part comme le dernier pilier irréprochable du Mélodeath suédois. Avec ce statut, Dark Tranquillity peut se permettre d’attirer du beau monde dans ses rangs et on sait bien qu’on ne risque pas d’être déçu. Tout d’abord, c’est Johan Reinholdz, guitariste Live depuis 2017 et également membre de Nonexist, Andromeda et Skyfire, qui viendra compléter l’équipe en studio. C’est ensuite Christopher Amott, « frère de » et qui restait sur l’excellent Captivity & Devourment (2015) de Armageddon, qui vient s’immiscer dans les rangs de DT. Deux guitaristes de qualité donc, qui vont avoir la tâche de faire oublier les membres historiques qu’étaient Martin Henriksson et Niklas Sundin. Le reste ne bouge pas, y compris bien sûr les deux membres historiques Mikael Stanne et Anders Jivarp. Pour un douzième album bien sûr à nouveau très attendu, surtout quand le groupe restait sur les fantastiques Construct (2013) et Atoma (2016). Le Patron du Mélodeath suédois, il est toujours là, et c’est le Moment de le retrouver.
Evacuons tout de suite la question qu’on peut se poser : oui, malgré l’arrivée de deux nouveaux guitaristes, Dark Tranquillity va rester le même. Et on le remarquait de toute manière avec les deux premiers singles, "Phantom Days" et "Identical to None". Entre les compos typiques et le chant harsh de Mikael Stanne, rien ne manque. On se trouve dans la lignée de Construct et Atoma, avec peut-être un léger côté old-school à la première approche, toujours dans la pure tradition du Mélodeath suédois quoi qu’il en soit. Christopher Amott et Johan Reinholdz apportent tout leur talent, dès le magnifique solo de "Phantom Days" d’ailleurs. C’est reparti pour un tour de Dark Tranquillity donc, et avec "Phantom Days" qui est digne d’un opener à la "For Broken Words" et "Encircled" - en un peu plus mélodique toutefois, Moment s’offre un beau trio d’entrée avec l’excellent "Identical to None" et le non moins accrocheur "Transient". A ce stade, il n’y a toujours aucune ligne de chant clair d’ailleurs. Dark Tranquillity reviendrait-il donc vraiment en arrière ? Non, car le troisième single "The Dark Unbroken", dans la lignée d’un "Forward Momentum", réintroduit l’ambiance glaciale que l’on connaît depuis We Are The Void (2010) et le chant clair si particulier de Mikael Stanne, nous renvoyant toujours à Projector (1999) même si on commence à avoir l’habitude de le réentendre en force depuis Construct. Sans surprise donc, Moment va continuer les efforts entamés - et déjà bien confirmés - avec Construct et Atoma. Dark Tranquillity va enchaîner là-dessus mais on va bien vite constater que Moment va finalement prendre des peintures assez particulières. Les premiers singles laissaient entrevoir un paysage très mélodique, et c’est vite dans cet environnement qu’on va se retrouver. Moment va même se poser comme l’album le plus mélodique du groupe depuis Haven (2000), rien que ça. Et l’affaire va même plus loin : si sur Construct et Atoma, il n’y avait que 4 morceaux qui comportaient du chant clair, Moment en comptera… 6. On en enchaîne même 4 ("The Dark Unbroken" - "Remain in the Unknown" - "Standstill" - "Ego Deception") et pire encore, le morceau de clôture de l’album, "In Truth Divided", n’aura pas une once de chant Death à côté. Là, ça commence à changer pas mal. Et si Moment est déjà plus dans la veine d’un Haven que d’un Damage Done (2002) ou Character (2005), il se place finalement dans l’équilibre des morceaux les plus aérés des deux précédents opus comme "Uniformity" ou "Clearing Skies", voire même carrément des bonus beaucoup plus atmosphériques. Houlà ! Est-ce que c’est ce qu’on attendait de Dark Tranquillity ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Mikael Stanne a pris de l’assurance au niveau de son chant clair et n’hésite pas à multiplier les lignes et les refrains plus doux. Et le pire, c’est que ça ne choque pas le moins du monde ! Je n’ai personnellement jamais été convaincu par ce qui était proposé à l’époque de Projector, j’ai même été rebuté par Construct au début à cause de ça, mais il faut bien avouer que depuis la donne a changé, et le vocaliste suédois a bien progressé. Cependant, Moment va vraiment pousser l’exercice. Dès "Remain in the Unknown", les passages clairs se multiplient, quand bien même les compos restent couillues mais toujours relativement mélodiques (et même ici assez épiques). De ce point de vue, "Standstill" est un beau tube de Dark Tranquillity, mid-tempo et toujours très mélodique certes, mais la réussite est au rendez-vous, avec donc un refrain en chant clair 100% assumé. Cette recette atteint son paroxysme sur "Ego Deception" et "Eyes of the World", où Stanne se laisse désormais vraiment aller à des refrains hyper suaves, en mode « crooner gothique » quelque part. Autant dire que cela fera grincer des dents, et à vrai dire c’est là aussi que je (re)commence à avoir du mal, notamment pour le refrain de "Eyes of the World" qui se retrouve quand même, hélas, à la frontière du kitsch. Un "Ego Deception" est relevé par les excellentes compos plus incisives des couplets (et encore un solo exceptionnel), mais ce "Eyes of the World" très mélo, c’est le nouveau "Clearing Skies" dans le registre de morceau « too much » sur lequel je ne sais quoi penser. Et que dire plus tard de la conclusion ultra cotonneuse sur "In Truth Divided", il faudra vraiment apprécier la démarche… Bref, Dark Tranquillity a franchi un certain rubicond, avec désormais du chant clair sur une réelle moitié des morceaux, et c’est à prendre ou à laisser. Mais comme je le disais, ça ne choque pas tant que ça, car pour le reste, Dark Tranquillity fait toujours du Dark Tranquillity même si Moment sera son album le plus mélodique et aéré depuis belle lurette. La paire de nouveaux guitaristes fait vraiment le taf et de toute façon, si on met de côté certaines « exagérations » comme ces étonnants "Eyes of the World" et "In Truth Divided" ou les très enlevés "The Dark Unbroken" et "Remain in the Unknown", il y a encore largement de quoi manger en termes de Mélodeath très dynamique.
Outre les 3 premiers morceaux de l’album, on appréciera encore le plus sombre et bien rythmé "A Drawn Out Exit", le virevoltant "Empires Lost to Time" qui multiplie les leads ; ou encore l’excellentissime "Failstate", classique mais ultra efficace, c’est l’autre tube de cet album qui assure l’héritage des "The Science of Noise", "The Silence in Between" ou autre "The Pitiless" dans le registre des hits récents à la Dark Tranquillity des 2000’s, sans chant clair et 100% Mélodeath suédois. Avec comme toujours, les particularités de Dark Tranquillity, qui n’ont finalement pas bougé d’un pouce malgré le départ de Niklas Sundin (qui continue toutefois à officier comme graphiste, comme de bien entendu). Le groupe a su faire un sacré recrutement à ce niveau avec le toujours excellent Christopher Amott et le talentueux Johan Reinholdz, qui se révèle finalement ici, même si les plus fins limiers auront déjà apprécié ses travaux dans Skyfire. Mais depuis We Are The Void, Dark Tranquillity avait entamé une légère mutation par rapport au milieu des années 2000 très enjoué (Damage Done, Character, Fiction (2007)), et si Atoma s’était contenté de confirmer Construct, Moment lui va bien plus loin et fait méchamment bouger les équilibrages. Plus de mélodie globalement, beaucoup plus de chant clair, qui se fait nettement plus remarquer (en bien ou en mal, ça dépend des morceaux mais ça dépend aussi et surtout de l’auditeur), Moment est finalement le chaînon manquant entre Projector et Haven mâtiné du Dark Tranquillity des années 2010. C’est le bilan un peu bizarre de cet album, au minimum satisfaisant, intriguant mais non moins réussi. Enfin, il faut bien avouer que c’est surtout parce que Dark Tranquillity est toujours inspiré et demeure capable de proposer du Mélodeath bien senti que Moment est une réussite. Si des "The Dark Unbroken" ou "Standstill" rivalisent sans mal avec les morceaux « à chant clair » de Construct et Atoma, ça restera un peu difficile pour les trop sucrés "Eyes of the World" ou "In Truth Divided". Reste alors des purs morceaux de Dark Tranquillity comme "Phantom Days", "Identical to None" ou autre "Failstate", mais même si l’utilisation du chant clair reste à soumettre à l’avis de chacun, Moment en sera finalement un poil hétérogène pour se hisser au niveau de ses deux prédécesseurs. Voilà donc l’identité de Dark Tranquillity pour ce début de décennie, il ne déçoit pas mais il a fait mieux sur autant de morceaux, il ne trahit pas son identité malgré l’évolution du line-up, il reste le patron du Mélodeath suédois à de nombreux égards, mais ce Moment sur le moment de sa sortie, il est assez particulier…
Tracklist de Moment :
1. Phantom Days (3:59)
2. Transient (4:11)
3. Identical to None (3:41)
4. The Dark Unbroken (4:54)
5. Remain in the Unknown (4:40)
6. Standstill (4:11)
7. Ego Deception (4:21)
8. A Drawn Out Exit (4:01)
9. Eyes of the World (3:50)
10. Failstate (3:21)
11. Empires Lost to Time (4:10)
12. In Truth Divided (4:40)