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mercredi 7 août 2024

Jari Mäenpää (Wintersun) : "C'est un gros poids en moins sur mes épaules que de sortir cet album"

Jari Mäenpää

Michael

Avocat le jour, rédacteur sur Horns Up la nuit et photographe à mes heures perdues.

Entre deux épreuves des Jeux Olympiques de Paris 2024, nous avons eu l'occasion d'échanger avec Jari Mäenpää, maître à penser du groupe de mélodeath finlandais Wintersun. L'occasion d'évoquer l'actualité du groupe, et notamment leur nouvel album, Time Part II, qui sortira le 30 août prochain chez Nuclear Blast Records.

*

Bonjour Jari. Comment vas-tu ?

Je vais bien ! Nous avons enfin terminé Time Part II et nous avons lancé la campagne de pré-commande qui est un succès, donc je ne pouvais pas être plus heureux ! C'est un gros poids en moins sur mes épaules que de sortir cet album (damn album, sic) !

C'était justement ma deuxième question... Tu dois être soulagé de savoir que Time Part II a enfin une date de sortie !

C'est un grand soulagement. Cela a été difficile pendant de nombreuses années et il y a même eu des périodes où je ne pensais plus du tout à cet album. J'étais concentré sur d'autres albums et d'autres projets, et l'année dernière tout est venu comme une surprise. Je suis parvenu à trouver le bon son, les bons arrangements pour ce nouvel album alors j'ai commencé à mixer le tout. Fin novembre, début décembre, c'était fait ! Même pour moi, c'était une grande surprise. Nous en sommes tous très heureux, c'est certain.

Nous savons tous que la naissance de cet album a été difficile et, aussi, controversée. Je ne m'étendrai pas sur tout le drama, car beaucoup de gens en ont déjà parlé sur internet...

(Il m'interrompt) Et les gens aiment le drama !

Maintenant que l'album sort enfin, as-tu des regrets sur la façon dont tu as géré le crowdfunding initial, ou peut-être sur la façon dont tu as communiqué à ce sujet ?

Peut-être un peu, oui. Lors du premier crowdfunding en 2017 avec le Forest Package (ndlr : une offre dématérialisée à hauteur de 50 € comprenant l’album The Forest Seasons, sorti à l’époque, ainsi que les anciens albums remasterisés et autres goodies), nous avons essayé d'être transparents et de communiquer sur tout ce que nous faisions. Beaucoup d'informations que nous avons partagées sur les médias sociaux se sont certainement perdues, et peut-être aussi que nous n'avons pas été assez clairs. Les gens ne lisaient pas toujours les mises à jour complètes et ne voyaient que les gros titres, pour ainsi dire. Et puis il y a eu beaucoup de gens qui ont fait des conclusions hâtives et des suppositions erronées sur les choses que j'ai dites. J'ai parfois été un peu agacé par certains commentaires sur Facebook et j'ai donc essayé de me défendre et d'attaquer un peu en retour, ce qui a créé une relation parfois un peu toxique avec certains fans (il sourit). Je ne pense pas que nous ayons fait quoi que ce soit de mal parce que nous avons toujours dit tout ce que nous avions fait et ce que nous avions l'intention de faire.

Surtout, il ne s'agissait pas d'un crowdfunding traditionnel où les fans investissent dans le projet et paient en quelque sorte pour que le projet soit terminé. Mais nous, nous avions déjà réalisé le produit fini avec notre propre argent. Nous l'avons simplement vendu directement à nos fans, avec un package contenant d’autres exclusivités. Nous avons pris des pré-commandes et nous avons livré le package numérique. C'est la même chose que ce que nous avons fait cette année avec Time Part II. La seule différence, c'est que cette fois-ci, nous l’avons appelé pré-commande plutôt que crowdfunding pour éviter toute confusion. Le problème vient certainement aussi du fait que lorsque vous voulez être totalement transparent, cela se retourne souvent contre vous. Les gens ne comprennent pas toujours vos motivations ou, malheureusement, n'essaient pas toujours de comprendre.

En particulier dans le milieu du metal, où le crowdfunding et autres mécanismes équivalents font toujours l'objet de discussions et critiques.

En effet. Lors de la sortie du Forest Package, une minorité de fans et de personnes qui n’ont probablement pas acheté le package ont été désireux de savoir comment je dépensais l'argent récolté. Où va l'argent, Jari ? (il rigole). J'ai donc réalisé une vidéo sur YouTube dans laquelle j'expliquais tout, de A à Z. J'espère que cette vidéo aura permis de clarifier les choses. À l'origine, nous étions censés faire au moins trois « crowdfundings » de ce type pour pouvoir financer le studio de nos rêves dans notre quartier général et pouvoir travailler seuls. Mais nous n'avons pas réuni suffisamment d'argent lors du premier crowdfunding. Les années ont donc passé et, comme vous le savez peut-être, vivre en Finlande n'est pas donné... Cela a pris du temps, mais nous nous rapprochons de plus en plus de ce rêve. Nous aurons probablement besoin d'au moins un album pour être pleinement opérationnels. Mais la bonne nouvelle, c'est que le nouvel album est prêt et que nous avons d’ores et déjà du contenu à offrir à nos fans !

J'ai eu l'occasion d'écouter Time Part II. Tout d'abord, félicitations ! Je sais que c'était un album qui t’a demandé beaucoup de travail. C'est un peu cliché que de demander ça, mais penses-tu que c'est ton meilleur effort de composition à ce jour ?

Il est évident que j'ai beaucoup travaillé sur cet album et j'en suis fier. Mais pour être franc, je dirais que je travaille sur quatre autres albums qui sont, à mon avis, des projets plus importants et plus ambitieux à bien des égards. Je suis donc peut-être un peu plus excité par ces futurs albums que par Time Part II. Peut-être aussi parce que j'ai passé beaucoup trop de temps sur ce dernier (rires) ! J'ai déjà entendu ces nouveaux titres trop de fois !

C'était la même chose lorsque j'ai sorti le premier album de Wintersun. Lorsque vous travaillez sur un nouvel album, vous êtes hyper enthousiaste ; mais dès qu'il est terminé, la pression retombe et vous vous ennuyez un peu à écouter encore et encore ces titres sur lesquels vous avez passé tellement de temps ! Vous ne voulez plus les entendre ! Mais bien sûr, pour les fans, c'est une autre histoire lorsqu'ils les entendent pour la première fois. D’ailleurs, quand tu joues les chansons en live, tu vois les expressions sur le visage des fans, leur ferveur... cela donne une nouvelle dynamique à l’album. Cela te donne vraiment de l'énergie et tu peux à nouveau apprécier les titres. Je dirais que Time Part I et Time Part II ont été les projets d'albums les plus difficiles de ma vie, c'est certain. Je dirais aussi que les prochains albums sont du même niveau, mais j'ai de meilleures compétences et du meilleur matériel pour y faire face. L’entreprise est donc plus facile.

Par rapport aux débuts de Wintersun, il y a eu un certain changement dans la façon de composer. Lorsque l’on écoute les titres du premier album, ils étaient plus courts et directs. Avec Time Part I, tu as exploré de nouveaux territoires avec des chansons plus longues, des mouvements multiples. Ce qui était une exception, comme « Starchild » sur l’album éponyme, est devenu la norme. Dans ce dernier album, tu es allé encore plus loin avec des chansons très longues et épiques comme « Storm » ou « Silver Leaves ». Était-ce quelque chose que tu voulais davantage explorer dans ce nouvel opus ?

Je ne sais pas précisément d'où cela vient, en fait. Ces derniers temps, j'essaie de faire des chansons plus courtes, mais ce n’est manifestement pas un succès (rires). Quand j'écris des chansons, j'ai tellement de riffs et de variations de riffs en tête... C'est vraiment difficile pour moi de jeter des idées que j’estime être cools uniquement dans le but de faire une chanson plus compacte, comme une chanson de l'Eurovision (rires). J'ai toujours aimé les longues chansons et les chansons progressives. Cela a probablement commencé lorsque j'ai écouté Master of Puppets de Metallica, et notamment la section centrale du titre éponyme. D'autres groupes m'ont probablement influencé avec des chansons plus longues, mais tout pourrait être résumé d’une façon assez simple : je suis juste un fan de musique. Lorsque j'ai une bonne idée, j'aime la mettre en musique et l’écouter longuement avec mon casque pour en apprécier toute la subtilité, les moindres variations. Je ne veux pas que cette sensation s'arrête. J'aime ce genre de long voyage. J'aime aussi les chansons courtes, évidemment, comme dans le rock and roll old school, façon Kiss ou W.A.S.P., ou dans la musique électronique et la musique pop. Mais pour le metal, je trouve que les chansons plus longues fonctionnent souvent bien. On peut faire ce long voyage, y ajouter différentes parties... Le genre s’y prête bien. C'est bien d'avoir des surprises dans la musique, aussi, en variant, en complexifiant. C'est toujours plaisant de surprendre l'auditeur et les chansons plus longues font partie de l’équation que j'essaye de résoudre.

La plupart des groupes de death mélodique finlandais aborde souvent les mêmes sujets dans leurs paroles, leurs artworks et les atmosphères travaillées : la mort, le froid, la nature, leur terre, etc. Je pourrais citer de nombreux groupes finlandais dans cette veine, comme Kalmah. Tu as opté pour une approche un peu différente ces derniers temps. Depuis Time Part I, tu as ajouté beaucoup de sonorités et de mélodies inspirées par la culture japonaise et chinoise.

C'est une influence que j'ai depuis l'âge de six ou sept ans, de mémoire. A l’époque, j’avais un Commodore 64 (ndlr : un ordinateur, ancêtre du PC moderne) avec les jeux Last Ninja et Last Ninja 2. Le fait d'avoir été exposé une première fois à une part de culture asiatique par le prisme de la bande-son de ces jeux a eu une grande influence sur moi. J’ai persévéré dans cette voie et, depuis lors, même lorsque je joue de la guitare et par exemple une gamme pentatonique de base, j'aime ajouter des phrasés qui sonnent comme de la musique folklorique traditionnelle japonaise ou chinoise. La nature a également été présente dans les thèmes que j’aborde, car elle a des racines profondes dans la musique folklorique nordique, qui est ma culture. Mais à l'époque de la sortie du premier album, quelques films comme Tigre et Dragon ou Mémoires d'une Geisha sont sortis, et ils ont continué à avoir une grande influence sur moi. J'adore ces films et leur atmosphère épique. La culture, l'architecture des bâtiments, les cerisiers en fleurs et ces jardins calmes et magnifiques. Il y a quelque chose de magique, de lointain, de mystique dans la culture asiatique qui m’a toujours fasciné. Je voulais donc vraiment explorer ce style pour Time Part I et Time Part II. Et je pense que cette imagerie et ces sonorités collent plutôt bien à la musique de ces deux albums.

Je sais que tu as fait le mastering et le mixage de Time Part I et Time Part II seul. As-tu également été le seul à composer ce nouvel opus, ou les autres membres ont participé ?

J'ai composé toutes les chansons. Bien sûr, j'ai travaillé avec Kai (ndlr : Kai Kahto, le batteur), surtout pour les lignes de batterie. Même chose avec Jukka (ndlr : Jukka Koskinen, le bassiste) qui a ajouté des lignes de basse de qualité. En ce qui concerne Teemu (ndlr : Teemu Mäntysaari, le guitariste), il était un peu nouveau dans le groupe à l'époque, donc il n'a pas eu beaucoup d'influence. Cependant, il a joué beaucoup de guitares mélodiques sur les albums. Je continuais à jouer tous les solos et les guitares rythmiques. Mais oui, les gars ont eu une grande influence sur ces deux albums (ndlr : Time Part I et Time Part II). Lorsque j'écrivais la musique, j'imaginais toujours comment nous allions jouer ensemble le titre en question sur scène. Le premier album était en quelque sorte mon album solo, il n'y avait pas vraiment de groupe. Il n'y avait que Kai et moi qui allions en studio et les chansons étaient déjà écrites, des années auparavant, moi et ma boîte à rythme. Pour Time Part I et Time Part II, le groupe entier s'est davantage investi. Nous sommes un vrai groupe maintenant !

Jari Mäenpää au Hellfest 2013.

Tu me facilites la tâche car ma prochaine question porte précisément sur ce qui va se passer pour Wintersun sur scène. La plupart des membres fait désormais partie d'autres groupes. Certains d'entre eux sont d’ailleurs dans des groupes qui tournent beaucoup, comme Teemu avec Megadeth ou bien encore Jukka avec Nightwish. Comment vois-tu l'avenir de Wintersun sur scène avec tous ces membres qui ont des engagements différents ?

Cela ne me préoccupe pas vraiment. Comme tu le sais certainement, faire des tournées n'a jamais vraiment été ma priorité. Ce que j'aime, c'est travailler en studio et faire de la musique. Je me suis d’ailleurs toujours senti un peu coupable de ne pas vouloir tourner autant que les autres gars du groupe. Je suis vraiment heureux qu’ils puissent aujourd’hui gagner leur vie en jouant dans ces autres groupes géniaux. C'est aussi une sorte de soulagement pour moi, surtout compte tenu de la façon dont s'est déroulé tout le processus de Time Part II. Attention, cela ne veut pas dire que je veux rester en studio toute ma vie. J’espère évidemment partir en tournée à un moment donné et partager la musique de Wintersun avec les fans. Nous devons juste trouver le bon moment qui conviendrait à tout le monde. (Il fait une pause et réfléchit). Je pense aussi que nous pouvons avancer comme ça car Wintersun ne deviendra jamais un groupe qui tourne en permanence. Les gars s'accommodent de cette situation, surtout maintenant qu'ils ont des groupes plus importants avec lesquels ils peuvent gagner leur vie.

Ces dernières années, tu as décidé d'abandonner la guitare sur scène pour te concentrer sur le chant. Est-ce quelque chose que tu vas continuer à faire lors de vos prochaines tournées ? C’est une décision qui a peiné pas mal de fans...

Il ne faut jamais dire jamais, mais le projet est toujours d'avoir Teemu et un autre guitariste de session sur scène. Je ne vais pas reprendre ma guitare en live (rires) ! Je pourrais peut-être jouer une ou deux chansons sur scène, juste pour le plaisir. Mais comme nous sommes un petit groupe, cela pourrait poser des problèmes logistiques, car il faudrait apporter des guitares supplémentaires, etc. Mais, encore une fois, il ne faut jamais dire jamais ! J'aime vraiment cette nouvelle configuration car je peux me concentrer et faire un meilleur job sur scène. La raison principale de ce changement était que je n'étais jamais vraiment heureux lorsque je faisais les deux en même temps. C'était toujours un compromis qui ne me plaisait pas. De plus, je porte déjà tellement de chapeaux différents dans Wintersun... Je m'occupe de la musique, du mixage, du mastering, etc. C'était un peu trop de gérer à la fois le chant et la guitare sur scène, d'autant plus que la musique Wintersun n'est pas la plus facile à jouer en live !

Et quelle est la suite ? Je sais que tu as d'autres albums dans les tuyaux et peut-être qu'il y aura aussi une petite tournée l'année prochaine pour promouvoir Time Part II ?

Rien n'est encore prévu. Nous allons simplement sortir Time Part II et profiter. Ensuite, je me concentrerai sur la sortie du prochain album dès que possible. Je ne peux pas promettre à quelle vitesse je vais le faire (rires). Il y a encore des défis à relever, mais c'est en très bonne voie. Je dirais que le prochain album est terminé à 80 %. En tous cas, il ne se passera probablement rien l'année prochaine, pour être honnête, s'agissant des tournées. Je vais me concentrer sur la réalisation du nouvel album. Une fois qu'il sera terminé, nous verrons ce qui se passera.

C'est triste à entendre, car j'aurais aimé vous voir en live, mais cela se comprend. Une dernière question pour toi : il est évident que tu as été très occupé l'année dernière avec ce nouvel album et les autres en gestation. As-tu encore le temps d'écouter d'autres groupes de metal et plus particulièrement de death metal mélodique ?

Pas vraiment, en réalité. J'ai écouté beaucoup de Synthwave ces derniers temps. J'aime beaucoup Carpenter Brut d’ailleurs ! Je les ai vus trois fois en concert en Finlande. J'aime vraiment ce genre de musique. Quand je compose du metal, je n'ai pas vraiment envie d'en écouter une fois ma journée terminée (rires). Lorsque je travaille sur un album, j'ai en effet tendance à être très analytique. J’analyse les riffs, les compositions de tout titre que je viendrais à écouter. Il y a donc moins d'excitation à ce sujet car je finis par savoir comment tel ou tel nouveau riff se joue. Mais ici et là, il y a toujours de bonnes surprises. En général, je jette une oreille aux titres qui attirent mon attention sur YouTube ou lorsque de nouvelles choses apparaissent sur mon feed Facebook. Il y a encore quelques années, je passais beaucoup de temps à aller chez les disquaires, à acheter des CD, à rentrer chez moi et à écouter de la musique pendant des heures avec mon casque tout en lisant les paroles. C'est rarement le cas aujourd'hui. Mais je ne doute pas qu'il y aura encore de belles surprises dans les années qui viennent !

Merci beaucoup pour cet interview et ta franchise sur toutes les questions posées. Peut-être as-tu un dernier mot à dire aux fans français qui liront cette interview ?

Merci à tous pour votre soutien et votre fidélité. Je vous en suis très reconnaissant. Nous espérons pouvoir revenir dès que possible en France !

Un grand merci à Jari et à Nuclear Blast pour avoir permis cette interview.