Punkach' renégat hellénophile.
La scène Metal extrême grecque n'a rien à envier à celles des pays scandinaves par son ancienneté, sa richesse, et son inventivité. Et si les groupes hellènes peuvent prétendre à une reconnaissance internationale, c'est en grande partie grâce à Rotting Christ (et, dans un autre genre, à Septicflesh), qui les représente à l'étranger depuis maintenant plus de 30 ans.
Dès 1987, la formation, devenue au fil du temps l’œuvre très personnelle de son chanteur et compositeur Sakis Tolis, proposait un Black Metal certes primitif mais très intéressant, alors que les Norvégiens n'avaient pas encore pris l'habitude de jouer avec des allumettes. Album après album, Rotting Christ a incorporé à ses compositions des éléments Doom, gothiques, voire New Wave qui rendent le groupe à la fois fédérateur et accessible à un public peu familier des styles extrêmes.
En 2016, les Athéniens sortaient Rituals, album présenté comme une nouvelle orientation après la trilogie mythologique Theogonia (2007), Aealo (2010), et Kata Ton Daimona Eaytoy (2013). Avec chaque piste consacrée à une culture ou une pensée religieuse différente, Rituals paraissait déconcertant à sa sortie, un peu bordélique même, un poème de Baudelaire y côtoyant des morceaux en sanskrit ou en araméen. Si j'avoue avoir eu du mal à l'apprécier à l'époque, cet album a quand même introduit d'excellents morceaux en live, comme « In Nomine Dei Nostri », ou « Elthe Kyrie ». Rituals mérite, je pense, que le disciple circonspect lui consacre à nouveau une oreille après deux ans de maturation.
Avec The Heretics, Sakis poursuit donc sa quête des mystères de la foi en s'intéressant aux penseurs qui ont osé, par leur voix ou leur plume, remettre en question le dogme chrétien.
Dès « In The Name of God » on retrouve ces riffs saccadés devenus la signature du groupe. Ceux-ci s'alternent efficacement avec des passages plus aériens, le tout formant une intéressante entrée en matière. Le tempo s'accélère sur le très réussi « Vetry Zlye » porté par le chant de la cantatrice russe Irina Zybina, du groupe de Pagan/Folk Grai. Celle-ci fait magnifiquement s'envoler le refrain et complète à merveille les chœurs, omniprésents sur The Heretics, pour mettre des paroles sur le sentiment d'extase religieuse, tandis que la partie instrumentale, étonnamment légère, prend des accents Power Metal pour le moins inattendus. Un des plus beaux passages de l'album, quoiqu'un peu court. « Heaven and Hell and Fire », retourne vers un style plus typique de Rotting Christ en conjuguant un rythme rapide avec un chœur masculin parfait pour un pogo en robe de bure, tandis que Sakis se permet quelques soli de guitare.
L'album prend ensuite un virage plus introspectif et plus lent durant trois morceaux, hélas un peu répétitifs : « Hallowed Be Thy Name » me paraît longuet alors qu'il ne dure que cinq minutes, mais arrive quand même à susciter une certaine ambiance mystique. « Dies Irae » continue sur la même lancée en mettant encore plus en avant le chant qui monte de la sacristie, mais le texte récité sur fond de guitares saturées de « I Believe » vire un peu à la cacophonie.
« Fire God and Fear », entamé par une citation bien connue de Voltaire récitée par l'écrivain britannique Dayal Patterson, me fait revenir dans l'album. Cette ligne droite musicale se révèle très efficace, et rappelle ce que Sakis composait à l'époque de Kata Ton Daimona Eaytoy. Je suis curieux de découvrir ce que ce morceau donnera en live.
« The Time Has Come » me parait ensuite un peu long avec son chant orientalisant sorti d'outre-tombe, ce qui est dommage car c'est quand même Ashmedi de Melechesh qui est derrière le micro. The Heretics rebondit sur un « The New Messiah » aux effets de voix entêtants, tandis que la guitare me rappelle quelque peu la période New Wave/Doom que le groupe professait dans les années 90. L'album se conclut sur un « The Raven » correct bien que peu novateur en guise d'hommage à Edgar Allan Poe, dont les extraits littéraires sont portés par la puissante voix de Stratis Steele, chanteur du groupe de power grec Endomain.
Après un Rituals qui partait un peu dans tous les sens, The Heretics apparaît comme une œuvre plus cohérente, en termes de style comme d'atmosphère. Sakis, qui n'a jamais caché que son rejet des dogmes s'était toujours doublé d'une fascination pour le phénomène religieux, nous fait découvrir le rayon de sa bibliothèque consacré aux penseurs et écrivains voués aux gémonies par l’Église. Une démarche qui vire un peu au catalogue, mais somme toute cohérente pour un artiste qui a basé sa philosophie sur l'esprit critique, la libre pensée et le rejet de l'argument d'autorité.
Si presque tous les morceaux sont efficaces, ils en deviennent peut-être un peu trop semblables, et le long passage mid tempo en milieu d'album casse son rythme. En outre, aucun hymne ne s'en dégage vraiment. « Vetry Zlye » et « Fire God and Fear » sont de très bons morceaux mais n'atteignent pas pour autant la puissance dont Rotting Christ faisait preuve auparavant. L’Évangile selon Sakis Tolis n'est sans doute pas la porte d'entrée la plus évidente vers l’œuvre des Grecs impies. Toutefois, qui ne se braquera pas dans une attitude trop nostalgique percevra la lumière qui émane encore du Christ décati. Car en un temps où de nombreux groupes cultes de la scène extrême ne font plus que resservir des recettes éculées, Rotting Christ ne craint pas de brusquer ses fans. Et ça, c'est une vraie démarche artistique.
Tracklist :
1. In The Name of God
2. Vetry Zlye (Ветры злые)
3. Heaven and Hell and Fire
4. Hallowed Be Thy Name
5. Dies Irae
6. I Believe (ΠΙΣΤΕΥΩ)
7. Fire God And Fear
8. The Voice of the Universe
9. The New Messiah
10. The Raven