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vendredi 18 octobre 2024

35 years of evil existence : Rotting Christ + Borknagar + Seth

The Black Lab - Tourcoing

Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Le moins qu'on puisse dire de cette tournée, c'est qu'elle est éclectique. Trois groupes, trois ambiances différentes, mais aussi trois albums sortis dans l'année à défendre ce soir. Et si les trois noms sur l'affiche m'intriguent beaucoup, il y en a un en particulier, qui a beaucoup influencé ma culture musicale – je vous laisse deviner lequel - et qui doit nous offrir ce soir un concert événement pour ses 35 ans (ou, plus exactement, ceux de son premier EP, mais je pinaille).

De quoi me mettre en route mi-enthousiaste et mi-intrigué vers le Black Lab, pour cette date coorganisée par Cerbère Coryphée et Garmonbozia. Hélas, avant même l'enfer des pavés du nord, je dois braver celui des chemins de fer belge, qui, pour une raison indépendante de leur volonté et encore moins de la mienne, me feront parcourir Bruxelles – Tourcoing en plus de trois heures, record battu. Un retard qui me fait manquer une partie non négligeable du concert de Seth, et comme les Français de l'étape n'avaient guère plus de 40 minutes de temps de jeu, j'aurai du mal à trouver le temps d'entrer dans leur sarabande, alors que je me faufile dans une salle déjà archi-bondée.

Seth

Je n'ai vu la bande à Saint-Vincent qu'une seule fois auparavant, dans le cadre bien particulier de l'In Theatrum Denomium, dans lequel le groupe semblait très à sa place, quitte à assumer une mise en scène aussi néo-baroque que le théâtre en question. Mais cette fois, contraintes de tournée oblige, sans doute, pas d'autel, de calice, ni de victime sacrificielle. Seth est là pour un assaut furieux, direct et sans temps mort ni fioritures. Il faut dire que son nouvel album, La France des Maudits – on en a parlé ici – s'y prête très bien, en particulier avec des pistes comme « Insurrection ». Là encore, rien de théâtral, mais une vraie rage sur scène, avec des guitaristes possédés qui virevoltent autour d'un chanteur hiératique. On en viendrait à souhaiter que le public connaisse assez les textes pour les reprendre en chœur, ce qui, d'où je suis placé, ne me semble pas le cas, à part peut-être un ou deux fanatiques des premiers rangs. Si la setlist est courte, le groupe l'a soignée aux petits oignons avec les morceaux les plus efficaces de l'album précédent, « Metal Noir », bien sûr, mais aussi « Hymne au Vampire (Acte III) » en guise de salut final à un public nordiste qui en redemande. Saint-Vincent prend le temps de remercier longuement, comme en terrain conquis, avant de souhaiter un aussi bon accueil aux groupes qui vont suivre. Impérial et imparable.

 

Borknagar

Entre Borknagar et la tête d'affiche, je ne saurais trop décider quel est le groupe qui s'est le plus éloigné de ses racines black metal. Alors que les Norvégiens ont commencé leur carrière dans les rangs des légions de la deuxième vague, ils professent maintenant une sorte de psychédélisme hyperboréen, où les liens avec leurs premières compositions ne sont certes pas introuvables, mais restent quand même fort ténus. Si j'aime beaucoup certains morceaux récents de Borknagar, en live, il y a déjà quelques années, dans un festival belge, je n'avais pas été convaincu. Eh bien, ça sera très différent cette fois-ci Outre-Quiévrain. Les gars de Bergen entament directement leur set sur « Nordic Anthem », sans doute un des plus efficaces de Fall, leur nouvel album, et c'est là un allez-simple vers Alfheim, à califourchon sur l'aurore boréale. On continuera à planer sur une version presque intimiste de « The Fire That Burns », avant que Bornknagar ne nous sorte son grand jeu.

« Up North » bien sûr, éternelle chevauchée en croupe des valkyries, avant que les lumières ne se fassent plus tamisées, et qu'on ne distingue plus que Lars Are Nedland derrière son clavier. Et celui-ci entame « Voices », superbe bal(l)ade intérieure et solitaire, au milieu des lumières bleues et mauves du ciel boréal. On pourrait craindre que la performance soit trop lointaine, ou n'en devienne impersonnelle, mais pas du tout ; les Norvégiens ne sont pas plus causants que cela, mais ils sont bien avec nous et occupent la scène, professionnels certes, mais sans cacher qu'ils sont contents d'être là, en particulier ICS Vortex, véritable menhir inébranlable mais souriant.

Il faut dire que le son est quasiment parfait tout du long, à peine une petite saturation sur « Moon », mais les voix restent toujours bien présentes tandis que les lights soulignent au mieux l'ensemble. Je n'ai pas assez vu Borknagar pou déterminer si j'ai eu droit à un concert plus soigné que la moyenne ; mais si c'est là le niveau habituel des prestations du groupe, alors j'en sors l'âme apaisée, et j'en recommande vivement l'expérience.

Setlist :
 

Nordic Anthem

The Fire That Burns

The Rhymes of the Mountain

Up North

Voices

Colossus

Moon

Summits

Dauden

Winter Thrice

 

Rotting Christ

Vient là le moment de vérité de la soirée. On l'aura compris, je suis un fan de longue date de Rotting Christ, qui a joué un rôle fondamental dans mon apprentissage musical. Mais cela fait deux albums, au bas mot, que le groupe de Sakis Tolis peine à me faire frissonner et, disons-le, à m'intéresser. Et pourtant, je m'entête à les poncer – je m'attarde d'ailleurs sur ce problème dans mes chroniques de The Heretics et de Pro Xristou. Sur scène par contre, jamais Rotting Christ ne m'a déçu. Sakis, Themis, et leurs renforts plus ou moins réguliers foutent systématiquement un feu tout grec partout où ils passent, avec l'assurance d'un groupe aguerri qui prend toujours plaisir à jouer au contact des premiers rangs, et dans d'assez petites salles.

Ma vraie crainte était la setlist, et je suis un brin surpris de reconnaître l'intro de « Aealo » quand débarquent les Hellènes - premier morceau d'un album un peu mal aimé, mais qui a ses bons moments. Pourquoi pas. C'est d'ailleurs de cet opus aussi que provient « Demonon Vrosis », signal habituel qu'il est temps de suer sang et eau. Ce qui ne manque pas d'arriver d'ailleurs, la fosse échangeant des amabilités et des phalanges dans une joyeuse mêlée, régulièrement exhortée par Sakis ou par le guitariste crétois Foukarakis à refaire un tour de piste. La soirée demande quand même une certaine endurance, d'autant que le prochain morceau n'est autre que le cultissime « Kata Ton Daimona Eaytoy ». Alors, bien sûr, les chœurs féminins sont samplés, mais on s'en fiche, on invoque tout aussi bien les lémures comme ça.

C'est dans l'ensemble un bon échauffement, et c'est seulement ensuite que « Like Father, Like Son » passe au jugement. Comme sur album, ce nouveau morceau se révèle facile à chanter et donc communicatif. Même si pour ma part, il marquera le début d'un passage à vide, qui se prolongera sur « Elthe Kyrie » ; quitte à ne garder qu'un morceau de Rituals, je n'aurais pas mis mon obole sur celui-ci.

Heureusement, Rotting Christ prendra soin de mes sentiments de vétéran et m'offre quelques reliques avec empressement. « The Sign of Evil Existence » et surtout « Non Serviam », qui remet une pièce dans la machine. Sur scène aussi d'ailleurs : on brandit les manches et on les fait vibrer, tandis que Sakis éructe dans son micro, comme habité à nouveau par la rage de ces vieux pamphlets bien plus ancrés dans le black metal des années 90. En comparaison, l'enthousiasme semblait quand même un peu plus forcé sur les morceaux sortis après 2013. C'est d'ailleurs sur quelques morceaux de bravoure de ce qu'on peut appeler avec le recul un âge d'or que nos Grecs boucleront leur anabase tourquennoise. Deux pistes, toujours aussi efficaces, de Κατά τον δαίμονα εαυτού, une autre d'Aealo (que bien peu de gens savent écouter d'une traite, je sais, mais qui a ses bons passages, je le répète), et puis une reprise de Thou Art Lord qui a près de 30 ans. Cela reste une très bonne impression finale, certes, et c'est aussi pour ça que je m'éclipse avant le rappel.

Setlist :

Aealo

Pretty World, Pretty Dies

Demonon Vrosis

Kata Ton Daimona Eaytoy

Like Father, Like Son

Elthe Kyrie

…Pir Threontai

The Sign of Evil Existence

Non Serviam

Societas Satanas

(Thou Art Lord cover)

In Yumen-Xibalba

Grandis Spiritus Diavolos

Noctis Era

The Raven

La soirée fut dense, éclectique, et, je le rappelle, vraiment top pour tout ce qui touche au son et à l'organisation, malgré une salle comble. Musicalement, j'en retiendrai un Seth en forme, mais surtout un Borknagar inspiré et inspirant, progressif, certes, mais qui a su accompagner son public dans son trip boréal. Le cas Rotting Christ est plus compliqué. Oui, les Grecs ont fait un concert fort prenant. Mais je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir un groupe qui se force un peu, dès qu'il présente ses morceaux plus récents – et qui ne s'y attarde pas trop, pour retourner vers des chapitres plus convaincants de son histoire. Or, une tournée anniversaire aurait pu être l'occasion de jouer à fond la carte de la nostalgie ; on aura, au final, rien entendu de ce premier EP de 1991. Même pas « The Forest of N'Gai », pourtant un classique en live. Bref, je garde un profond respect pour ce qu'a fait Sakis Tolis au sein de Rotting Christ et pour la scène grecque en général, mais j'ai eu peine à me rappeler qu'il s'agissait là d'une tournée événement. Mais ça n'est pas pour autant que j'aie passé une mauvaise soirée. Il n'y a rien à renier ; le sceau que Rotting Christ a gravé en 35 ans dans la scène metal ne s'est pas brisé, tant s'en faut.

 

[Merci à Garmonbozia et à Cerbère Coryphée pour le pass photo et pour l'accueil, ainsi qu'à l'équipe du Black Lab pour une organisation irréprochable]