"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Habitué aux productions de Death/Black bien brutales et cradingues, le label polonais Godz Ov War Productions nous dégote parfois de belles pépites qui sortent un peu des sentiers battus et rebattus, toujours dans sa florissante scène locale. Il y a un an c’était Transsatanizm de Biesy qui avait surpris son monde avec son Black-Metal ultra expérimental et pétaradant, jusque pour sa pochette. Mais Biesy n’était pas un inconnu et s’était déjà fait remarquer avec un premier album, bien que très différent de son successeur. Pour le coup, Godz Ov War a donc fait une belle découverte avec ce vrai newcomer qu’est l’imprononçable Angrrsth. Qui n’existe que depuis 2018, année où il avait signé en avril un premier EP, Znikąd, que Godz Ov War pressera en CD quelques mois plus tard. Quatuor originaire de Toruń, Angrrsth n’est pas le genre de groupe qui voit se croiser des musiciens connus avec un CV long comme le bras comme c’est souvent le cas dans la scène extrême polonaise. Le guitariste Grisch et le chanteur Hermann participent/ont participé à des formations inconnues au bataillon par chez nous et c’est tout. Angrrsth vient bien du cru et trois ans après sa formation, va nous proposer son premier full-length qu’est Donikąd (oui, avec un ą cédille). Que devons-nous attendre ? Avec son nom inimitable, son logo bien stylisé et ses pochettes plutôt léchées (celle de Znikąd était déjà réussie et celle de cet album, est pour le moins originale), Angrrsth a tout d’une nouvelle formation bien expérimentale comme la Pologne sait parfois enfanter. Sur Znikąd, le groupe se présentait malgré tout d’une manière classique même s’il brassait large, entre un Black terreux mais mélodique, du Black/Death offensif ou même du Black/Thrash plus cracra et groovy aux frontières du Black’n’Roll. L’originalité était surtout à aller chercher du côté des chants, assez variés et souvent déglingués. Angrrsth ne semble donc pas vraiment se présenter comme un combo très singulier mais on a bien vu qu’entre le premier et le deuxième album de Biesy, on pouvait s’attendre à tout… Mais tuons le suspense : le résultat sera malgré tout loin des délires du deuxième album de Faustyna IHS Moreau. Qu’attendre alors de ce premier opus longue-durée de Angrrsth ? Eh bien, du lourd.
Première chose, Angrrsth est bien un groupe polonais. Gros son au programme, bien qu’il est ici plus rugueux et organique que la moyenne. Les moments plus thrashy et cradingues de Znikąd laissent ici la place nette à un Black/Death plus homogène et équilibré, encore une fois très polonais. Et quand Angrrsth tend vers la mélodie, dès l’ouverture sur "Ciało Me Wyklęte" d’ailleurs, on va indubitablement faire un rapprochement avec le très populaire Mgła, pour toujours plus de Pologne dans l’équation. Se nichant ainsi dans un Black/Death qui sait s’aérer quand c’est nécessaire, Angrrsth est donc un groupe très complet. Qui n’a peut-être pas grande originalité au premier abord mais la formation va faire des efforts remarquables pour tenter de se démarquer. Déjà au niveau des chants, qui se partagent principalement entre des vocaux Black bien saignants et un chant plus aigu et élancé qui s’exprime sans crier gare, avec quelques variations et le tout intégralement en polonais (avec les noms de morceaux particuliers qui vont bien). Chants qui font aussi une grande partie de l’identité parfois étrange de Angrrsth, mais il y aura encore quelques surprises au menu. Mais on commence d’abord avec "Ciało Me Wyklęte", qui mine de rien pose déjà un sacré tableau avec des ambiances légèrement éthérées en toile de fond. On s’attarde malgré tout sur le riffing bien martial et percutant, soutenu par quelques blasts plus ou moins véloces, et là-dessus se posent les chants si particuliers ainsi que de nombreux plans mélodiques. Angrrsth fait donc déjà montre de sa personnalité, et surtout de son inspiration, arrivant à captiver facilement l’attention grâce à des choses simples en apparence mais tellement bien ficelées. On s’attend donc à être conquis par les peut-être courtes 36 minutes de Donikąd, qui enchaîne d’ailleurs sur "Niebiański Pogrzeb", morceau le plus long de l’album et qui avait d’ailleurs été présenté en single l’été dernier. Entre des compos franchement entraînantes qui font taper du pied ou moulinent façon Death bien dark, des mélodies un peu désenchantées et des vocaux toujours aussi possédés, cette piste confirme déjà largement les dispositions de Angrrsth entrevues sur "Ciało Me Wyklęte" et l’on se dit déjà qu’on tient quelque chose de bien énorme. La suite ne fera que révéler le potentiel incroyable de Angrrsth qui pourrait bien se poser comme une véritable révélation dans ce microcosme polono-polonais.
Et "Niech Się Zaprze Samego Siebie" de déjà bien surprendre son monde avec son ouverture sur des sortes de chœurs accompagnant un riffing ultra massif, laissant ensuite mélodies et blasts s’entremêler dans une certaine ferveur apocalyptique. Mine de rien, Angrrsth réussit déjà à poser un style assez singulier, plutôt imprévisible même si les influences sont évidentes (Mgła en tête encore ici). Et le tout va vraiment exploser avec les morceaux suivants, à commencer par l’absolument excellent "A Czego Tu Się Bać?", démarrant par un Black-Metal intense et libérateur aux riffs coups-de-poing et aux mélodies décharnées, avant de se terminer de manière irrésistible avec d’incroyables riffs Death archi terreux accompagnés d’une basse vrombissante, nous amenant à un final particulièrement épique, le tout en 4 minutes à peine. Et que dire du départ totalement imparable de "Pierwszy Jest Strach" avec son riff absolument ultime, autant dire que l’enchaînement de ceci et de la seconde partie de "A Czego Tu Się Bać?" est assurément le moment fort de ce Donikąd. Si le reste de "Pierwszy Jest Strach" donne dans un Black/Death plus classique, Angrrsth repart fort derrière avec "Niebyt Zmyślony" où l’on retrouve directement ces chœurs astraux improbables d’entrée de jeu. Pour, forcément, un des morceaux les plus épiques de l’album, jouant encore sur la dualité entre trémolos mélodiques assez lumineux et blasts (avec ici un final très salvateur), avec quelques moments d’ambiance bien sentis comme ce break semi-acoustique assez savoureux. Dans cette lignée, "Ostatni Akt" clôture (déjà) Donikąd avec un bel ensemble de mélodies mirifiques et d’assauts Black/Death libérateurs (avec quelques riffs plus groovy rappelant Znikąd), et une dernière performance remarquable de Hermann aux vocaux. Et autant dire que le bilan en vaut bien la chandelle. Si l’album peut paraître court au regard du sacré potentiel que montre Angrrsth, il n’y a rien à jeter et on ne s’en lasse pas, pire il se forme bien vite une addiction à ce Black/Death terriblement efficace et suffisamment innovant pour avoir un fort goût de reviens-y. La révélation en matière de Metal extrême polonais ? Oui, assurément. Angrrsth a déjà trouvé le bon équilibre entre le Black/Death bien puissant et le Mgła worship, tout en apportant quelques singularités qui font mouche. C’est bien vu, c’est la recette gagnante et c’est un régal. Album resplendissant, bourré de feeling et de bonnes idées, Donikąd est une franche réussite. Et pose Angrrsth comme un « next big thing », qui pourtant a déjà réussi son coup avec un premier full-length particulièrement enthousiasmant et déjà totalement convaincant. Godz Ov War a eu le nez creux, et même si Angrrsth n’est pas facile à écrire et à prononcer, c’est un nom qui s’est fait admirablement remarquer et qu’on va retenir illico.
Tracklist de Donikąd :
1. Ciało Me Wyklęte (5:00)
2. Niebiański Pogrzeb (7:35)
3. Niech Się Zaprze Samego Siebie (4:54)
4. A Czego Tu Się Bać? (4:20)
5. Pierwszy Jest Strach (3:42)
6. Niebyt Zmyślony (4:04)
7. Ostatni Akt (6:18)