3 albums pour (re)découvrir Rotting Christ
samedi 9 mai 2020Punkach' renégat hellénophile.
Parmi les groupes dont la carrière s'étend sur plusieurs décennies, il y a globalement deux cas d'école. Certains reproduisent la même recette d'album en album, sans une once d'épice supplémentaire, tandis que d'autres tentent de surprendre l'auditeur à chaque nouvelle sortie, au risque de le perdre en cours de route. Rotting Christ fait incontestablement partie de cette seconde catégorie et, en 30 ans, les Grecs ont eu le temps de défier plusieurs fois toute classification musicale. A tel point que, pour qui découvrirait le groupe avec ses albums les plus récents, un petit bilan me semble nécessaire pour appréhender la dimension historique de la formation des frères Tolis. Evidemment, trois albums c'est très peu pour présenter un groupe qui les a parfois sortis en rafale. Mais après tout, faire des choix reste un exercice plutôt sain, et je serai curieux de découvrir d'éventuels avis contraires !
Triarchy of the Lost Lovers -1996
Le troisième album de Rotting Christ est pour moi celui d'une première maturité. Le groupe, qui réunit encore son trio de fondateurs, a peaufiné les derniers réglages de sa version ô combien reconnaissable du Black Metal, pour donner naissance à un véritable canon de l'école grecque. De "King of a Stellar War" à "Archon", Sakis Tolis nous scande une fascinante mythologie rythmée de dissonances qui ne manquent jamais de me transporter au loin, à la découverte d'intrigues d'outre-monde pleines de grâce et de fureur. Rotting Christ fonctionne souvent par trilogie, et si Triarchy of the Lost Lovers clôt le chapitre purement Black Metal du groupe, l'album contient déjà quelques pistes pour la suite. Des passages épiques, mais aussi d'autres plus mélodiques, sur "One with the Forest", ou "Diastric Alchemy". Des riffs lancinants qui annoncent la période gothique du groupe, qui commence pleinement avec l'album suivant, A Dead Poem, dont les accents quasiment New Wave ont bien failli lui mériter une place dans ce bilan. Le choix fut difficile, mais Triarchy of the Lost Lovers s'est finalement imposé par son aspect transitoire, ainsi que sa production très propre, dont ne bénéficiaient pas toujours les reliques plus anciennes. Un album à (re)découvrir de ce pas pour qui s'intéresse de près ou de loin à la scène grecque émergente des années 90, et d'autant plus pour ceux qui ne jurent que par la Scandinavie !
Genesis - 2002
Les prémisses du XXIème siècle marquaient le début d'une période complexe pour Rotting Christ : le groupe, devenu entre-temps le projet très personnel de Sakis Tolis, est confronté aux départs de membres, au doute, et à une professionnalisation difficile. La formation se perd un peu dans des expérimentations gothiques, et je retourne rarement vers les albums de cette période, même si chacun d'entre eux abritait quelques morceaux très réussis. Genesis fait figure d'exception : dès "Quintessence" et son envoûtant refrain à la voix claire, ce disque m'emmène dans un long périple onirique toujours à deux doigts de virer au cauchemar. "In Domine Sathana" démontre que le talent de Rotting Christ pour composer des hymnes mystiques à scander en live ne date pas des albums les plus récents, tandis que le riff nerveux qui surgit d'un "Release Me" qui paraissait introspectif me surprend à chaque fois. Cette étape de la carrière de Rotting Christ n'est pas celle qui a le mieux vieilli, mais Genesis reste un album fascinant, tant il associe les éléments Black Metal et la rythmique saccadée des débuts avec des claviers gothiques, mais aussi les riffs aériens et les chœurs d'un "The Call Of The Aethyrs", ou les incantations latines de "Under The Name Of Legion" qui annoncent les futures compositions plus rituelles. Genesis fait partie de ces albums qui doivent s'écouter d'une traite pour être appréciés à leur juste valeur, tant ils forment un tout cohérent. Je reste d'ailleurs sur mon interprétation que cette œuvre nous conte une descente dans l'Érèbe suivie d'une renaissance. Mais c'est très orphique, j'en conviens.
Κατά τον δαίμονα εαυτού - 2013
Je l'ai déjà écrit, Rotting Christ fonctionne peu ou prou par trilogie d'albums. Et celle que j'ai la plus appréciée, en grande partie car c'est à ce moment de son histoire que j'ai découvert le groupe, reste celle composée du splendide Theogonia, du mal-aimé AEALO et de Κατά τον δαίμονα εαυτού. C'est ce dernier que j'ai fini par choisir tant il rassemble tout ce qui m'a plu dès les premières notes d'un concert de mi-journée dans un défunt festival de Heavy/Power en Belgique. Là où les deux albums précédents se concentraient sur la psyché méditerranéenne en général et grecque en particulier, Sakis Tolis écrit cette fois sur les rites et les croyances de cultures très différentes. Dès "In Yumen - Xibalba", nous voici dans le monde souterrain des Mayas, dirigé par les dieux de la Mort et de la Maladie, tandis que l'inoubliable "Grandis Spiritus Diavolos", entièrement chanté en latin, crée un irrésistible besoin de ce joindre à ce chœur aussi satanique que fervent. Le morceau-titre est probablement uns des plus prenants en 30 ans de carrière, alors que "Cine iubește și lasă" marque la meilleure utilisation d'un chant clair féminin – celui de Souzana Vougioukli - dans une composition de Sakis Tolis. A titre personnel, je pense que ce sont les titres orientalisants qui reflètent le mieux la fibre Rotting Christ ; chaque écoute de "Gilgameš" me replonge dans les exploits de l'ancien roi d'Uruk, un personnage qui ferait passer l'adjectif biblique comme une marque de condescendance, et l'appel à la prière de "Ahura Mazdā/Aŋra Mainiuu" me perd dans la contemplation des flammes sacrées. Mais pas un seul morceau de Κατά τον δαίμονα εαυτού n'apparaît plus faible que les autres, faisant pour moi de cet album le plus réussi de la carrière de Rottting Chist, jusqu'à présent. Bien que Theogonia ne lui cède que d'une courte tête. Depuis, la formation grecque a pris une orientation beaucoup plus religieuse qui, je dois l'admettre, manque un peu de souffle épique. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne se réinventera pas une fois de plus. "Non Serviam" encore et toujours !