
Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Si l'art, quelque soit sa forme, est l'expression d'une liberté, il n'est pas rare que sa création soit soumise à une ou des contraintes, choisies ou subies. Face à l'oeuvre avant-gardiste d'Imperial Triumphant, on pourrait se dire que le trio s'est justement affranchi de toutes contraintes, choisissant de manoeuvrer de sorte à briser les barrières des styles et des formes. Pourtant, les New-Yorkais se sont fixés une contrainte forte pour la composition de leur sixième album, Goldstar, à savoir une limite de format dans les titres : rester en dessous des cinq minutes. Et lorsqu'on jette un oeil aux tracklists de la discographie du groupe, on voit que leur zone de confort pour déployer leur tentaculaire metal d'avant-garde est plutôt autour des sept minutes. Il est donc fort probable que leurs réflexes de composition ont dû être revus. Mais, autant le dire de suite, ils sont parvenus à le faire sans abaisser ni l'intensité, ni la qualité de leur musique.
Que nous propose Goldstar alors ? Un regard sur l'humain moderne, un voyage à travers la décadence d'une ville, une compression sonore qui nous amène à traverser l'histoire américaine et occidentale. « Eyes of Mars » ouvre le portail avec une introduction presque martiale, tout en rythme, où le trio guitare / basse / batterie est réhaussé d'une couche de cuivre dont le groupe a le secret, à la fois épique et dissonnante. Les trois musiciens masqués nous baladent ensuite dans un monde étrange, à l'onirisme inquiétant. On y découvre une sarabande de Handel tout en brutalité (« Hotel Sphinx »), une exploration hallucinée d'un des plus vieux bâtiments new-yorkais (« Lexingtion Delirium », sur lequel Tomas Haake place quelques phrases en spoken word), ainsi qu'une plongée dans le chaos de la Big Apple (le très bref et grindcore « NEWYORKCITY », avec le désormais classique featuring de Yoshiko Ohara et ses hurlements possédés), immédiatement suivie d'une fausse publicité très entre-deux-guerres pour des cigarettes Goldstar (« Goldstar »). Les premières écoutes donnent la sensation de ne plus trop savoir où l'on est et surtout où l'on va. Mais au fil des replongées, qu'il est impossible de réfrener, apparait une cohérence qui n'a rien de logique mais tout de sensoriel, de la même manière que ce qui nous arrive en rêve semble parfaitement normal jusqu'à ce qu'on se réveille.
Sans doute du fait de la contrainte sus-mentionnée, Goldstar incorpore moins d'éléments jazz et reste plus accroché au metal avant-gardiste basé sur le riff. Mais comme d'habitude, s'agissant de riffs, Imperial Triumphant les construit à sa manière : imprévisibles, chaotiques et étouffants. « Rot Moderne » et « Gomorrah Nouveaux » s'approche davantage des compositions de Vile Luxury et Alphaville que de celles de Spirit of Ecstasy. Mais l'envie de compacter leur magma sonore (une nouvelle fois produit par l'incontournable Colin Marston) avec des éléments venus d'ailleurs ne leur est pas complètement passée, en témoigne l'invitation de Dave Lombardo sur « Pleasuredome » où le légendaire batteur de Slayer s'empare de percussions cubaines, ses premières amours musicales, pour nous plonger dans un temple de la luxure et de la dégradation. Et en guise de final, « Industry of Misery », seul titre à sortir largement du carcan des cinq minutes (désobéir à ses propres règles lorsque la nécessité se fait sentir, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus libre ?), avec sa basse affolée et ses riffs en tension, nous guide lentement vers la sortie, avec le sentiment d'avoir entrevu quelque chose de tellement important qu'il est impossible de le transmettre.
Ode à New-York d'inspiration kubricienne, cri de désespoir face à l'état du monde, compaction d'un siècle en moins de quarante minutes, Goldstar est tout cela à la fois. Et tout en fin de course, alors que l'on s'enfonce dans l'obscurité, un orgue vient éclairer le monde. Mais il l'éclaire un peu comme l'iconique foetus astral nous regarde à la fin de 2001, l'Odyssée de l'espace, sans chaleur ni compassion, avec la distance de celui qui voit au-delà des étoiles.
Tracklist de Goldstar :
01.Eyes of Mars
02.Gomorrah Nouveaux
03.Lexington Delirium
04.Hotel Sphinx
05.NEWYORKCITY
06.Goldstar
07.Rot Moderne
08.Pleasuredome
09.Industry of Misery