Rotting Christ + Carnation + The Committee + Serpents Oath @ Avelgem
GC Spikkerelle - Avelgem
Punkach' renégat hellénophile.
Il y a des affiches qu'on ne comprend pas vraiment, et celle de cet Hard Rock Fest Avelgem fait partie du lot ; quel est l'intérêt de programmer un quadrige de groupes très valables un vendredi soir, pour ensuite ne proposer qu'une flopée de tribute bands le lendemain ?!? Enfin quoiqu'il en soit, ce festival bénéficie d'une première moitié de l'affiche véritablement immanquable après ces longs mois de disette. Serpents Oath et Carnation d'abord, deux formations locales mais visiblement solides – et dont, joie de la dichotomie culturelle belge, je n'avais jamais entendu parler auparavant. Et puis surtout The Committee et Rotting Christ, qui comptent parmi mes groupes favoris depuis de nombreuses années.
Nous voici donc à Avelgem, petite cité de Flandre Occidentale que l'on devine cossue, derrière ses façades de briques et ses rues commerçantes. Le temps de goûter la Vandeerghinste, une roodbruin locale fort correcte, et nous voici sur le lieu des hostilités. La GC Spikkerelle, un grand cube de béton et de verre construit sur un modèle qui devient courant en Belgique. Les lieux ne sont pas gigantesques, 500 personnes au maximum, ce qui s'avère plutôt positif : faire un concert c'est une chose, mais sans masque ni certificat vaccinal, et ce dans la plus totale légalité, cela semble encore presque surréaliste. Et plutôt que l'infâme et hélas habituelle Jupiler, on y sert de la Stella Artois, dans des gobelets réutilisables qui plus est. Et on s'étonnera que j'apprécie la Flandre.
Serpents Oath
Le timing est serré, et Serpents Oath n'est pas là pour bailler aux corneilles : quelques volutes d'encens et le groupe se lance dans une course effrénée pour égrainer un maximum de morceaux de leur premier album, Nihil (12 pistes, 36 minutes!), sorti l'année dernière. Et les Flamands ont la subtilité d'en varier l'agencement en commençant par "Into the Abyss", suivi d'un "Leviathan Speaks" fort cohérent, et qui laisse au chanteur Tes Re Oth toute l’opportunité de faire monter sa voix en puissance. Car le frontman fait preuve d'un organe hallucinant, le dos cambré et la tête en arrière, il tient sur les épaules une bonne partie de la prestation, soutenu il est vrai par une instrumentation huilée à la perfection et une acoustique de très grande qualité. Serpents Oath fait partie de ces groupes plutôt bons sur album, mais dont le potentiel se révèle pleinement sur scène. Et nul besoin de grand décorum pour que le public suive, même si deux vasques enflammées sont allumées sur un "The Beast Reborn" qui laisse la place à un duo guitares/batterie à la précision infernale et à un travail à plusieurs voix rôdé à la perfection. Après un "Speaking in Tongues" qui fera office de rappel, le groupe rend la scène, visiblement reconnaissant envers un public – à juste titre- acquis à sa cause.
[Détail amusant : le second étage de Spikkerelle est en fait une grande galerie vitrée faisant le tour de la salle qui sert au catering, ce qui nous laisse apercevoir les membres des groupes, dont un Sakis Tolis visiblement toujours aussi accessible.]
The Committee
Petite surprise au programme, c'est finalement The Committee qui arrive en deuxième vague alors que je les imaginais plus haut sur l'affiche. On se place donc en première ligne tant que c'est encore possible. Pour leur premier concert en deux ans, on s’interroge sur la setlist du groupe aux cagoules, d'autant qu'il a sorti entretemps un troisième album, Utopian Deception, que je trouve personnellement très abouti même si j'admets qu'il partage des sonorités avec Mgla. Pas de concession : le groupuscule part directement à l'assaut avec "Man of Steel" et son implacable rouleau compresseur en guise de rythmique tandis que Igor Mortis éructe les hauts faits du Tsar rouge. Pas de place au déviationnisme historique : l'audience est toute acquise à l'orateur malgré une configuration moins grandiloquente qu'à un Thronefest par exemple, sans tribune pour le tribun ni faux brandie pour la purge. "Lexi-Con"et "Harrowing the Sane", issues du dernier album, se révèlent efficaces, mais c'est l'hypnotique refrain de "Synthetic, Organic Gods" qui provoque la transe d'une partie de l'audience - « Drink and snort your destiny », ce qui ne manque pas d'ironie vu la descente générale. Et puis vient le morceau que tout le monde attendait : quelques accords lents et martiaux, teintés tant de fatalité que de fureur qui annoncent "Katherine's Chant", et surtout son final qu'on espérait tous quand un cinquième conspirateur monte sur scène pour entame le fameux couplet final en russe devant une assemblée prête à collectiviser la val de l'Escaut. Une telle démonstration de force aurait pu servir de point final, mais The Committee se permet encore un splendide "Power Through Unity" au cas où il y aurait encore des sceptiques parmi les masses.
Carnation
Actifs depuis 2013, les Anversois de Carnation peuvent se targuer d'une solide paire d'albums sortie chez Season of Mists, dans un registre Death Metal certes moderne, mais fidèle au côté brutal de la force. Sur scène, le groupe mise beaucoup sur le jeu de scène de son chanteur, Simon Duson, mastodonte râblé couvert de peintures de guerre, dont des avant-bras subtilement peinturlurés de dégradés de noir et d'un vert tout ce qu'il y a de plus radioactif. Hélas Carnation pâtira d'être quelque peu en décalage avec le reste de la programmation, qui oscille entre différentes nuances de black mystique avec une influente minorité de prophètes de la déchéance, et on sera quelques-uns à suivre la performance d'un peu plus loin. Le groupe ne se démonte toutefois pas, ou plutôt il semble prêt à tout démonter, la scène, les nuques, et pourquoi pas le clocher voisin, dans un déluge de titres qui laisse une large place aux titres de Chapel of Abhorrence sorti en 2018, dont un enchaînement "Hellfire" - "Plaguebreeder" particulièrement groovy. Dans un meilleur contexte et avec quelques heures de sommeil supplémentaire, ce concert aurait été un véritable défouloir, et Carnation s'ajoute de suite à la -restreinte, certes- liste de groupes de Death récents qui assurent autant sur album qu'en live et qui méritent plus de reconnaissance.
Rotting Christ
Voici donc le moment venu d'enfin revoir le groupe qui m'a fait passer le cap du Metal extrême, et surtout l'une des rares formations dont j'ai eu l'occasion d'enchaîner les performances sans jamais m'en lasser. Depuis la dernière fois, les Grecs ont sorti The Heretics, un album qui a ses bons moments mais qui n’atteint pas les sommets de la longue carrière du groupe... Encore qu'on ait aussi dit cela du précédent, Rituals, qui s'est révélé plus tard riche de pépites en live. Autant dire que là aussi je suis très curieux de la setlist, mais Sakis Tolis opte pour un classique quoique très efficace démarrage sur "P'unchaw kachun - Tuta kachun" suivi d' "Athanasi Este", ce qui suffit à échauffer une salle déjà -au vu des t-shirts- aussi ravie de le revoir que foncièrement désinhibée à la flamande. L'archonte de la soirée ne s'embarrase d'ailleurs pas de gants et clame rapidement son plaisir d'être enfin de retour avant d'enchainer, comme s'il voulait profiter de ce moment pour jouer sans nous faire perdre une minute en dispensables palabres. Les classiques "Elthe Kyrie" et "Apage Satana" préparent le terrain pour un "Dies Irae" qui sera le seul extrait du dernier album ce soir, mais qui trouve aisément sans place sans que le mangue d'arrangements ou de claviers ne se face sentir, au contraire d'ailleurs, les frères Tolis sachant s'entourer de jeunes musiciens qui connaissent chaque titres et répondent au chant pour former des choeurs très correct. Rotting Christ me fait même la surprise d'en chainer avec "King of a Stellar War" qui ouvre Triarchy of the Lost Lovers, album de 1997 que j'estime énormément mais qui s'est un peu perdu au long de la carrière du groupe. Je ne sais si j'étais le seul à les reprendre, mais cela m'a fait chaud au coeur d'entendre en live les intonations froides de cette perle isssue de la période plus gothique de Rotting Christ, moi qui ait toujours soutenu qu'un concert « rétro » serait un beau geste envers une certaine frange du public et une potentielle découverte pour une autre. Ca sera la seule toutefois, et il faut bien admettre que la voix de Sakis a vieilli au même rythme que ce genre d'extravagance. Le concert reprend mais ne s'apaise pas et la fosse s'enflamme soudainement tandis que s'égrainent les classiques en live du pilier héllenique : "Societas Satanas", "In Yumen – Xibalba", et un "Grandis Spiritu Diavolos" salutaire pour conjurer deux ans de tensions et de mauvais lémures qui rongeaient les esprit. Et puis "Non Serviam" en tentant d'éviter les derniers soubresauts de quelques boeufs bataves hilares, et c'est fini. Déjà.
***
Ce fut intense, et pourtant il y a comme une sensation de trop peu. Sans doute car cela fait deux ans qui attend et qu'on espère ce genre de date "simple", sans fioriture inutile ni tête d'affiche extravagante. Et en fait c'est exactement ce qui nous fallait : retrouver en petit comité des groupes qu'on respecte profondément et qui jouent à hauteur humaine. L'occasion aussi de (re)découvrir des morceaux, voire des albums. C'est finalement le premier de The Committee qui soulève au mieux les foules, tandis que le dernier de Rotting Christ ne semble pas motiver une grande révolution dans les prestations des Grecs. Mais un concert-best of bien équilibré, c'est peut-être tout ce qu'il me fallait pour une première. En attendant, la pluie s'installe sur la Flandre, comme pour laver deux années nées sous une mauvaise lune.
Crédits photos : Matth & Malice