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Hangman's Chair : « Il y aura toujours un après, un inconnu »
Hangman's Chair - Julien
Hangman's Chair occupe lentement mais sûrement une place de plus en plus importante dans le paysage metal français. Du metal influencé par Down et la Nouvelle Orléans de Leaving Paris, le quatuor a évolué vers un doom éthéré et assez unique où la mélancolie du post punk danse avec la lourdeur du doom. En marge de la sortie de Saddiction nous avons rencontré Julien, guitariste, afin qu'il nous fournisse quelques clés de lecture sur leur nouvelle oeuvre.
Disclaimer : Le 20 février, Hangman's Chair a annulé tous ses concerts à venir pour des raisons personnelles. L'interview ayant été réalisée avant, nous n'évoquerons pas ces annulations. Nous apportons notre soutien au groupe dans les épreuves qu'ils traversent.
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On s’était vus avant la sortie de A Loner. J’ai repris des interviews de la promo de l’époque où vous évoquiez que le passage chez Nuclear Blast et la sortie de A Loner avaient pour objectif de développer votre renommée à l’international. Trois ans après, quel bilan dressez-vous ?
Julien (Guitare) : Chez nous tout prend du temps. Cependant, la signature chez Nuclear Blast nous a ouvert pas mal de portes. Le fait d’être porté par un gros label donne accès à pas mal de trucs en plus pour la promo notamment. Après on est conscients qu’on ne va jamais exploser mais forcément ça nous a permis de nous développer...
Vous avez tourné avec des configurations assez particulières pour cet album : avec Paradise Lost puis sur un gros plateau Igorrr / Amenra / Der Weig einer Freiheit.
Pour la dernière tournée que tu mentionnes on était les premiers à jouer sur un plateau de quatre groupes donc parfois dans des endroits assez peu remplis au vu de l’heure et de la taille des salles, par contre nous avons bénéficié d’excellentes conditions matérielles. La tournée avec Paradise Lost nous a vraiment permis d’aller jouer dans des pays pour la première fois. J’ai eu un immense coup de cœur pour les pays baltes et notamment l’Estonie ainsi que pour la Pologne.
Tu mentionnes l’Europe de l’Est et les pays baltes qui sont des pays qu’on associe parfois à une forme de mélancolie urbaine. Entre les groupes qui parlent de ce sujet, les paysages brutalistes, est ce qu’Hangman’s Chair a une résonance particulière là-bas ?
Tout à fait, pour moi ça a été un immense coup de cœur. Déjà, les gars hallucinaient un peu de nous voir jouer chez eux. Et je crois qu’ils captent ce qu’on essaie de faire, tu as l’impression que ça leur parle. En plus, ils s’intéressent vraiment aux textes, je pense qu’il y a vraiment une connexion particulière là-bas et effectivement ça paraît logique.
Pour Nuclear Blast vous aviez tourné un petit portrait autobiographique où vous aviez dit qu’il vous avait fallu 2 albums pour trouver votre son (c'est à dire à partir d’Hope Dope Rope) cependant A Loner marque une rupture radicale avec les 3 albums précédents… comment cela s’est mis en place ?
Quand on a commencé à travailler sur A Loner, ça s’est fait de manière assez naturelle. Le thème de la solitude qu’on a bossé sur l’album nous a directement poussé à chercher un son qui collerait mieux que ce qu’on avait avant, une approche plus aérée avec un peu de reverb, plus harsh. En bref, un son qui collait mieux aux compos. Sur Saddiction, on est retourné à un son plus lourd. C’est Francis (Caste – producteur de l’album ndr) qui nous a poussé à revenir à cette approche. C’est lui qui a également produit A Loner mais il n’a jamais été convaincu par le choix qu’on avait fait sur cet album. Cette fois-ci, il nous a vraiment dit « votre son c’est celui-ci, en live même sur les nouvelles compos vous avez ce son massif et c’est comme ça que le public vous reconnaît ». En plus, j’ai changé d’instrument. J’ai actuellement une guitare qui peut s’accorder plus bas et ça fait sens de revenir à une approche plus lourde.
Au-delà de la prod qui s’est alourdie depuis A Loner, on est également sur quelque chose de plus défini, là où Banlieue Triste avait une dimension organique, pour Saddiction le résultat est plus clinique. Est-ce que vous vous sentez proches des groupes, notamment de hardcore moderne qui travaillent en ce sens ?
A mon sens on se situe quand même entre les deux. C’est clair que l'on n’a pas un son hyper fuzzé comme on peut retrouver dans le sludge et le doom, on est beaucoup moins gras. En revanche, actuellement, notre son est tout de même un peu crade. C’est moins clinique que A Loner et la reverb qu’on retrouve sur la batterie notamment donne un côté un peu nuageux, pas très défini, un peu plus abstrait que certaines prods qu’on retrouve dans le metal moderne.
Avant d’évoquer la musique de Saddiction, peut être quelques mots sur les pochettes, et notamment la pochette alternative qui a beaucoup fait parler d’elle tant elle est réussie.
Pour être tout à fait honnête avec toi, pour Saddiction je n’avais aucune idée de pochette. Il y a quelques temps on avait rencontré Valnoir et j’ai toujours trouvé que c’était un artiste qui avait une approche assez tranchée dans sa façon de travailler, il ne fait pas de compromis et assez vite il arrive à avoir une vision. J’avais déjà pensé à son nom pour une future collaboration sans que ça se soit concrétisé jusqu’à là. Par hasard, pendant l’enregistrement, il est passé chez Francis et instinctivement je lui ai proposé de faire notre cover. Il était intéressé, je lui ai simplement fait écouter l’album et en quelques jours il m’a fait la proposition du bâtiment avec les lumières qui forment le titre. On avait déjà une pochette avec des immeubles dessus (Banlieue Triste ndr) mais un peu comme Francis qui nous a dit que ce son là nous correspondait, Valnoir nous a dit que pour lui, ce qui était notre essence c’était justement ces visuels qui synthétisent à la fois la banlieue et une forme de solitude. Pour la pochette alternative, au début on voulait faire une pochette lenticulaire c’est-à-dire qu’en la faisant bouger, on avait le visuel du gars qui tient le flingue d’un air prostré puis qui passe à l’acte. Mais techniquement c’était trop cher et ça aurait fait exploser le coût du vinyle, on est donc parti sur un recto verso avec les deux visuels. J’aime particulièrement le fait que les deux pochettes ne renvoient pas exactement la même ambiance et qu’en les regardant, on n’éprouve pas exactement les mêmes sentiments.
Au niveau thématique, Banlieue Triste avait une dimension autobiographique un peu crue, directe. A Loner était centré sur la solitude. Pour Saddiction, j’ai eu le sentiment que tout au long de l’album se développe l'idée d'un laché-prise par rapport aux évènements, aussi tragiques soient-ils...
Les textes sont écrits par moi et Cédric. J’écris sur mes compos, il écrit sur les compos de Mehdi. Globalement, l’album est centré sur l’idée de vivre avec la dépression. En avançant dans la vie, on réalise qu’il est impossible de guérir totalement de cela et que tout ce qu’il nous reste à faire est de composer avec, d’accepter la place que celle-ci prend dans notre vie et d’essayer de faire au mieux avec. Autant avec Banlieue Triste et surtout avec A Loner il y avait un besoin viscéral d’écrire, pour celui-ci on a pris un peu plus de recul et on a plus globalement posé un regard sur notre quotidien en tant que personnes, en tant que groupe. Tu sais, j’écris toujours dans un petit carnet des bribes de lyrics, je note des idées, là je l’ai sorti et je n’ai quasi plus rien en stock (rires). On peut voir une sorte de prolongement thématique de A Loner car il y a effectivement l’idée récurrente de vivre dans cet état. En même temps, un titre comme « The Worst is Yet to Come » va un peu à l’encontre de ça... il y aura toujours un après, un inconnu et cela ne sera jamais parfaitement stabilisé.
Autre titre assez marquant de Saddiction : « Kowloon Lights ». La citadelle de Kowloon n’est pas un thème fréquemment évoqué dans le metal, comment l’idée t’est venue ?
Il y a longtemps, j’avais vu un document à propos de cet endroit (un ancien quartier à Hong Kong composé d’immeubles extrêmement hauts et resserrés ne faisant que peu passer la lumière du jour et réputé pour sa criminalité de fait de son architecture labyrinthique, ndr) et l’avait noté dans mon carnet. Esthétiquement, ça peut forcément rappeler les paysages qu’on évoquait précédemment, les grands immeubles, les lumières ne provenant que des néons. Et en plus de cela, le nom sonne extrêmement bien. La chanson n’évoque pas particulièrement la citadelle de Kowloon mais plonge l’auditeur dans ce mood et directement ça fait voyager.
Le single est sorti en même temps qu’un film d’action se déroulant dans la citadelle de Kowloon, City of Darkness. Tu l’as vu ?
(Rires) Non pas encore, Cédric m’en a parlé et m’a dit que c’était trop bien mais oui, c’est une coïncidence, mais quand j’ai appris cela je me suis dit « Putain de merde », enfin les deux œuvres ne sont pas liées en soi mais tout de même (rires).
L’autre titre notable c’est « 44 YOD ». En effet, il est assez mystérieux, vous pouvez nous indiquer ce à quoi il fait référence / nous donner quelques clés de lecture ?
Initialement il ne devait pas figurer sur Saddiction, on a commencé à le travailler en studio et effectivement on est arrivé sur ce morceau très shoegaze, beaucoup plus éthéré et en le faisant écouter à quelques proches, certains nous ont dit que c’était leur titre préféré. A l’origine, on voulait faire un album beaucoup plus direct, plus rentre dedans d’à peine 40 minutes, mais au final, on a trouvé que le placer ici, juste avant le titre final permettait de faire respirer le tout. En fait, le titre parle de Clem (Clément H., le bassiste). Il a récemment traversé une mauvaise passe et on avait un groupe WhatsApp sur lequel on échangeait, et à ce moment on se demandait combien de temps cela faisait qu’on vivait ainsi. « 44 YOD » veut dire 44 Years of Depression (44 années de dépression). Mais effectivement, depuis qu’on évoque Saddiction, il a une place à part et on nous en parle souvent.
Tu veux nous parler de la collaboration avec Raven (Dool) ?
On connaît Raven depuis assez longtemps notamment via la proximité qu’on a eu avec la scène hollandaise et en particulier The Devil’s Blood. Un peu comme Valnoir, ça fait plusieurs années que je pense à lui dans un coin de ma tête de type « Ah ce serait sympa si... ». Au final, en écrivant « 2am Thoughts », j’ai écrit deux fois le même couplet car je trouvais que le côté entêtant allait bien avec le thème et le son, et la tournée avec Dool était déjà prévue donc les planètes se sont alignées. Je l’ai contacté, il a accepté et l’enregistrement s’est fait à distance. A l’origine, cela ne devait pas être le single promotionnel mais on s’est dit que c’était cool pour la tournée et pour pouvoir éventuellement le jouer en featuring. En fait, Raven n’est venu chanter sa partie qu’en France et notamment à Paris, le reste du temps, Cédric a chanté deux fois le même couplet mais on trouve que le rendu est moins percutant. Il y a moyen qu’on ne la joue plus ou qu’en tout cas « 2am Thoughts » ne soit pas régulièrement dans nos setlists.
Une des grosses disparitions dans la musique qu’on peut noter dans la musique d’Hangman’s depuis A Loner c’est ce patchwork « français » qui va, pour schématiser, de la IIIème République aux blousons noirs…
Je ne sais pas si on n’y reviendra pas à terme, mais effectivement on a eu à un moment le sentiment d’être arrivé au bout d’un truc. A Loner était un album assez introspectif et on ne voulait pas avoir recours à trop d’éléments extérieurs. Pour Saddiction, bien que l’approche ne soit pas la même, je n’ai pas eu trop l’envie de recourir à des samples ou autres. Pareil, j’ai pas mal de références notées dans des endroits, des trucs qui correspondent à l’univers d’Hangman’s, mais pour ces compos, je ne sais pas, rien ne m’a paru particulièrement pertinent et ça ne sert à rien de mettre un sample pour mettre un sample. Mais j’ai encore des idées en stock.
En général, on aime bien finir les interviews par demander aux artistes quels ont été leurs coups de cœurs récents. Tu peux nous dire ce que tu écoutes, lis et regarde actuellement ?
Actuellement, j’écoute beaucoup de post-punk et de cold wave. On est assez loin de ce que nous on propose mais je pense que ça influence quand même pas mal notre écriture. J’écoute des trucs et ça nourrit, quelque part, le son d’Hangman’s. J’aime beaucoup Asylum Party qui est un groupe français des années 80. Dans des trucs plus récents, j’ai un gros coup de cœur pour Louse également. En revanche, entre les tournées, la vie de famille etc. j’ai beaucoup moins le temps de lire. J’achète des livres, je les empile mais je les achète plus vite que je les lis. Il y a un terme japonais pour ça non ? (Rires) (Tsundoku : un mot valise composé de « pile » / « empiler » et « livre » qui désigne, fort logiquement le fait d’empiler des livres sans pour autant les lire, ndr). Pareil, je vais plus trop au ciné, je mate des séries, comme tout le monde, mais je trouve que récemment elles sont devenues interchangeables. C’est pas mal mais beaucoup moins marquant que les premières qu’on regardait, les trucs comme The Sopranos dont on se rappelle encore des années après.
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Merci à Élodie et Olivier pour l'interview, ainsi qu'à Julien pour son temps. Retrouvez Saddiction sur toutes les plateformes et dans tous les disquaires dignes de ce nom.