L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Que dire sur Iron Maiden qui n'a pas déjà dit, et pis encore, que peut dire Iron Maiden que le légendaire groupe britannique n'ait pas déjà dit dans sa longue carrière ? Fort de ce double constat, c'est en traînant les pieds que j'ai fini par écouter ce Senjutsu, accouché péniblement six longues années après un Book Of Souls aux qualités d'écriture évidentes, mais qui commençait tout de même lentement à sentir une incapacité à trier le bon grain de l'ivraie dans le chef de Harris & consorts. Autrement dit : pour un vrai beau morceau comme « The Red & The Black », on se faisait solidement chier pendant deux, au delà du plaisir non-dissimulé de retrouver Bruce Dickinson en voix après sa grave maladie (un cancer de la thyroïde).
Pourtant, à en croire les chroniques de médias généralistes, qui ont tous leur « spécialiste » des musiques énervées dont on se demande bien d'où il sort et comment il a chopé le job, rémunéré, pour écrire autant de conneries hebdomadaires, ce nouveau Maiden aurait dû m'émerveiller. « Plus inspirés que jamais », « Le meilleur album post-2000 » voire même (je l'ai lu!) « l'un des trois meilleurs albums d'Iron Maiden », rien que ça. Ce qu'on ne ferait pas pour une interview exclusive. Mais je m'égare. Après tout, le runtime assez affolant de ce Senjutsu ne devrait pas m'inquiéter outre-mesure : s'il y a bien une chose que la Vierge de Fer sait faire depuis le cap de l'an 2000, c'est écrire des morceaux-fleuves bourrés d'inspiration, de « Dream of Mirrors » à « Empire of the Clouds » en passant par, bien sûr, « Dance of Death » ou la quasi-intégralité d'un Matter of Life & Death qui a entamé la bascule du groupe vers un son bien plus progressif.
En contrepartie, il est loin le temps des tubes immédiats à la « The Trooper » ou « Number of the Beast », mais Maiden avait au moins jusqu'ici l'habitude de bien entamer ses albums. Problème : « Senjutsu » (le morceau) donne l'impression de n'être qu'une très longue (et plutôt belle) intro, sans que ça ne décolle jamais vraiment, et on se retrouve sans climax malgré les jolies mélodies du refrain, qui restent bien en tête. Le fait est que tout l'album souffre de ces longueurs : si le premier single « Writing on the Wall » reste efficace et amène des sonorités southern qui ont le mérite d'être originales, c'est l'un des rares moments de Senjutsu qui ne m'a pas fait consulter le temps d'écoute restant. Presque chaque morceau aurait pu être amputé de 3 à 4 minutes et ceux qui n'en durent déjà que 4, comme « Days of Future Past » et dans une moindre mesure un « Stratego » que Bruce Dickinson chante magnifiquement bien, on aurait tout simplement pu s'en passer.
En 2021, on ne vit globalement que pour les quelques morceaux de bravoure que peut encore offrir Iron Maiden, et visiblement, le groupe en est conscient puisqu'il tente avec lourdeur de faire dans l'épique à chaque coin de note. On souffle franchement très fort à chaque introduction acoustique pseudo-mystérieuse que Bruce nous susurre, perdant une bonne minute minimum à introduire un titre qui se traînera encore en longueur sur huit ou dix à grands coups de ponts harmoniques et duels de guitares. Parfois, Maiden garde cette magie par éclairs, comme sur la seconde partie de « Death of the Celts » et sa cavalcade (que Steve Harris gâche presque en mettant sa basse bien en avant comme il sait si bien le faire) rehaussée de soli qui rappellent qu'on a là affaire à des musiciens hors-normes. Parfois, le naufrage est total, perdu dans des auto-références qui vont de Powerslave et Seventh Son of a Seventh Son (« The Parchment », qui traîne ses douze minutes comme une caravane) aux aspects plus modernes de Dance of Death (le refrain répétitif de « Lost in a Lost World »). Le fond est touché avec « The Time Machine », qui copie-colle l'introduction de « The Talisman » avant de partir sur un grand n'importe quoi mal rythmé, mal chanté et dans lequel le riff « dansant » à la « Dance of Death » tombe comme un cheveu dans la soupe. Heureusement, la power-ballad « Darkest Hour », qui suit, est une vraie réussite qui voit Dickinson retrouver de sa superbe.
La triplette finale (signée Steve Harris) est en fait le résumé parfait de Senjutsu : trois morceaux, presque trente-cinq minutes de musique, trois intros acoustiques (franchement, difficile de ne pas pouffer), trois fois le même schéma et – c'est peut-être le plus frustrant – chaque fois de vrais beaux moments, noyés dans une incapacité à élaguer. « Hell On Earth » est un vrai bon morceau, au fond, dont le final est même superbe dans la veine des ambiances d'un « Where the Wild Wind Blows », mais le vrai défi est de rester éveillé jusque là.
Alors, Iron Maiden a-t-il encore quelque chose à dire ? Le pire, c'est qu'on a l'impression que oui, et pas qu'un peu, mais que les Irons ne savent plus trop comment ordonner leurs idées. Contrairement à certains groupes qui vont en studio comme on va à l'usine et sortent album facile sur album facile, Maiden a sorti avec Senjutsu l'un de ses opus les plus longs, les plus bavards, les plus pompeux – c'est clair, Steve Harris et sa bande ne sortent rien qui ne signifie pas vraiment quelque chose pour eux, et c'est aussi ce qui rend pénible la critique. Reste que par moments, on a l'impression d'entendre un album où il a été difficile d'amputer tel ou tel passage, tel ou tel morceau (pour ne pas froisser l'ego de l'un ou l'autre membre du groupe?), un problème déjà largement perceptible sur Book Of Souls. Senjutsu n'est que la continuité de celui-ci, et on sent que la corde commence à se tendre et s'user. Elle n'est pas encore rompue, mais il va bientôt falloir arrêter de tirer ...
Tracklist :
1. Senjutsu (8:20)
2. Stratego (4:59)
3. The Writing on the Wall (6:13)
4. Lost in a Lost World (9:31)
5. Days of Future Past (4:03)
6. The Time Machine (7:09)
7. Darkest Hour (7:20)
8. Death of the Celts (10:20)
9. The Parchment (12:38)
10. Hell on Earth (11:19)
Total : 1h21