"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Si chaque groupe connaît divers remous dans sa carrière, celui qui a touché les Polonais de Decapitated est resté dans les mémoires comme un des plus dramatiques. Je veux bien sûr et hélas parler du tragique accident survenu en Biélorussie en 2007, qui a coûté la vie au batteur Vitek et a laissé d’importantes séquelles à Covan, deuxième chanteur de la formation. Depuis, c’est sûr, Decapitated n’est plus le même. Vogg, seul membre fondateur subsistant du groupe qui s’était fait remarquer au début des années 2000 pour la jeunesse de ses membres conjuguée à la technique de sa musique, a forcément mis du temps à s’en remettre mais a choisi de poursuivre la carrière de Decapitated, qui a d’ailleurs dépassé les 20 années d’existence. Ceci au prix d’évolutions qui n’ont pas forcément été bien accueillies, beaucoup considérant que le groupe était mort avec Vitek. Avec notamment son troisième chanteur, Rafał « Rasta » Piotrowski, Decapitated a beaucoup changé quitte à carrément s’éloigner drastiquement du Death-Metal froid et technique qu’il pratiquait à ses débuts. Organic Hallucinosis (2005) montrait certes déjà quelques remous par rapport à un Nihility (2002), mais depuis le groupe est parti plus loin encore. Sur ces bases, Vogg semble désormais sans vergogne afficher son amour de Pantera en en livrant une version autrement plus technique et plus moderne, mariée au Death technique massif et percutant de Decapitated. Une évolution entamée avec Carnival Is Forever (2011) qui va désormais atteindre son paroxysme, au grand dam de ceux qui attendent juste qu’en Live le groupe daigne interpréter "Spheres of Madness"…
Je dois clarifier une chose : je n’ai jamais été un grand amateur des débuts de Decapitated, en particulier parce que le chant monocorde de Sauron me rebutait assez. Je préfère les démos à Winds Of Creation (!), The Negation (2004) passe encore, mais c’est surtout à partir de Organic Hallucinosis que j’ai commencé à apprécier la formation, même si le chant de Covan était lui aussi dispensable à tel point que Decapitated aurait pu être un groupe instrumental que ça ne m’aurait pas dérangé (alors que moi et le 100% instrumental ça fait franchement deux). L’évolution entamée avec Carnival Is Forever était faite pour moi, le chant de Rasta plus varié m’a vite convaincu, et musicalement Decapitated devenait plus accrocheur et groovy que jamais, avec notamment de vrais tubes comme "Homo Sum", et élargissait son spectre avec brio (les réminiscences de Gojira sur "404"). Ceci a donc abouti à l’excellent Blood Mantra (2014) qui pour ma part est un de mes disques de chevet en termes de Metal extrême/moderne/technique, avec de grosses tueries comme "Nest" qui restera une des plus grosses baffes prises en Live. Baignant toujours dans sa rigueur rythmique et sonore et bénéficiant de toute l’inspiration de Vogg qui s’est bien remis du drame de 2007, Decapitated change tout de même de plus en plus son équation : moins de Death, plus de Thrash/Groove. Et Anticult va enfoncer le clou. Anti-culte, comme si Decapitated voulait finalement rompre avec son passé et même faire la moue à ceux qui sont toujours bloqués sur la période Sauron/Covan (et donc Vitek). C’est à prendre ou à laisser, nous avons définitivement affaire à un nouveau Decapitated après une lente mais sûre évolution, qui donne aujourd’hui dans un Thrash/Groove moderne et technique qui possède un paquet d’accroches et d’arguments pour pondre de bons skeuds de Metal.
Dans le fond et la forme, peu de choses changent pourtant par rapport à Blood Mantra. "Impulse" qui ouvre l’album contient toutes les particularités du Decapitated post-Organic Hallucinosis, production, riffing, ambiances, chant. Mais très vite, on cherche ce qui est « Death » (Rasta ne fait presque plus du tout de growls ou même des vocaux plus graves) pour bien vite constater que l’on a surtout affaire à du « Thrash » vu les riffs proposés. Une forme de lourdeur est toujours présente, mais peut-on réellement appeler ça du « Death-Metal » désormais, je ne pense pas, plutôt du Death/Thrash moderne à la rigueur. Vogg sort quand même les plans très Thrashisants sans compter les emprunts à Pantera très voyants, de même que les quelques sonorités Thordendaliennes. Il ne faut finalement plus rien espérer d’autre qu’un Thrash/Groove très bien troussé avec un niveau technique conséquent, même si l’efficacité prime et qu’on est pas chez un groupe de Techno-Thrash non plus. Vogg demeure inspiré même si "Impulse" n’est pas un opener inoubliable, ce qui d’ailleurs était déjà le cas pour "The Knife" et "Exiled in Flesh" des deux précédents albums. Dès le début de "Deathvaluation", on retrouve déjà des compos plus cossues, et la musique se Thrashise de plus en plus (avec encore des touches de Pantera évidentes) avec des passages pied au plancher et un solo frénétique. Le très direct "Kill the Cult" confirme ensuite que Decapitated est définitivement passé du côté Thrash de la Force, mais du Thrash à la sauce Decapitated, avec ce côté massif et rangé qui caractérise le groupe depuis Organic Hallucinosis. Et mine de rien, la formation polonaise est toujours en forme et fait franchement taper du pied ses auditeurs, même si faire mieux que Blood Mantra demeure un défi.
On croirait pourtant dès le début de "One Eyed Nation" que Decapitated va réussir facilement à pondre un nouveau "Nest", mais dommage que le morceau ne propose plus rien de vraiment intéressant passé le riff principal assez énormissime. "Anger Line" est également assez dispensable mais il faut bien avouer que depuis Organic Hallucinosis, le groupe n’a jamais réussi à faire un album irréprochable de A à Z même si Blood Mantra n’en était pas loin. Mais le single "Earth Scar" est à mon avis la sensation de cet Anticult, tous les riffs sont parfaits et il faudra juste se faire au refrain légèrement clair assez prévisible (je l’ai senti venir dès ma première écoute) qui rebute dans un premier temps. Decapitated n’en devient pas trop sucré pour autant, et les riffs mordants sont toujours au rendez-vous, surtout pour un final bien remuant qui rappelle les meilleurs moments de Blood Mantra. Le groupe y distille encore ses influences plus modernes, on entendra alors un peu de Gojira même si l’emprunt n’est pas aussi voyant que celui de "404" en son temps. "Never" reste un morceau honnête et, finalement, est le morceau qui se rapproche le plus du Decapitated des précédents albums (les plus proches), ayant bien assuré la transition en guise de premier single. Encore une fois, on constate que le groupe a troqué ses rythmiques Death implacables pour des cavalcades Thrash plus classiques mais qui sont tout de même diablement efficaces. Avec le touché de Vogg, cela nous donne quand même autre chose qu’un vulgaire groupe de Thrash/Groove moderne. Decapitated a peut-être perdu une partie de sa personnalité, mais a su utiliser certains de ses éléments passés pour faire une musique assez redoutable d’efficacité, avec d’ailleurs une prod qui pète salement. Et tant pis pour ceux qui auraient espéré que le groupe continue à jamais de faire du Nihility et du The Negation…
D’ailleurs le groupe se renouvelle un tantinet en fin d’album avec "Amen", qui cette fois-ci n’est pas une outro de luxe acoustique mais bien un vrai morceau quoique très court (même pas 3 minutes) et essentiellement mélodique. Même pas 38 minutes pour la totalité de cet Anticult, c’est court aussi, mais le groupe en reste à l’essentiel et ne se disperse pas même si, paradoxalement, on décèlera ici et là de menues longueurs. Le principal problème d’Anticult est qu’il n’arrive pas à dépasser Blood Mantra, alors que pour moi le groupe avait le potentiel pour livrer une bonne fois pour toutes une véritable tuerie dans son « nouveau » style. Tant pis, mais une bonne partie d’Anticult mérite quand même son pesant de cacahuètes même si on regrettera que tout l’album ne soit pas de la même trempe que "Deathvaluation", le début de "One Eyed Nation" et "Earth Scar". Enfin, Decapitated a c’est sûr définitivement posé son style désormais plus voire totalement Thrash/Groove, qu’il faudra peut-être encore confirmer ce qui nous fait perdre un peu de temps après le déjà excellent Blood Mantra, mais maintenant les choses sont claires (sauf retour aux sources...) et Anticult reste un album bien branlé et suffisamment efficace pour faire bouger des culs pendant l’été. Enfin, maintenant, il est sûr que beaucoup basculeront tout aussi définitivement du côté des #cétaitmieuxavant. Decapitated a changé, ce n’est peut-être plus Decapitated sans Vitek oui, mais Vogg en a décidé autrement et c’est à chacun de voir s’il suit ce chemin ou pas. Plus de Death, du Thrash/Groove, toujours de la technique au service de l’efficacité, le Decapitated version années 2010 sait toujours y faire mais sous d’autres cieux que le Death-Metal d’antan et sans ceux qui ont hélas passé l’arme à gauche.
Tracklist de Anticult :
1. Impulse (6:01)
2. Deathvaluation (4:23)
3. Kill the Cult (4:40)
4. One Eyed Nation (4:59)
5. Anger Line (3:44)
6. Earth Scar (5:09)
7. Never (6:04)
8. Amen (2:49)