"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Souvenez-vous - c’est pas compliqué, c’était il y a moins d’un an et demi - … Avec son précédent album Alföld, Thy Catafalque nous promettait du « metal ». On pensait que le (désormais) groupe allait en profiter pour bien garnir sa base de données de tubes pour le Live, vu que Tamás Kátai et ses compères commencent à multiplier un tantinet les dates, passant même pour la première fois en France en avril dernier (et j’en suis déjà très nostalgique). En réalité, nous avons eu davantage le droit à l’album le plus sombre de la discographie du projet hongrois, qui en Live n’a guère joué devant vos serviteurs que les deux singles « A csend hegyei » et « Néma vermek ». Thy Catafalque se montre toujours imprévisible et insaisissable, tel le chantre du metal avant-gardiste qu’il est devenu. Et alors que Tamás Kátai est toujours aussi productif et semble être en mesure de maintenir le rythme d’un album par an, on constate aussi que c’est un petit malin. Car l’album fait de bangers pour les planches, en fait, c’était partie remise, il est là cette année. Voici donc XII: A Gyönyörű Álmok Ezután Jönnek, 12ème album donc, les chiffres romains nous facilitent cette fois le compte, en contrepartie d’un titre complet en hongrois difficile à déchiffrer pour les profanes - mais vous pourrez tout de même vous essayer à la prononciation vu qu’il est scandé dans le refrain du morceau du même nom. Et comme un symbole, ce premier single-titre particulièrement entraînant nous a annoncé la couleur d’un album qui sera, enfin, fait de tubes qui mettront à coup sûr d’accord tous les amateurs de Thy Catafalque, et qui vous donneront furieusement envie de voir le groupe le plus étonnant et efficace sur scène du moment… si vous avez la chance de pouvoir les voir bientôt près de chez vous. Mais dans une salle, en festival, dans votre salon votre chambre ou où vous traînez vos oreilles pour écouter votre musique, Thy Catafalque aura toujours son charme fou.
Que nous réserve XII - on va l’appeler par son petit nom - que nous ne connaissons pas déjà ? C’est toujours toute la question à chaque fois que Thy Catafalque revient en bacs, et comme ça se produit assez souvent… Bon, Thy Catafalque reste Thy Catafalque, avec son metal parfois râpeux, toujours raffiné, ses aspirations folk et electro, son côté jazzy moderne apparu depuis Geometria (2018), avec des équilibres qui changent, cette harmonie savante de voix (alors que le projet était souvent plus instrumental dans le passé récent) et qui font vivre cet essence avant-gardiste constante. Si je dois donner un point de comparaison proche, XII est surtout dans l’esprit de Vadak (2020) dans les éléments principaux, tournant autour d’un metal très lumineux et avec tout de même pas mal de respirations folkisantes. Mais on hésite pas à lorgner vers le côté virevoltant et féérique d’un Róka Hasa Rádió (2009) tout autant que l’on retrouve, pour la première fois depuis un petit moment, l’efficacité incroyable d’un Rengeteg (2011). Le symbole parfait en est l’ouverture sur « Piros kocsi, fekete éj », un véritable bijou d’emblée où l’on retrouvera avec un énorme plaisir les vocaux d’Attila Bakos, le premier chanteur clair masculin de Thy Catafalque qui n’était plus apparu depuis Meta (2016). Je m’attarde déjà sur ce formidable départ, et ce dès les premières notes très émotionnelles, qui est directement un des meilleurs morceaux d’ouverture de la discographie du projet hongrois alors que la concurrence est sacrément féroce sur les 11 albums précédents (« Csillagkohó », « Szervetlen », « Fekete mezők », « Hajnali csillag », « A bolyongás ideje »…), et quand bien même c’est un hit à la « Köd utánam », pas une longue piste progressive ou même un « Szarvas ». Cela nous montre en quatre minutes que Thy Catafalque est en très, très grande forme et que ça promet vraiment. Même que Tamás Kátai a vu les choses en grand vu que XII sera, pour la première fois dans l’histoire du projet, mixé et masterisé par un ingénieur du son extérieur, Gábor Vári du groupe Dystopia, qui était en outre apparu sur l’album Live Mezolit. Et mine de rien, cela va faire évoluer Thy Catafalque cette fois-ci sur la forme plus que sur le fond, tel que XII est présenté comme un tournant dans la carrière du combo hongrois.
On aura donc un son un poil plus puissant et moderne qu’à l’accoutumée, ce qui est assez déroutant au début. Mais le « grain » de Thy Catafalque est toujours typique et présent, juste avec un peu plus de peps et de relief. Tellement que pour moi le seul défaut de forme sera ce son de batterie (toujours programmée) un peu trop claquant, ce qui était parfois le cas sur d’anciens albums (souvenons-nous du départ de « Molekuláris gépezetek » sur Róka Hasa Rádió), et il faudra s’y faire. J’ai bien dit, de toute façon, le seul défaut, parce que le reste… Avant de s’attarder sur la qualité de ce XIIème album, notons aussi que Thy Catafalque profite de sa production un peu plus ambitieuse pour s’autoriser un peu plus d’arrangements, qui sur XII prennent la forme de passages plus monumentaux presque « sympho » à leur manière avec force chœurs, ce qu’on constate dès le surprenant « Mindenevő » qui est peut-être le morceau le plus singulier de Thy Catafalque depuis un moment, oscillant constamment entre explosions metalliques et psychédéliques, avec des breaks étonnants. Donc, Thy Catafalque est encore capable d’innover quand c’est nécessaire et on a presque l’impression que ça ne s’arrêtera jamais, que Tamás Kátai trouvera toujours un petit quelque chose en plus, ce qui ne rend l’écoute d’un nouvel album que plus jouissive à chaque fois. Même si le très remuant « Vasgyár », quant à lui, ressemble quand même un peu beaucoup au très thrashy « Az energiamegmaradás törvénye » de Vadak… Mais quand il envoie du metal, Thy Catafalque arrive toujours à exceller, ici encore grâce aux growls bien sentis de Zoltán Kónya (Gire). J’en profite d’ailleurs pour m’attarder sur les invités qui seront ici particulièrement nombreux, et encore je ne parlerai que des vocalistes. Outre les habitués (soit les quatre chanteurs/euses Live, Zoltán Kónya donc, Gábor Veres de Watch My Dying), nous avons aussi le droit à des retours (András Vörös qui avait chanté sur « Piros-sárga » de Vadak, et donc Attila Bakos) ainsi qu’à de nouvelles têtes (une nouvelle chanteuse, Helga Kreiter). Il y a toujours une fine équipe prête à donner vie à l’art de Tamás Kátai et c’est d’ailleurs le duo inédit András Vörös-Helga Kreiter qui va magnifier le passionnant « Világnak világa », efficace, entraînant, aérien et résolument avant-gardiste. Du pur Thy Catafalque donc.
Et donc XII de devenir rapidement l’album à bangers qui pourraient tous passer crème en Live qu’on attendait. On a même envie de dire à Tamás Kátai et son équipe qu’il va falloir choisir et que ça sera dur… ! XII va toutefois passer en revue, comme presque à chaque fois, toute la palette de Thy Catafalque avec ici un milieu d’album plus enlevé et varié, là aussi faisant un peu écho à l’organisation de Vadak. « Nyárfa, nyírfa » est déjà plus posé - mais toujours entraînant - dans cet improbable kraut-jazz metallisé, mais le plus étonnant sera l’entièrement folk « Lydiához », à l’ambiance très « méditerranéenne » alors qu’il s’agit… d’une reprise d’un morceau traditionnel hongrois. Le formidable « Vakond » termine cet intermède folkisant alors que l’art avant-gardiste de Thy Catafalque reprend bien vite ses droits avec ses synthés typiques, nous amenant à ce magistral « Ködkirály ». Digne des pièces les plus aventureuses et féériques de la discographie du projet, le plus long morceau de XII est un véritable essai sur les contrastes vu qu’il commence dans la lumière électronique avec les vocaux d’Ivett Dudás - dont c’est la première apparition en studio - avant de partir dans les ténèbres metalliques grâce aux grunts bien lourds de Gábor Veres. Tamás Kátai en a encore sous la semelle et « Aláhullás » est l’occasion de prouver qu’il a même de la ressource, avec ces arrangements plus « bombastic » qui émaillaient déjà « Mindenevő » et qui semblent donc être un véritable point de départ pour le futur. « A gyönyörű álmok ezután jönnek », incroyable tube immédiat, boucle donc déjà la boucle (sans compter le bonus « Babylon », single-cover d’Omega sorti plus tôt dans l’année qui a été ajouté au disque par Season of Mist) et Thy Catafalque a donc encore une fois sorti un grand album. Je n’aime pas dire « c’est le meilleur depuis… » parce que j’ai l’impression de le dire un peu à chaque fois, Alföld était certes à part et même Naiv et Vadak capitalisaient sur des réussites passées, mais là XII: A Gyönyörű Álmok Ezután Jönnek est juste une usine à pépites, hits metalliques immédiats comme belles pièces folk comme œuvres avant-gardistes. C’est l’album complet de Thy Catafalque par excellence qui réunira tout le monde dans la joie et l’allégresse, et dont l’inspiration et l’efficacité lui fera cette fois-ci prendre une place de choix dans les tops de l’année, et probablement en haut du podium. Limite je regrette d’avoir vu le groupe en Live avant sa sortie parce que là il va falloir prier pour une nouvelle chance, tant là c’est taillé pour rendre les shows de Thy Catafalque encore meilleurs qu’ils ne les étaient déjà. Avec tout ça, en studio et au-delà Thy Catafalque est encore plus grand, et bordel, que c’est bon !
Tracklist de XII: A Gyönyörű Álmok Ezután Jönnek :
1. Piros kocsi, fekete éj (4:12)
2. Mindenevő (6:35)
3. Vasgyár (6:17)
4. Világnak világa (6:27)
5. Nyárfa, nyírfa (2:52)
6. Lydiához (3:05)
7. Vakond (4:29)
8. Ködkirály (7:57)
9. Aláhullás (3:47)
10. A gyönyörű álmok ezután jönnek (3:13)
11. Babylon (3:41)