"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Devenu « oficiellement » un groupe qui se produit en Live depuis 2021, Thy Catafalque va-t-il en profiter pour changer de dimension ? C’est la question que l’on peut se poser à l’aune de la parution de Alföld, son 10ème album studio. Surtout quand cet opus est présenté comme étant un stuff vraiment orienté « metal ». Comme une palanquée de groupes classiques, on peut penser que le projet hongrois va en profiter pour se constituer une base de tubes pour agrémenter ses futures setlists, même si la fondation était déjà là avec les quelques potentiels hits passés figurant sur des albums comme Róka Hasa Rádió, Rengeteg ou Geometria. Mais l’avant-gardiste Thy Catafalque étant par essence imprévisible, même s’il s’est un peu stabilisé sur ses derniers albums dont les ingrédients musicaux sont désormais connus et établis, Alföld sera un disque bien plus complexe qu’il n’y paraît. Les singles dévoilés étaient par moments assez déroutants et il fallait voir comment ils allaient s’insérer dans la logique de l’album, car il y en aura bien une. Alors que Thy Catafalque aurait pu se contenter de fournir une cargaison de morceaux plus immédiats, il va plutôt triturer sur cette base. Alföld sera effectivement l’album le plus « metal » de Thy Catafalque depuis, disons, Sgùrr qui avait pour lui son côté un peu « old-school ». Ceci suivant un peu les passages les plus « metal » que l’on avait pu croiser sur Vadak (« Gömböc », « Az Energiamegmaradás Törvénye », pour rappel et notamment), délaissant ainsi les aspirations les plus folk, electro et jazzy du projet. Quoique… mais bon, ce qui est sûr, c’est que Alföld sera aussi l’album le plus « sombre » de Tamás Kátai depuis, eh bien, peut-être toujours, et c’est ce qui va faire toute la différence.
« A Csend Hegyei » démarre la chose et le moins qu’on puisse dire, c’est que nous avons directement affaire au morceau le plus pesant et noir de Thy Catafalque depuis, au moins, le déchirant « Héja-nász Az Avaron » de Tűnő Idő Tárlat, si ce n’est des morceaux des deux premiers albums. C’est dire ! Ce démarrage se fait même sans artifices, pas de synthés, juste des compos traînantes, des trémolos très décharnés, une ambiance morbide et des grunts de Lambert Lédeczy limite Hate Forestiens. « Testen Túl » lui emboîte le pas avec un peu plus de dynamisme, le retour d’un chant très saturé en sus, toutefois les mélodies commencent à se faire plus lumineuses et la logique de Alföld se dévoile petit à petit. Sur le malgré tout toujours direct et remuant (et inspiré) « A Földdel Egyenlő », les synthés féériques, les incursions folk et du chant clair commencent à faire leur retour et le Thy Catafalque que l’on connaît revient comme si de rien n’était. Le morceau-titre qui reprend l’habituelle tradition d’un morceau plus long (bon, seulement neuf minutes ici) fait déjà le tour complet du mood de Thy Catafalque pour cet album, très contrasté, avec un démarrage assez monumental, des compos enjouées typiques du collectif hongrois, des passages épurés et des envolées dépaysantes ici portées par la seule intervention de l’album de Martina Horváth. Chassez le naturel avec les incantations de début d’album, et il revient donc vite au galop. Ce qui est encore confirmé par « Folyondár », un instrumental 100% typique de l’art electro-folk avant-gardiste de Thy Catafalque, mais qui est presque, paradoxalement, le morceau le plus réjouissant de cet album très « metal » qui n’a pas fait de tromperie sur la marchandise… mais n’a pas tout à fait livré ce qu’il avait promis, ou tout du moins ce qu’on aurait pu attendre.
« Csillagot Görgető » et « A Felkelő Hold Országa » seront alors deux morceaux plus classiques, très orientés metal (ou plutôt « guitares ») certes, mais sont bien plus aérés et mélodiques que les trois morceaux d’entrée de cet Alföld. Plus dans la lignée de certaines pistes de Vadak, sans grande surprise, mais forcément plaisants quand on connaît le talent de Thy Catafalque, et portés par d’autres invités au chant (notamment Gábor Dudás, qui fait partie du line-up Live, au même titre que Bálint Bokodi plus tôt dans l’album). Et après l’interlude « Szíriusz » (ce qui est franchement inhabituel pour Thy Catafalque), Alföld se termine déjà du haut de ses 43 minutes - ce qui en fait l’album le plus court du projet - avec « Néma Vermek », premier single dévoilé, et… presque le véritable seul tube de cet album (avec force synthés electro et chant accrocheur de Gábor Veres de Watch My Dying) qu’on attendait comme tubesque. C’est donc tout le paradoxe de Alföld, mais à vrai dire, même si on pouvait supposer cette direction du fait que Thy Catafalque s’assume comme formation Live (même si ses concerts restent sporadiques), il n’a jamais été réellement annoncé comme ça. C’est bien l’album le plus « metal » et le plus « sombre » de la discographie de Thy Catafalque, et de ce point de vue, il est tout à fait réussi. Il ferait même office de porte d’entrée pour les plus metalleux, mais j’ai envie de dire quand même que le projet a sorti sept albums depuis 12 ans sur Season of Mist, alors il serait peut-être temps, hein. Deux questions subsistent. Est-ce que malgré tout Alföld garnira les setlists des prochains concerts comme n’importe quel autre groupe le ferait, on peut le suggérer fortement, le choix est large mais nul doute que morceaux durs comme classiques de cet album figureront autour d’autres incontournables. Et est-ce que Alföld est… un bon album de Thy Catafalque ? C’est presque difficile à dire tant ce 10ème opus est finalement assez imprévisible, quand bien même les recettes sont connues. Le début de l’album surprend et on a envie de dire que ça fait un certain temps que ça n’avait pas été le cas, la suite se tasse un peu, mais la qualité est toujours là, en témoigne encore l’excellent final qu’est « Néma Vermek ». Alföld n’est pas le meilleur disque de Tamás Kátai, mais il est assumé comme plus « metal », le contrat est rempli, tout ce petit monde se fait plaisir et tout le monde est content, c’est le principal non ?
Tracklist de Alföld :
1. A Csend Hegyei (4:10)
2. Testen Túl (3:56)
3. A Földdel Egyenlő (5:25)
4. Alföld (9:24)
5. Folyondár (4:06)
6. Csillagot Görgető (5:25)
7. A Felkelő Hold Országa (5:23)
8. Szíriusz (1:28)
9. Néma Vermek (4:13)