"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
One-man band de Tamás Kátai depuis le départ du guitariste János Juhász en 2011, Thy Catafalque n’était pas un projet qui était destiné à jouer sur scène. Si certains one-man bands reconnus ont tout de même monté un line-up pour performer sur les planches, le fait que Thy Catafalque restait un projet strictement studio n’était pas choquant. Après tout, sa musique très avant-gardiste reste quelque chose qui s’apprécie et se ressent surtout sur album, selon les conditions d’écoute que chaque auditeur peut rechercher. Cela quand bien même Tamás Kátai a pu fouler les scènes de concert avec Gire dans la première moitié des années 2000, et que Thy Catafalque a pu composer des morceaux au format plus direct et accessible sur ses 10 albums, tout particulièrement depuis Rengeteg (2011)… mais jusque là, niet. Tamás Kátai me disait toutefois en interview en 2011 qu’« il ne faut jamais dire jamais […] nous aurons besoin de musiciens supplémentaires, de temps et d'argent supplémentaire en plus de nos vies et de nos boulots quotidiens. C'est juste trop de tracas ». La porte n’a donc jamais été vraiment fermée… et 10 ans plus tard, elle s’ouvrira enfin. Dans la foulée de la sortie de Vadak (juin 2021), le festival hongrois Fekete Zaj annoncera la participation surprise de Thy Catafalque dans son roster (composé de formations pour la plupart psyché et expérimentales, seul Dordeduh sera à peu près un nom connu des metalleux à y figurer cette année-là), sous une forme toutefois énigmatique, comme une « interprétation de ». Peu importe la forme, la réalité sera bien là : des morceaux de Thy Catafalque vont bel et bien être joués sur scène, 23 (!) ans après la création du projet. Est-ce que cela sera un one-shot, la suite a montré que non, et Thy Catafalque a désormais bel et bien une incarnation Live, même si les dates données ont été sporadiques pour le moment - et bien évidemment la majorité ont eu lieu en Hongrie, avec toutefois une apparition au Brutal Assault en août 2022. Mais cette « première » d’août 2021 restera un évènement historique à son niveau, évènement qui a donc bien évidemment été immédiatement capté et archivé. Season of Mist couchera donc la performance sur galette avec Mezolit - Live At Fekete Zaj, sous forme vidéo de surcroît (avec la version audio bien évidemment). Voilà donc le premier album Live de Thy Catafalque du premier Live de Thy Catafalque, et on se frotte les mains.
Comme présenté par le festival, Mezolit est une « interprétation » de Thy Catafalque. Qui sera donc un Live pas comme les autres. Si sur ses dates qui ont suivi, le projet s’est constitué un line-up classique, ici ce ne sont pas moins d’une grosse vingtaine de musiciens qui vont se succéder au sein de 5 line-ups différents pour interpréter les 14 morceaux du set ! Alors oui, cela ressemble donc à une sorte d’immense tribute à l’œuvre de Thy Catafalque plus qu’un véritable concert du « groupe ». Mais pour bien débuter, il fallait en quelque sorte rendre déjà hommage à la déjà conséquente discographie du projet. Vont donc apparaître sur scène une belle farandole de musiciens, tous hongrois, issus de groupe peu connus (ou même inconnus) par chez nous. Pour les « noms », on y trouvera notamment András Nagy de Sear Bliss, et Tadeusz Rieckmann l’actuel batteur de Týr (hongrois passé aussi par Rivers Ablaze et Dalriada). Pour le reste, on retrouvera des musiciens de Reason (gothic doom), un ex-Bornholm, du Ahriman (pagan black), Dystopia (heavy prog), Tales Of Evening (power sympho), Damnation (death), Needless (thrash/death), Eclipse Of The Sun (doom folk), Visioned Frailty (death/doom), A Losing Season (mélodeath), Ad Astra (power prog), Archaic (thrash), Salvus (heavy/hard), Worm (thrash/death), pour les groupes encore actifs. Et ceci sans compter les guests qui viendront interpréter leur propre guest d’époque sur album (« Mezolit », « Piros-Sárga », les morceaux où intervient la chanteuse Martina Horváth). Du beau monde, local, mais du beau monde quand même car il va faire un sacré boulot. Et curiosité absolue, Tamás Kátai lui-même n’interviendra… que sur 3 morceaux, à la basse, aux côtés de Zoltán Kónya son compère de Gire d’ailleurs ; tous les synthés et autres sons électroniques étant par ailleurs samplés. Il va donc nous être proposé de voir ce que peut donner la musique de Thy Catafalque en concert. Et l’interprétation sera donc fidèle, sans surprise certes, mais tout en efficacité et montre bien vite que l’art du projet hongrois peut tout à fait fonctionner sur scène. L’apport des musiciens va permettre quelques discrètes variations, notamment au niveau des guitares lead (dès l’ouverture sur « Esőlámpás » d’ailleurs, ou encore notablement sur « Szarvas »), et surtout il est intéressant d’entendre du Thy Catafalque… avec une véritable batterie ! Qui n’est pas un ajout forcément significatif sur l’ensemble, mais qui permet parfois de relever le tout (notamment sur « Jura » par exemple). Et surtout de donner un souffle insoupçonné par moments à la musique de Thy Catafalque, qui va tout de même prendre une dimension supplémentaire.
La plupart des morceaux « courts » du répertoire de Thy Catafalque y passent, d’ailleurs c’est l’album « à tubes » qu’était Rengeteg qui est surreprésenté (Sgùrr et Geometria n’ont droit qu’à un morceau chacun de leur côté) avec pas moins de 4 pistes même s’il est surprenant d’y voir figurer la plus longue « Fekete Mezők ». Ce qui sera d’ailleurs un des meilleurs moments de Mezolit, notamment porté par le chanteur de Sear Bliss, et c’est là qu’on se rend compte que l’œuvre de Thy Catafalque peut prendre un supplément d’efficacité sur scène, notamment et forcément dans le registre plus « metal ». C’est d’ailleurs « Szamojéd Freskó » qui tire son épingle du jeu de ce point de vue, les riffs arrachent tout sur leur passage, pour ce qui est de toute façon un des morceaux les plus « bourrins » de Thy Catafalque donc on en attendait pas moins. Comme dit, les musiciens assurent dans tous les domaines, les chanteurs amènent un peu de variété de registre sans jamais dénaturer les morceaux d’origine. Mention spéciale au deux pistes issues de Róka Hasa Rádió (« Esőlámpás » et « Köd Utánam », qui étaient un peu les deux premiers « hits » du projet) interprétées par Gábor Dudás de Reason ; ou encore à l’étonnant feu follet qu’est Bálint Bokodi - tous deux faisant maintenant partie du line-up Live « à plein temps ». Mention spéciale aussi aux chanteuses Martina Horváth et Ivett Dudás (Tales Of Evening), formant un beau duo qui interprétera aussi un autre inattendu, « A Bolyongás Ideje » qui ouvrait Naiv. Tout s’enchaîne parfaitement même si la réalisation a forcément coupé les passations entre les divers line-ups histoire de gagner en fluidité (pour un ensemble qui dure quand même une heure 13 minutes). Si l’on connaît sur le bout des doigts la carrière de Thy Catafalque, il n’y aura aucune aspérité supplémentaire il est vrai. Mais tout de même, cela fait grandement plaisir, et les musiciens qui ont eu la responsabilité de transporter l’œuvre de Tamás Kátai sur scène ont fait un travail remarquable, enchaînant les satisfactions sans aucune anicroche (« Kel Keleti Szél », « Mezolit » avec Gyula Vasvári de Perihelion, « Embersólyom », « Trilobita », « Szarvas »…). C’est beau, et pour cette formation devenue référence du metal d’avant-garde, c’est une première totalement réussie.
Le contenu du Blu-Ray est lui par ailleurs très bien réalisé, illustré par quelques images du site du festival (le concert s’étant déroulé en open air) qui a l’air fort joli et convient presque parfaitement au « cadre » de Thy Catafalque. Les plans de caméra sont variés et on est sur un matériel qualitatif, bien supérieur à certaines captations basiques parfois livrées par les grands festivals metal. Peu ou pas de reproches à faire à la prise de son également, si ce n’est que la batterie claque un peu trop par moments (« Piros-Sárga ») mais c’est pour chipoter. Et surtout, la vidéo nous permet d’assister à ce qui est le moment le plus mémorable du concert : le final sur « Fehérvasárnap » (l’outro de Meta), où Tamás Kátai vient tout seul réciter le texte du morceau, tout en simplicité, et finalement d’une façon extrêmement touchante. Vraiment, le fan absolu de Thy Catafalque en laisserait même couler une larmichette, devant cette apparition finale très émouvante du musicien qui vient de voir une partie de son œuvre prendre enfin vie sur les planches. Tamás finira par donner une franche accolade à tous les musiciens réunis sur la scène du Fekete Zaj, concluant un concert particulièrement réussi, qui marque de manière grandiose le début d’une nouvelle étape de la carrière de Thy Catafalque, dont on verra si elle influencera les prochains albums. En refaisant le tour de la question, on remarque aussi que pas mal de morceaux du projet auraient pu bénéficier d’un passage au format Live. Aucun morceau antérieur à Róka Hasa Rádió ne sera joué, pourquoi pas un « Csillagkohó » voire un « Bolygó, Bolyongó » même dans des versions raccourcies… Et pour les albums postérieurs, la représentation est disparate, j’aurai bien vu pêle-mêle des « 10⁻²⁰ Ångström », « Napút », « Szélvész », « Az Energiamegmaradás Törvénye » apparaître… surtout que certaines sont presque taillées pour le Live et que les guests d’origine étaient là (par contre, pas d’Ágnes Tóth ou d’Attila Bakos à l’horizon, pour ceux qui avaient espéré les voir). Mais les perspectives sont nombreuses et les setlists des concerts ayant suivi depuis ont réservé de franches surprises dans le répertoire, dont certaines pistes que je viens de citer d’ailleurs… Bref, Thy Catafalque est désormais vivant sur les planches, pas encore à grande échelle ni pour des tournées (ce qui restera probablement le cas), mais pour les fans, c’est une grande satisfaction de voir que la possibilité existe réellement. Et Mezolit montre que le cap a été possible à franchir, même si l’ensemble n’est pas plus surprenant que de raison, faisant surtout office de compilation interprétée sur scène avec brio et variété dans la forme, pour un léger regard nouveau et plus d’efficacité. Ce Live At Fekete Zaj est de toute façon indispensable pour les amateurs, bien évidemment, en attendant que par miracle, un jour, vous pouviez le voir de vos propres yeux près de chez vous… car c’est désormais réel.
Setlist de Mezolit - Live At Fekete Zaj :
1. Esőlámpás (Róka Hasa Rádió)
2. Kel Keleti Szél (Rengeteg)
3. Köd Utánam (Róka Hasa Rádió)
4. Szamojéd Freskó (Geometria)
5. Jura (Sgùrr)
6. Mezolit (Meta)
7. Embersólyom (Naiv)
8. A Bolyongás Ideje (Naiv)
9. Sirály (Meta)
10. Kék Ingem Lobogó (Rengeteg)
11. Trilobita (Rengeteg)
12. Fekete Mezők (Rengeteg)
13. Piros-Sárga (Vadak)
14. Szarvas (Vadak)
15. Fehérvasárnap (Meta)