"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Ça y est, il est en train de le faire. Thy Catafalque va désormais nous sortir un nouvel album tous les ans. Lui qui avait pu nous faire languir par le passé (les 4 ans séparant Rengeteg (2011) de Sgùrr (2015)) semble maintenant être armé d’une productivité folle. Même si cela pourrait lui faire faire un peu de redite (le moins marquant Meta (2016)). Cependant, Thy Catafalque a de la ressource et a exploré ces dernières années quelques nouvelles sonorités, dès le plus « jazzy » Geometria (2018). Naiv (2020) avait presque tout remis à plat, permettant au projet à la fois de revenir vers quelques aspirations folk et mystiques tout en continuant à explorer son aspect un peu plus « moderne », sachant que le Metal tendance extrême des débuts n’est jamais bien loin… Un peu plus d’un an après Naiv, revoilà déjà Thy Catafalque en bacs. Ce qui est toujours enthousiasmant pour l’inégalable projet hongrois de Metal avant-gardiste, toujours aussi inimitable et qui a sorti de véritables chefs-d’œuvre par le passé (Tűnő Idő Tárlat (2004), Róka Hasa Rádió (2009)… et aussi Rengeteg). Mais comment réussir à tenir la cadence, ne pas baisser en intérêt voire se renouveler après tant d’albums en si peu de temps - 6 en 10 ans ? Quand on est un projet avec autant de créativité et un son unique en son genre, c’est malgré tout un peu facile. Il faut tout de même faire en sorte de ne pas lasser, mais pour ça, Tamás Kátai fait toujours le nécessaire. Hormis Meta que je trouve toujours un peu moins bien - ça reste un très bon album du genre restons clairs - il y a toujours de quoi faire. Et si Geometria avait permis au projet hongrois d’explorer de nouvelles choses, Naiv était tout simplement excellent, avec quelques fabuleux morceaux ("Embersólyom", "Kék Madár (Négy Kép)", "Napút", "Szélvész"). C’est finalement tout ce qu’on demande à Thy Catafalque, rester singulier et envoûtant. La référence en matière d’avant-garde, elle est toujours là. Et Vadak, 10ème full-length de Thy Catafalque, va faire continuer le règne sans partage.
A la vue de cette belle pochette, on ne va pas se tromper sur la direction que va prendre Thy Catafalque pour sa cuvée 2021. Le projet se situe toujours entre 4 points cardinaux : Folk, Electro, « Jazz » et Black-Metal. Ici, on va donc un peu prendre la direction qui mène à la Nature, à ses ambiances, donc sur le curseur du Folk. Mais sur la table d’orientation, les autres chemins ne sont jamais loin. On se retrouvera alors bien vite de temps à autres sur les territoires de l’Electro et du Black-Metal, notamment. Cependant, Vadak sera l’album le plus « atmosphérique » de Thy Catafalque depuis un petit moment, retrouvant bon nombre d’ambiances enchanteuses qui avaient notablement fait le sel de Róka Hasa Rádió à l’époque. On reste toutefois dans la lignée de Naiv, mais Thy Catafalque va de nouveau retravailler et allonger ses compositions. Vadak dépasse à nouveau l’heure de musique, et l’on retrouve ici deux morceaux dépassant 10 minutes, deux choses qui n’étaient plus arrivées depuis Meta. Autant dire que l’inspiration est au rendez-vous et on va le voir d’entrée de jeu avec l’ouverture tonitruante sur "Szarvas". L’intro électronique est fantastique, les riffs arrivant après dépotent, les mélodies typiques nous font déjà voyager. Malgré ses seulement 5 minutes, "Szarvas" est un opener digne des "Csillagkohó", "Szervetlen" et autre "Fekete Mezők", et autant dire que Thy Catafalque est en très grande forme, arrivant toujours à surprendre grâce à un chant clair au ton différent, assuré par un des nombreux guests de l’album (Gábor Dudás), et aussi un solo très Metöl. Alors que Naiv était déjà pour moi le meilleur album de Thy Catafalque passé Rengeteg, le projet va-t-il réussir à sortir un nouveau chef-d’œuvre digne de sa meilleure période ? Le pari est lancé. Vadak se poursuit tranquillement avec le très enlevé "Köszöntsd A Hajnalt", où l’on retrouve la belle voix de Martina Veronika Horváth et où l’on constate avec étonnement que, bien que Tamás Kátai soit retourné en Hongrie après avoir vécu en Ecosse, ce n’est que maintenant qu’il fait utiliser de la cornemuse dans un de ses morceaux… mais cela fait un élément de plus à rajouter au panel impressionnant de sonorités de Thy Catafalque, qui en profite pour déjà remettre en avant quelques ambiances féériques…
… Avant de brusquement remettre le curseur vers le « Metal », et c’est là que Vadak va commencer à devenir de plus en plus intéressant. Dès "Gömböc", la riffaille lorgnant vers le Black-Metal reprend ses droits, pas accompagnée des vocaux arrachés et saturés que Tamás Kátai a l’habitude de délivrer vu que la composition sera ici instrumentale, mais avec un break électronique entraînant et de toute beauté, qui contraste bien et montre encore une fois toute la richesse de Thy Catafalque. "Az Energiamegmaradás Törvénye" enfonce déjà le clou, avec des compos abrasives quasiment Thrash (!) voire old-school (!!) et si le groupe se produisait en Live, il pourrait lancer les premiers circle-pits de son existence là-dessus sans qu’on y trouve à redire. Thy Catafalque n’avait jamais été aussi « Metal » depuis Sgùrr finalement (la partie centrale du morceau est à ce titre savoureuse et très accrocheuse) même si ce genre de compos extrêmes ont toujours fait partie de son répertoire à des moments savamment choisis. Mais on a bien affaire à du Thy Catafalque, et entre quelques moments tout de même très mélodiques et toujours des incursions électro ou folkisantes remarquables, ses goûts pour l’avant-garde et l’expérimentation ne sont jamais loin. Et cet ensemble va exploser sur "Móló", la partie centrale de cet album qui va encore mieux jouer avec tous ces éléments. Le Metal de la cuvée 2021 de Thy Catafalque est toujours aussi tranchant et efficace, accompagné dès le départ par les vocaux de Gábor Veres des excellents et méconnus Watch My Dying. Les autres particularités et sonorités typiques de Thy Catafalque nous entraînent ensuite dans un morceau vraiment riche et passionnant, qui nous transporte sans mal dans l’univers si particulier du projet hongrois pendant 10 minutes. Là aussi, Thy Catafalque retrouve sans mal la verve des morceaux longs « centraux » qu’il avait l’habitude de livrer sur ses anciens albums, à l’image par exemple d’un "Molekuláris Gépezetek" dont le final très enlevé et atmosphérique nous renvoie directement, mais que dire de la fabuleuse partie électronique qui commence à 6’ et montre un Thy Catafalque en très grande forme quand il s’agit de livrer de la musique résolument dépaysante et onirique… Tout ce qui fait le sel du projet hongrois est là, sans véritable surprise certes, mais ce "Móló" est assurément un des morceaux les plus complets et inspirés de Tamás Kátai depuis un bon moment, et l’on se délecte encore de ces ambiances toujours si personnelles et inimitables…
Pour la suite de Vadak, Thy Catafalque va continuer à explorer son spectre devenu très large au fil des années, à l’image déjà du très électro-jazz "A Kupolaváros Titka" qui nous renvoie vers les sonorités découvertes sur Geometria et surtout sur l’album de Neolunar. Un morceau très urbain, directement contrasté par les plus folkisants "Kiscsikó (Irénke Dala)" et "Piros-Sárga". Thy Catafalque tente ici d’ailleurs d’enrichir encore plus son répertoire avec de nombreux invités pour de nombreuses instrumentations originales (et même un chant clair assez déroutant sur "Piros-Sárga"), même si ça ne sera pas forcément ce que Vadak a de plus intéressant à offrir surtout après des morceaux de premier choix comme "Szarvas", "Gömböc" et "Móló" - et malgré quelques moments forts avec des sonorités typiques. Mais Thy Catafalque a encore de la ressource et va le montrer avec une fin d’album en grande pompe. Déjà avec les 12 minutes du morceau-titre qui remettent un dernier coup de Metal salvateur (avec cette fois le chant furieux de Tamás Kátai, qui s’égosille un petit peu dans un album tout de même largement instrumental) avant de partir à nouveau dans un trip mêlant électro sidérante et folk féérique, et autant dire qu’une dernière fois on se laisse prendre au jeu, passionnés et ébahis. Le chant de Martina Veronika Horváth ajoute encore un peu de magie, et Thy Catafalque excelle à nouveau dans un morceau long comme dans son passé, en bouclant la boucle avec quelques derniers riffs Mitöl doublés par un violon bien énervé et quelques leads mirifiques. Et ce n’est pas tout vu que Vadak se clôture sur le fantastique morceau émotionnel et 100% atmosphérique qu’est "Zúzmara", tournant juste autour de claviers et du chant féminin, et c’est juste magnifiquement beau. Du simple mais grand art qui montre que Thy Catafalque reste un grand. Une nouvelle fois, Vadak ne surprend pas vraiment ou rarement, Tamás Kátai explore peu de nouvelles choses, joue surtout avec ses équilibrages (ici tour à tour beaucoup de « Metal » et de « Folk ») et ce 10ème full-length est un peu hétérogène par moments. Mais Vadak est finalement l’album qui se rapproche le plus d’anciens chefs-d’œuvre, notablement Róka Hasa Rádió, sur certaines pièces absolument imparables. Des "Szarvas", "Móló" et "Vadak (Az Átváltozás Rítusai)" ou même "Gömböc" et "Zúzmara" peuvent aisément devenir des cultes parmi les cultes du projet. Seul l’avenir nous le dira cependant, c’est pour ça que pour l’instant je mets Vadak au même niveau que Naiv, qui était peut-être plus homogène mais n’avait pas des morceaux plus longs et impressionnants qu’ici. En tout cas, l’inspiration est toujours là, et Tamás Kátai s’est vraiment surpassé par moments pour retrouver les vibes du sommet de sa carrière et nous dépayser comme au bon vieux temps. Thy Catafalque excelle donc toujours, et presque de manière insolente, reste le maître absolu du Metal d’avant-garde. Inégalable et donc indispensable…
Tracklist de Vadak :
1. Szarvas (5:39)
2. Köszöntsd A Hajnalt (4:27)
3. Gömböc (5:06)
4. Az Energiamegmaradás Törvénye (6:51)
5. Móló (10:05)
6. A Kupolaváros Titka (3:19)
7. Kiscsikó (Irénke Dala) (3:46)
8. Piros-Sárga (5:06)
9. Vadak (Az Átváltozás Rítusai) (12:25)
10. Zúzmara (5:34)