"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
La sortie d’un nouvel album de Thy Catafalque, c’est toujours un évènement. Mais il ne fallait pas que ça se transforme en routine, que la productivité amène à une production linéaire et lassante (coucou Anaal Nathrakh). Le projet hongrois - désormais localisé à Edimbourg en Ecosse - s’est fait désirer par le passé, mais depuis sa signature chez Season Of Mist pour Rengeteg (2011) et en particulier depuis la sortie de Sgùrr (2015), Tamás Kátai ressort plus souvent du bois pour nous proposer ses nouvelles compositions. A peine un an après Sgùrr et alors qu’il avait sorti la même année un album solo et le premier stuff de son nouveau projet Neolunar, Meta (2016) avait débarqué par surprise et, pour la première fois, montrait un Thy Catafalque en roue libre, toujours capable de belles choses mais qui n’apportait pas d’idées neuves, un album en somme trop classique, pas décevant, mais relativement vain. Souffrant du syndrome de l’album sorti trop vite, Meta ne devait être qu’une légère erreur de parcours. Pourtant, nous n’allons pas de nouveau attendre quatre ans pour que Thy Catafalque poursuive sa carrière avec un 8ème album. Deux ans après Meta (ou presque un an et demi en fait), voilà Geometria. Est-ce encore trop tôt ? C’est déjà une question qui se doit d’être posée. Si le style unique de Metal avant-gardiste de Thy Catafalque a toujours un charme inégalable, il faudrait qu’il y ait un peu de renouvellement, de nouveautés, d’avancée vers l’avant, même si le retour aux sources est parfois salutaire (cf. le très réussi Sgùrr). Geometria a à la base été présenté comme proche de Róka Hasa Rádió (2009). Ce qui n’est peut-être pas rassurant balancé comme ça et aussi simplement, même si c’est à l’aise le deuxième meilleur album de Thy Catafalque derrière Tűnő Idő Tárlat (2004) et qu’il apportait à l’époque des sons nouveaux - même s’il était en partie basé sur certaines expérimentations de l’album Microcosmos (2001). Mais non, et je vous le donne en mille, Geometria c’est bien plus que ça, et ça sera même le meilleur album de Thy Catafalque depuis Rengeteg. Bim.
Meta n’apportait pas grand-chose de neuf et s’était donc avéré peu mémorable. Geometria va alors prendre le contre-pied de Meta et Sgùrr et cette fois-ci, clairement regarder vers le futur avec de nouveaux apports musicaux, voire même une certaine modernité. Certes, Thy Catafalque reste reconnaissable entre mille et de nombreuses particularités seront toujours présentes, que ce soit les éléments purement Metal - grattes, chant over-saturé, boîte à rythmes - et les adjonctions folkisantes à la Róka Hasa Rádió que l’on avait retrouvé déjà sur Meta, et bien sûr les ambiances et sonorités avant-gardistes si particulières et si chères à Tamás Kátai. Du côté des invités, ça bouge légèrement même si Gyula Vasvári (Perihelion) et Balázs Hermann (Gire) sont nouveau de la partie, contrairement à Zoltán Kónya (Gire) et Attila Bakos qui sont repartis de là où ils sont venus, de même que Ágnes Tóth (The Moon And The Nightspirit) qui ne sera hélas pas présente cette fois-ci mais qui a été numériquement remplacée par Martina Veronika Horváth de Nulah et Niburta. Du reste, Geometria va donc brosser un tableau très différent de celui de ses deux prédécesseurs directs, et même de ceux d’avant sur certains points, marquant un nouveau cycle pour Thy Catafalque ou tout du moins une nouvelle essence. Celle d’un Thy Catafalque plus moderne et encore plus varié, qui cette fois-ci lorgne encore plus vers l’électro et le jazz. Ce qui nous ramène d’ailleurs au projet clairement électro/jazz de Tamás Kátai, Neolunar. Mais même si la facilité nous amènerait à dire que Geometria est un album faisant le pont entre Neolunar et Thy Catafalque, un album mélangeant les deux projets ou un album de « Neolunar version Metal », la réalité sera un brin plus complexe et Geometria va vraiment avoir son identité propre. Et restera un pur album de Thy Catafalque, ou plutôt un album de « Tamás Kátai Metal ». Comme à son habitude finalement, mais avec une ouverture musicale plus grande.
Et Thy Catafalque ne perd pas ses habitudes en commençant avec une ouverture assez longue et assez riche, qui commence doucement mais sûrement en posant le tableau. "Hajnali Csillag" introduit donc une ambiance un peu différente pour Thy Catafalque, toujours psychédélique et enivrante, mais comme un Tűnő Idő Tárlat en version ultra-moderne avec l’apport de percussions jazzy, et toujours la touche folk avec un bien beau violon et de splendides mélodies. Avant que le naturel ne revienne au galop par la forme de riffs plus groovy qu’à l’accoutumée et terriblement efficaces, accompagnés de la voix envoûtante et entraînante de Martina Veronika Horváth qui succède habilement à Ágnes Tóth. Thy Catafalque amène donc un peu de vent frais, et semble en forme de compétition avec un sublime opener digne de ses meilleures œuvres. Et embraye alors sur "Szamojéd Freskó", un single hyper direct qui se pose carrément comme un des meilleurs morceaux « Metal » de Thy Catafalque, avec Tamás Kátai qui s’égosille comme jamais et se lâche sur les riffs mordants et les sonorités hallucinées. Un véritable tube, pas comme ceux de Rengeteg mais à la "10^(-20) Ångström", en plus couillu encore. Mais c’était un fait établi, le Metal ne serait pas toujours dominant sur Geometria. Et Thy Catafalque bascule alors vers "Töltés", lui aussi un tube mais dans un registre totalement différent, 100% électro-avantgarde à la Neolunar et avec uniquement du chant féminin. Un virage à 180° qui peut décontenancer (j’ai vu des commentaires pas très gentils à son endroit sur YouTube…) mais qui reste pourtant typique de l’inventivité et de l’originalité sonore de Thy Catafalque. Surtout que ce morceau apporte ici une touche électronique résolument moderne, et c’est ce qui fait vraiment le sel de Geometria. D’ailleurs, les meilleurs morceaux de cet album sont finalement les plus inattendus, et pour moi les autres sensations de ce disque seront les plus courts "Gőte" (un morceau très jazzy, agrémenté de cuivres, juste irrésistible et génialement entraînant) et "Hajó" (à nouveau totalement électronique et avec une ambiance particulièrement sidérante), qui sont également placés sous le signe du futur et de la nouveauté même si c’est du Thy Catafalque à 100%, mais version 2018. Complétée par le plus appuyé et sombre "Sárember" avec l’intervention classieuse de Gyula Vasvári, cette première partie d’album est assez exceptionnelle et marque le retour d’un Thy Catafalque très inspiré et réussissant à se renouveler sans virer sa cuti.
Hélas, Geometria va connaître un coup d’arrêt dans sa créativité avec les deux morceaux plus Black-Metal que sont "Lágyrész" et "Sík" pas forcément indispensables et cassant un peu l’ambiance. Le premier est dans l’esprit cru et mélancolique de morceaux comme "Héja-Nász Az Avaron" ou "Őszi Varázslók" mais sans panache, le second est plus rampant mais ne décolle pas malgré quelques effets sympho surprenants. Heureusement, Geometria se termine bien, avec les très folk et plaisants "Balra A Nap" et "Tenger, Tenger", encore une fois classiques mais empreints de modernité, avant que l’album ne se clotûre sur le plus enlevé et épique "Ének A Búzamezőkről", aux riffs libérateurs et aux mélodies de premier ordre, flirtant encore avec de vieux morceaux mais modernisés. Et si ce final aligne huit minutes tout comme l’ouverture sur "Hajnali Csillag", notons tout de même que c’est la première fois de l’histoire discographique de Thy Catafalque qu’un album ne comporte aucun morceau dépassant 9 minutes, alors que Meta restait sur le morceau le plus long jamais composé par le projet, "Malmok Járnak" (21 minutes). Thy Catafalque a donc voulu aller à l’essentiel avec un de ses albums les plus entraînants et les plus inspirés, amenant avec brio des touches électro et jazzy qui se marient à la perfection avec les habituelles aspirations folk, avant-garde et Black-Metal, ici quelque peu modernisées pour qu’enfin, Thy Catafalque arrête de regarder vers le passé, les vrais chefs-d'oeuvre étant de toute façon derrière lui (et que Geometria n'atteint pas encore). La révolution n’est donc pas loin et si malgré tout, Geometria se base sur des éléments musicaux typiques de Tamás Kátai (que ça soit chez Thy Catafalque ou Neolunar), il est un album rafraichissant qui bouscule certaines ambiances et habitudes pour amener vers quelque chose de globalement plus efficace et entraînant. Si la deuxième partie de l’album, plus classique, n’est pas à la hauteur de la première, très innovante et délicieuse, il n’empêche que Geometria comble aisément la relative déception de Meta et prend le contresens de Sgùrr, même si le Black-Metal a toujours droit de cité et que malgré un "Töltés", non, Geometria n’est pas un album de « pop ». C’est du pur Thy Catafalque, avec sa personnalité inimitable, mais qui a pris 2-3 autres choses dans son sillage pour livrer un album un peu différent, parfois même osé, mais qui rembellit sa discographie récente et pose, encore et toujours, le projet d’origine hongroise comme une des références absolues en matière de Metal avant-gardiste.
Tracklist de Geometria :
1. Hajnali Csillag (8:14)
2. Szamojéd Freskó (4:02)
3. Töltés (4:26)
4. Gőte (3:11)
5. Sárember (6:42)
6. Hajó (2:36)
7. Lágyrész (4:54)
8. Sík (3:47)
9. Balra A Nap (5:04)
10. Tenger, Tenger (4:53)
11. Ének A Búzamezőkről (8:12)