Di Sab

Rares sont les jours où deux « grandes » salles parisiennes accueillent simultanément des plateaux de prestige en metal. A l’instar des livres dont vous êtes le héros, sachez que si vous ne possédez que quelques neurones que vous détruisez devant WoW ou que vous êtes friands d’armures en plastique et de titres d’albums en latin, rendez-vous à la page 100. A l’inverse, si le port d'un bonnet à l’intérieur ne vous paraît pas être une hérésie et si vous ou l’un de vos proches possédez un tatouage Jane Doe, vous êtes au bon endroit.

Initialement prévue avec Alcest en lieu et place de Russian Circles, cette seconde partie de la tournée européenne de Cult of Luna est l’un des derniers reports post Covid. Elle fait suite à une tournée plus petite des Suédois en compagnie de Birds in Row, pour un plateau certes un petit peu moins majestueux mais tout de même intéressant. Dans un contexte de reprise économique difficile, la veille d’une forte mobilisation, au sein d’une salle qui pourrait sembler trop grande pour le groupe, nombreux étaient les risques que cette soirée de gala n’ait pas l’aura qu’elle aurait dû avoir et ce d’autant plus que quelques heures avant, Russian Circles dénoncait les pratiques quasi-mafieuses mais désormais communes de l’Olympia.

Svalbard

Le mois dernier, dans cette même salle, Municipal Waste montait sur scène a un horaire absolument indécent qui ne permettait pas aux personnes possédant un travail d’arriver à l’heure pour être témoin de la prestation. Ce soir, malgré un début de set à 20 heures, c’est devant un parterre extrêmement parsemé que Svalbard va tenter de justifier sa nouvelle notoriété.

En effet, depuis 2020 et la sortie du très remarqué When I Die Will I get Better ?, les Anglais ont changé de statut. Festivals à l’international, signature chez Nuclear Blast... Le groupe suit la trajectoire logique des groupes de metal extrême remarqués. Un peu à l’instar d’Holy Fawn, Svalbard est un groupe dont j’ai du mal à comprendre le nouveau statut de quasi incontournable. Loin d’être mauvais, leur capacité à manier les contraires est intéressante mais toutefois assez convenue dans le post hardcore dans lequel ils officient. Touches post rock et chant clair féminin pour éclairer et faire respirer le propos, riffing véloce issu du hardcore mélodique et chant saturé pour alourdir le tout, l’équilibre est bien trouvé mais pas révolutionnaire pour autant. Ceci dit, pour 30 minutes en début de soirée, le moment n’est pas désagréable d’autant plus qu’ils semblent sincèrement touchés des opportunités qui s’offrent à eux.

Le quatuor se focalise sur l’album qui a fait son succès, et surtout nous offre son très réussi nouveau single (« Eternal Spirits ») en guise de clôture. Si l’album à venir est de ce niveau, c’est avec plaisir que je rejoindrai la hype Svalbard ! A suivre avec intérêt.

Setlist :
Throw your Heart Away
Disparity
Open Wound
Click Bait
Eternal Spirits

Russian Circles

Bien que grand amateur de post metal et d’albums instrumentaux, j’ai toujours eu du mal avec Russian Circles. La dimension un peu trop ample et pas assez centrée sur les riffs m’a longtemps tenu à distance des Américains. Avec Gnosis, le groupe a gagné en consistance. Plus extrême, plus catchy, la production gagne en définition et le propos en puissance. D’aucuns ont un peu gaussé sur la versatilité de l’album où des titres « à la manière de » Tool (« Gnosis »), côtoient des plans un peu académiques ouvertement inspirés par le metal extrême (« Conduit ») ; mais pour ma part, je trouve le résultat hyper accrocheur, dynamique et franchement agréable. Cette orientation plus directe donne forcément des résultats intéressants en live. Malgré l’absence totale de communication du trio, et un jeu de lumière minimaliste, le public se laisse faire et semble rentrer facilement dans l’univers proposé par Russian Circles.

C’est mon cas aussi notamment parce que la setlist fait la part belle au dernier en date. La doublette d’ouverture composée de « Betrayal » et « Conduit », les deux titres les plus extrêmes de Gnosis, permettent de mettre une fosse plutôt remplie d’emblée d’accord. Elle met également en valeur le fait que, chose très surprenante pour l’Olympia, le son est un peu brouillon. C’est en particulier le riff thrashisant de « Conduit », très typé Slayer aussi surprenant que cela puisse paraître, qui en souffre. Heureusement, le problème sera corrigé en milieu de set et, à part un petit problème technique pour Mike Sullivan, le groupe aura donné le sentiment de maîtriser son propos sans une implication excessive. Alors qu’Alcest aurait sans doute fait plus forte impression en France, Russian Circles, sans transcender le public, offre une copie propre, nette et sans bavures. Le « plat du pied, sécurité » de la scène.

Setlist :
O Braonain
Betrayal
Conduit
Afrika
Quartered
Gnosis
Deficit
Mladek

Cult of Luna

Il n’est ni facile ni utile de décrire ce que je ressens pour Cult Of Luna. Comme beaucoup de groupes de post metal, chacun peut se construire son propre rapport au groupe. Proposant volontairement une musique où les notions d’espace, de voyages et de paysage sont primordiales, Cult of Luna permet à chacun de projeter en soi les images avec lesquelles il souhaite illustrer les vagues sonores proposées par le groupe d’Umea. Bien que chacun puisse s’approprier les titres comme il le souhaite, il y a toutefois une sensation que toutes et tous partagent : celle d’être écrasé par quelque chose de trop puissant, de trop grand, de trop majestueux. Cette capacité à retranscrire le déluge sonore proposé en studio est la force principale du groupe et fait que, quiconque a déjà vu un show de Cult of Luna, sait à quelle sauce il sera mangé par Johannes Persson et les siens.

Réputés pour leur son compact et défini, pour leur jeu de lumières qui alterne entre stroboscopes et architecture formée de rayons de lumière et pour leur discographie sans fautes ni temps morts depuis 10 ans, le public, fourni malgré la taille de l’Olympia, semblait savoir à quoi s’attendre.

Mais là où la puissance de Cult of Luna m’avait renversé par deux fois en festival, c’est bien trop mollement qu’est entamé « Cold Burn ». Autant les parties de percussions sont audibles et les hurlements de Personn sont amples et parfaitement retranscrits, autant les guitares, les samples, les claviers et la basse sont bien trop en retrait dans le mix. Le résultat peut faire penser à un concert au sein d’un festival venteux, à mon plus grand désarroi. Même si Russian Circles ont eu le même souci en début de set, je ne pensais pas qu’il y aurait des problèmes à ce niveau tant la salle comme le groupe sont réputés pour leur son excellent et constant. Forcément, le souci fut corrigé au fur et à mesure du set, mais trop tard à mon goût. Car pour moi, ce soir, le set était divisé entre la première moitié comportant la plupart de mes titres favoris récents du groupe et le reste, excellent mais un peu moins intense. Et c’est donc « Cold Burn » / « Nightwalkers » / « The Silver Arc » et « I: The Weapon » qui ne bénéficièrent pas du son qu’ils auraient dû avoir.

C’est en réalité à partir d’« Echoes » que le groupe nous donne à voir son réel potentiel. Ce fut particulièrement intéressant de voir Cult of Luna interpréter deux titres pré Somewhere Along the Highway (« Echoes » de Salvation et « Genesis » de The Beyond). Ne bénéficiant, à l’époque des enregistrements, pas d’un aussi bon son que la période moderne, ces titres se laissent redécouvrir en live de la plus belle des façons. Au rayon des surprises, notons également l’interprétation de « The Beyond I » où le chant féminin originel est transposé par le guitariste. Au-delà de cela, peu de nouveautés. « The Silent Man » fait office de tube de la soirée qui se termine sur « Blood Upon Stone » comme depuis la sortie de The Long Road North. Comme d’habitude, on peut déplorer l’absence de tel ou tel titre. On peut aussi être surpris que le groupe ne sorte pas le moindre extrait de The Raging River, EP sorti pendant la pandémie.

Quoi qu'il en soit, Cult of Luna a pris son temps ce soir pour atteindre sa vitesse de croisière avant de la trouver et de tout retourner sur son passage. Pour une raison que j’ignore, Paris a eu droit à un petit bonus par rapport aux autres villes sous la forme d’un sublime « In Awe Of » qui clôt une bonne heure et demie de set.

Moins forts que d’habitude mais à des années lumières de la concurrence, tout de même. 

Setlist :
Cold Burn
Nighwalkers
The Silver Arc
 I : The Weapon
Echoes
Beyond I
Genesis
Blood Upon Stone
In Awe Of

Merci à Cartel Concerts pour la date et l'invitation.

Un immense merci à Stephan Birlouez, pour l'utilisation de ses photos.