Devin Townsend + Klone + Fixation @ Paris
Olympia - Paris
hell god baby damn no!
Le nombre de gros plateaux metal dans des grandes salles comme l'Olympia ou Pleyel est affolant ces derniers temps, pour ne pas dire inédit. Trop grandes ? Le concert de Devin Townsend, à l'adresse iconique du boulevard des Capucines, est loin d'être pleine ce soir malgré la popularité de l'artiste. Il faut dire que le prix des places (entre 40 et 61 € selon votre placement) est sûrement tombé au mauvais moment, dans un contexte où beaucoup ont déjà du payer le prix pour, au choix, Igorrr,Cannibal Corpse ou Cult Of Luna. Tout le monde n'est malheureusement pas Robert Smith pour demander aux revendeurs de changer leurs pratiques. Dans un contexte économique également difficile pour le secteur des musiques actuelles, on peut citer entre autres Russian Circles qui dénonçait lors de son passage dans la même salle que celle de ce soir, les pratiques abusives de taxation sur le merch, revenu vital pour un groupe en tournée. C'est évidemment ce soir aussi le cas, où les groupes ont dû hausser considérablement les prix du merch afin de ne pas le vendre à perte. Ce beau hoodie à 60 € me faisait pourtant fortement envie. Nos concerts, même dans une scène que l'on veut encore imaginer de niche, seraient-ils en passe de devenir un véritable loisir de luxe, dans un système de plus en plus difficile pour les groupes aux prises des autres acteurs du secteur ?
C'est la tête toute pleine de ces réflexions que j'attends patiemment le début du concert - pas d'horaire communiqué, donc je préfère venir tôt... Quitte à faire le pied de grue. Lorsque 20h sonne enfin, les lumières s'éteignent et la soirée peut enfin débuter.
Fixation
J'ai découvert Fixation le matin même du concert lorsque, par un élan soudain de professionalisme, je me décide d'écouter un peu ce dont nous allons avoir droit en ouverture de ce concert. Grand mal m'en a pris, car les sonorités metalcore très prononcées et le chant fort cliché à la limite du geignard m'ont tout de suite refroidie.
Pourtant, en live, si je ne suis pas conquise (je ne vais pas mentir), c'est plus le côté rock et frontal du groupe qui ressort, ce qui me touche déjà un peu plus. Le chanteur, norvégien à l'accent américain fort saillant, conquit assez facilement le public avec une grande énergie déployée sur scène, rendant les 30mn du concert aussi intenses que chaleureuses. Autant dans le son que dans le look, il y a un côté candide, très spontané, combiné à un sens de la mélodie et des rythmiques catchy qui ravira sûrement les nostalgiques des années 2000. Si le public débute le concert de manière assez calme, le groupe semble se faire assez vite quelques adeptes dans la salle. Et le groupe semble commencer à bien grossir en Norvège, où ils ont pu ouvrir pour Leprous, jouer sur les scènes du By:Larm, festival assez repéré pour la scène rock émergente et surtout au Tons Of Rock.
L'écart de style tout de même assez grand avec la tête d'affiche a sûrement treprésenté un obstacle non négligeable pour certain.e.s. Mais c'est là toute la difficulté d'appréhender un line up dont la tête d'affiche est aussi singulière.
Klone
Klone arrive, sans surprise, devant un public plus large et plus enthousiaste : les Français jouent à domicile et n'ont plus rien à prouver à leur fanbase construite depuis des années. Actifs depuis le début du XXIe siècle et piliers du collectif Klonosphère, ils ont eu une forte période prolifique il y a un peu moins de dix ans, accompagnée d'une forte notoriété en particulier dans l'hexagone. Ils ont d'ailleurs déjà tourné aux côtés de Devin Townsend. De retour avec des albums en 2019 et 2023, Klone a pris un virage moins metal, plus rock. Malheureusement pour moi, ils font partie de ces noms importants de la scène prog qui n'ont jamais véritablement réussi à me toucher – mais des lives ont déjà réussi à changer cela, et j'approche donc le set avec plus de curiosité qu'autre chose.
Le changement d'atmosphère est assez conséquent : on passe d'un chanteur sautillant à un frontman complètement statique, de compos catchy et directes à de longs morceaux évolutifs au tempo généralement assez lent, allant presque chercher sur un doom mélodique, un certain spleen à la française. Mais Klone propose globalement un set assez varié qui sait aller piocher vers ses compositions plus directes aux sonorités metal plus impactantes, mettant en évidence une certaine filiation avec Gojira (histoire de rester dans nos frontières).
L'aspect peu communicatif du groupe, surtout comparé à leurs compagnons de tournée, ne choque pas tant que ça avec une musique introvertie et intimiste qu'ils semblent vivre avec toujours autant d'intensité malgré les années. Et bien que je décroche un peu sur la fin du set, la fameuse reprise de Björk me fait relever la tête : j'adore la version originale d'« Army of Me ». La version de Klone n'a au final plus grand chose à voir avec le modèle - mais propose un bon exercice de style sur le thème de la reprise.
Devin Townsend
Il y a de ces artistes qu'on ne peut jamais vraiment décrire, dont la musique semble simplement plus large que ce que les mots peuvent exprimer. « C'est ton boulot de chroniqueuse », me répondrez-vous. Devin Townsend a tout fait : du metal extrême, des ballades acoustiques, de la country rock, des concepts métaphysiques profonds, de la parodie. Il y a, derrière le nom, un personnage fantasque et immédiatement attachant, rafraîchissant au possible dans une scène prog souvent définie par la prouesse technique, le côté geek de la guitare et des amplis. On en a bien besoin, de l'auto-dérision de notre ami canadien. On retrouve toujours, à un concert de Devin Townsend, quelque chose de plus qu'une simple écoute de musique live : la promesse de partager un moment chaleureux, potentiellement drôle, probablement absurde. De passer du rire aux larmes en peu de temps, plusieurs fois dans la soirée (...comment ça, tout le monde n'est pas aussi émotif que moi ?).
J'ai tendence à ne plus écouter les albums que je chronique pendant un moment après avoir écrit dessus – ça n'a pas été le cas de Lightwork. Le dernier album de Devin Townsend a continué de tourner dans mes oreilles et de grandir dans mon coeur, et c'est donc, contrairement aux groupes précédents, avec beaucoup d'attentes que j'aborde ce concert – sans compter le fait que la tournée précédente, celle d'Empath, fait partie de mes plus beaux souvenirs live. Oui, après ce long blabla personnel durant lequel j'ai sûrement perdu 50% des deux personnes ayant daigné cliquer sur mon live report, je vais enfin parler du concert. Bravo, si vous êtes toujours là.
Le groupe arrive sous les cris et applaudissements d'un public extrêmement enthousiaste, ce que le frontman ne manquera pas de nous faire remarquer d'entrée de jeu. Il nous salue dans son plus beau français et s'attèle d'ailleurs à la tâche de nous déballer toutes les phrases qu'il connaît (dont le très utile « Où sont les toilettes ? »), et on entre directement dans le bain avec « Lightworker » du dernier album. Je suis agréablement surprise de voir que je suis loin d'être la seule à déjà bien connaître et chantonner les paroles du refrain. Lightwork marquait un retour bienvenu à la version calme et posée de Devin Townsend, loin, pour la plupart des morceaux, des murs de guitares saturés et synthés qui forment souvent sa marque de fabrique. Devin y chante aussi souvent seul, les grands choeurs étant réservés pour quelques refrains. Cela se ressent immédiatement : la mise en scène est extrêmement sobre, loin de celle très chargée de la tournée d'Empath, par exemple. Pas non plus de présence féminine sur scène, les voix sur les passages concernés étant enregistrées.
Pourtant, la setlist ne se concentre pas sur les titres les plus calmes du large catalogue du Canadien : on enchaîne directement sur du tubesque avec le classique « Kingdom » puis « Dimensions », morceau le plus frontal du dernier album. Sur scène, plus que sur album, c'est une véritable claque : une sorte de trip indus électro à la Townsend. Il y a quelque chose d'hypnotique et immersif qui marche immédiatement. Pour l'occasion, on a même installé sur les micros et avec la batterie de petites peluches poulpes (apparemment absentes du stand de merch, on a vérifié), bien entendu nommées au fil de la tournée par les membres du groupe. Sauf celle du batteur, ce que Devin s'empresse d'improviser (« Let me introduce you to... Sam! »). C'est également grâce à ces petites créatures qu'on aura droit au moment le plus mignon du spectacle : le chanteur repère dans les premiers rangs une petite fille qu'il s'empresse de faire monter sur scène pour lui en donner une. Il faut dire que oui, elle le mérite bien : devant moi dans la queue devant les portes, elle a bien du attendre... plus de 2h30 au total, debout avec sa famille. Et semblait toujours ravie d'être là. A quelque chose comme 8 – 10 ans, moi j'en étais pas là. Chapeau l'artiste. J'en profite d'ailleurs pour souligner que le public de Devin Townsend est sûrement l'un des plus sympas et agréables à vivre que j'ai pu côtoyer en concert metal. Peut être simplement un coup de chance de ma part, mais j'ai tout de même envie de parier sur l'optimisme et l'auto-dérision qui caractérisent tout de même l'univers de l'artiste, qui semble attirer des fans plutôt ouverts et tolérants.
Je referme ici la parenthèse pour pour aborder le clou du concert pour moi : non pas un, mais deux morceaux de Terria, vieil album et un de mes favoris, dont je n'avais jamais eu l'occasion d'entendre des morceaux en live. Si « The Fluke » rend moins bien qu'en album, la faute aux vocaux de base très noyés dans le mur de son qui prend ici pas mal le dessus, « Deep Peace » est un vrai bonheur, témoignant de la maîtrise absolue de Devin à passer du calme à la tempête, de la douceur à l'aggressivité, d'une émotion à l'autre en un laps de temps réduit. Le morceau se finit par Devin, assis par terre avec sa guitare et Mike, délaissant la sienne pour les synthés, s'affrontant dans une petite battle de solos improvisés. Egalement au programme des raretés bienvenues, le très dansant « Bad Devil » qui fera bien bouger la foule et au début duquel Devin nous fait rire en prétendant improviser le premier couplet dont il aurait soit-disant oublié les paroles. Le public en tout cas connaît bien celles du refrain, et le morceau se transforme en moment festif sans égal. On aura également l'occasion d'échauffer nos cordes vocales sur « Spirits Will Collide » d'Empath, sur lequel on nous demande de l'aide. J'avoue toujours préférer la version acoustique effectuée lors de la tournée précédente et enregistrée sur les albums lives, mais effectuer les choeurs avec le public fut un moment fort émotionnel.
Avec un back-catalogue aussi conséquent que le sien, il est toujours agréable d'avoir de petites surprises comme celles-ci alors que, malgré toute la richesse musicale à disposition, les setlists peuvent tout de même vite se ressembler. On ne crache cependant jamais sur « Deadhead », qui est bien sûr au programme ce soir et qui m'arrachera quelques larmes (ai-je vraiment besoin de le préciser ?).
Entre deux blagues toujours bien reçues, le concert passe en un éclair, et on nous informe déjà que c'est l'heure du rappel (les cinquantenaires du groupe ayant, d'après leur dires, besoin d'une pause. Mais la consigne est : continuez de nous appeler et ayez l'air surpris lorsqu'on revient s'il vous plaît). On repart pour deux morceaux diamétralement opposés : « Call of the Void », single de Lightwork, qui passe haut la main l'épreuve du live, et le très attendu « Love? » de la sacro-sainte époque Strapping Young Lad. Mon seul regret est de ne pas avoir eu au final plus de morceaux de Lightwork : quatre est un nombre certes élevé, mais seuls deux d'entre eux étaient vraiment représentatifs de cette nouvelle direction musicale toute coton. Bref, un Devin en forme malgré les petits problèmes de voix qu'il nous annonçait en début de set et qu'on a franchement pas entendu, un groupe qui affirme aussi bien sa présence sur scène, même si le frontman leur volera toujours un peu la vedette, et une setlist sachant faire la place aux classiques autant qu'aux surprises.
Je me demande tout de même comment ce concert a véritablement pu durer 1h30, lorsqu'il passe aussi vite. Mais on se le demande avec le sourire et en planant un peu, des échos de la musique résonnant toujours dans nos oreilles pour un bon moment. Devin ayant annoncé sur ses réseaux sociaux vouloir ralentir son rythme de tournée, cette soirée a aussi un petit goût doux-amer : combien de temps avant qu'on puisse revivre pareille soirée ?
Setlist :
Lightworker
Kingdom
Dimmensions
The Fluke
Deadhead
Deep Peace
Heartbreaker
Spirits Will Collide
Truth
Bad Devil
Call of the Void
Love?
Un grand merci à Base Productions pour l'invitation !