"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Mes bien chers frères, bienvenue à la dernière messe du Dieu Devin. Qui, à la table, n’est cette fois-ci plus accompagné de ses apôtres. Car oui, après 7 albums sous le nom de Devin Townsend Project (et alors que seulement 4 étaient prévus à l’origine), Devin Townsend est redevenu un projet « solo ». Enfin, Devin est tout de même un minimum accompagné, ne serait-ce que pour assurer les parties de batterie, avec bien sûr et comme à l’accoutumée quelques guests aux vocaux et ici et là, d’autres pour des guitares ou des claviers. Je ne vais pas être exhaustif surtout que la liste est assez longue, mais on retrouve pêle-mêle Morgan Ågren (Fredrik Thordendal's Special Defects, Casualties Of Cool), Anup Sastry (ex-Monuments, ex-Skyharbor), Sam « 66Samus » Paulicelli (Decrepit Birth, ex-Abigail Williams) pour ce qui est des batteurs ; puis entre autres guests Elliot Desgagnés (Beneath The Massacre, Despised Icon), Mike Keneally (avec Joe Satriani), Ché Aimee Dorval (Casualties Of Cool) Chad Kroeger (Nickelback), Steve Vai, ou encore, Reyne le fils de Devin… et bien sûr, sa muse, sa Marie-Madeleine, Anneke Van Giersbergen. Bref, pour un album « solo », cela fait du monde. Ce n’est pas cette fois-ci que Devin se (re)posera vraiment tout seul, même pas pour un album ambiant à la Devlab ou The Hummer ni même un truc vraiment calmos à la Ghost. Donc, pour le premier album de Devin Townsend « solo » depuis Ziltoid The Omniscient (2007), il n’y aura finalement pas vraiment de surprise, et Empath aurait pu être le 8ème album du Devin Townsend Project qu’on y aurait vu que du feu. Je pense qu’à partir de là, on peut rentrer dans le vif du sujet pour cet album qui succède à Transcendence (2016). Un album très « Metal prog’ », à nouveau très varié et équilibré et qui changeait un peu de Epicloud et Sky Blue, qui apportait un peu de vent frais à la discographie de Devin même si ses particularités propres sont toujours là, et il n’y a pas de raison que ça change. L’humeur de Devin est très variable, mais il continue à pondre des disques, de manière presque insolente finalement. Empath sera son 18ème album à sortir sous (ou dérivé de) son sobriquet nominatif, en comptant les deux albums ambiants et je pourrais bien évidemment ajouter les albums de Strapping Young Lad… cela nous fait donc, si on veut être précis, 23 albums, et ce depuis 25 ans. La folie créatrice est là, et elle perdure encore. Et ce malgré toute la complexité du personnage de Devin Townsend.
Dans quelle humeur Devin Townsend a-t-il donc abordé et enregistré Empath ? Je laisse les plus hardcore des fans se pencher sur le sujet, ils l’auront déjà fait en amont de toute façon (surtout qu’on ne peut pas dire que je publie cette chronique près de la sortie de l’album maintenant…), bien évidemment il s’agit encore pas mal d’introspection personnelle, mais on pouvait s’en douter. Je n’ai jamais été plus que ça dans l’analyse psychologique de l’ami Devin, surtout que parfois, on ne sait pas vraiment sur quel pied danser, et quel degré de lecture employer… bref, on en reste à la musique pour un album qui, avec le nom d’Empath, sera une nouvelle fois très positif (à moins d’une autre interprétation…). On en était donc restés sur un Transcendence très progressif, qui succédait aux très aériens Epicloud et Sky Blue, tout en gardant cette essence. Empath reste globalement dans la même optique, et ce n’est pas cette fois-ci que Devin refera vraiment du Strapping Young Lad, pour aller à l'extrême opposé. Quoique… après l’intro toujours très atmosphérique, lumineuse et cotonneuse qu’est "Castaway", on embraye directement sur "Genesis" et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on retrouve un Devin Townsend très enjoué et dynamique, un peu spécial et original, et à nouveau un brin grandiloquent, ce qui va déjà diviser d’ailleurs. Et quand des gros blasts accompagnent un refrain très chaotique, on se dit que Devin est à nouveau en train de péter un peu les plombs et de (re)faire exploser sa folle créativité. Cette fois-ci, on se retrouve directement projeté en pleine période Deconstruction, en moins agressif et déglingué certes, mais avec cet ensemble un peu foufou qui fait du bien. En fait, le contraste déjà latent qui s’exprime au sein de ce morceau et de son intro vont d’ores et déjà résumer l’album, qui va passer par un sacré ensemble d’humeurs et d’émotions, avec toute la musicalité qui va en découler. C’est qu’avec ce premier album « solo » depuis plus de 10 ans, Devin Townsend va un peu résumer tout ce qu’il a fait entre-temps, repartir d’une page blanche sans se réinventer, ne pas vraiment se prendre la tête pour faire un album différent ou plus particulier mais bien proposer un catalogue de tout ce qu’il sait faire. La notion d’album « solo » prend finalement tout son sens, avec Empath, nous assistons à du Devin Townsend à 100%. Sans réelle nouveauté certes, c’est vrai que c’est un peu le problème de Devin depuis un sacré moment (depuis Synchestra (2006), peut-être le premier album signé Devin qui n’avait pas vraiment fait l’unanimité), mais le Canadien chauve est en forme. Pour le plus grand plaisir de ses fans… et eux seuls ?
La tentation de voir en Empath du pur fan service est grande, mais on peut bien évidemment affirmer que Devin n’en a que cure et se fait plaisir, tout en faisant plaisir à son auditoire. On retrouvera donc sur Empath tout ce que Devin Townsend fait à peu près depuis Ki, ce qui a été fait au sein des albums du Devin Townsend Project découlant bien évidemment de qui a été fait dans le Devin Townsend Band et avant, et ainsi de suite dans un cycle infini… Entre calme absolu et grosse dinguerie, Empath balance. Entre epicness et folie, entre ambiant et Metal prog qui tache bien. Avec "Spirits Will Collide", on retrouve déjà un morceau supra-épique façon Metal prog Gospel, du type qui se retrouvait de Epicloud à Transcendence, on aimera ou pas, comme d’habitude finalement. Empath remet aussi en avant le Devin Townsend le plus grandiloquent et « sympho », forcément très lumineux, pas foncièrement Pop à la Addicted. On retrouve de suite cet esprit avec un "Evermore" très, hum, particulier ? Encore une fois, il faut aimer ces rythmes simples et appuyés et ces nombreux chœurs et/ou couches vocales, dans une ambiance gracieuse très onirique. Mais ça reste du Metal, avec quelques vocaux extrêmes, dans la pure tradition de Devin Townsend. Et du Metal, il y en aura encore. Avec surtout ce morceau bien gras qu’est "Hear Me", du pur Devin Townsend en mode agressif et rentre-dedans, entre Deconstruction et du Strapping Young Lad. Ça fait toujours plaisir, Devin nous habitue à la chose depuis quelques albums maintenant, et c’est toujours aussi jouissif, malgré les contrastes toujours présents avec un refrain plus cool et les vocaux d’Anneke. Et des contrastes il y en a dans Empath, vu que ce morceau est encadré par l’enchanteur et très mélodique (et presque électronique) "Sprite", puis par l’entièrement orchestral "Why?" où Devin chante et dirige tel un maître d’orchestre. Empath semble bien être l’album où Devin ne fera pas deux fois la même chose et proposera une palette complète de son art et de ses talents, et ce n’est pas encore fini, loin de là même. Surtout quand on voit arriver "Borderlands", 11 minutes au compteur, où là aussi tout est passé en revue, ambient à la Ghost, Metal tendance Pop ou, de l’autre côté, quelques passages avant-gardistes façon « Circus Metal » que l’on avait connus sur Deconstruction ou Dark Matters. Et Empath aurait déjà pu s’arrêter sur l’outro hyper-lumineuse qu’est "Requiem" mais non, il reste encore pas mal de musique à digérer. Ou comment Empath va finalement se poser comme un des albums les plus riches de la discographie de Devin Townsend.
Car Devin a gardé pour la fin un sacré morceau, dans les divers sens du terme vu que Empath va se clôturer sur un grand final de 23 minutes, "Singularity". Qui est en réalité découpé en 6 parties, ce qui va d’ailleurs nous donner un modèle de progression vu que chacune d’elles nous fait monter vers la grâce. Peut-être le morceau le plus construit et le plus abouti de Devin Townsend, en fait. Qui démarre donc par de l’ambiant jalonné par des mélodies mirifiques pour "Adrift", où un chant très posé et entraînant se fait déjà entendre (avec la première occurrence du « refrain » en bout de course). "I Am I" balance ensuite les guitares bien lourdes typiques du Metal de Devin Townsend, donnant naissance à des passages déjà bien monumentaux, tout en retenue malgré tout même si l’ensemble est à nouveau sacrément épique. "There Be Monsters" lâche cette retenue avec un nouveau pétage de câble tout en blasts et riffs rangés, encore plus violents que pour "Genesis" et "Hear Me", nous faisant confirmer qu’il restera toujours un peu de Strapping Young Lad au fond du cœur de Devin… Un Devin qui malgré tout se repose à nouveau le temps d’un "Curious Gods" très cotonneux, c’est même le moment le plus « rose bonbon » de l’album finalement. Mais la folie reste là, tapie au fond, avec quelques oripeaux électroniques originaux, qui nous amèneront à un "Silicon Scientists" démarrant illico par des guitares ultra-jouissives, efficaces et techniques, accompagnées d’écarts symphoniques du plus bel effet, le tout faisant la transition sur "Here Comes the Sun!" qui est en fait un tube juste imparable, complètement inattendu à la fin de cette longue pièce progressive et donc d’autant plus surprenant et appréciable. Le refrain que l’on avait entrevu à la fin de "Adrift" est irrésistible et Anneke accompagne le tout avec classe. C’est encore et certes, du Devin finalement classique entre Deconstruction et Epicloud/Sky Blue/Transcendence, mais c’est inspiré et terriblement plaisant. Ce qui conclut finalement parfaitement un album hyper varié mais totalement cohérent, ce qui fait la force de Empath. Un album finalement passionnant où Devin s’applique à passer par toutes les humeurs de son répertoire, réussissant facilement à surprendre au détour d’un passage ambiant très reposant ou d’un assaut Metal percutant en diable. Un tour de force quelque part, mais est-ce vraiment surprenant pour du Devin Townsend ?
Et quand il n’y en a plus, il y en a encore… Bon, Empath du haut de sa quasi heure et quart est un sacré pavé, mais les fans n’auront pas manqué de mettre la main sur la version double digi, qui pour la troisième fois après Epicloud et Transcendence propose un second disque avec des inédits spécialement enregistrés pour l’occasion, enfin des « démos ». Ce disque nommé Tests Of Manhood propose donc à qui veut 10 autres nouveaux morceaux de Devin Townsend. Et encore une fois et malgré cette présentation « démo » (ce qui ne veut pas dire que ça sonne rehearsal ou non finalisé), on retrouve quelques pépites. Notamment le trio d’entrée, avec un "The Contrarian" très doux mais enjoué, aux ambiances toujours aussi positives, avec un super refrain mais aussi un beau pétage de plombs à la "Hear Me" et "There Be Monsters" que les amateurs apprécieront ; un "King" très aéré avec Anneke à la baguette, mais encore une fois très épique et grandiloquent ; puis un "The Waiting Kind" très intéressant dans le fait qu’on pourrait presque, voire même carrément, y retrouver une vibe Ocean Machine ! Et ça, ça fait bigrement plaisir, d’autant que ce morceau au format hit est véritablement excellent. Ces 3 premiers inédits sont d’ailleurs de beaux hits potentiels, qui n’auraient pas forcément été cohérents dans Empath mais sont très appréciables dans cet autre contexte. Pour le reste, on triera un peu le grain de l’ivraie : "Gulag" et "Total Collapse" sont deux très beaux morceaux très atmosphériques, le second propose même de sacrées montées en grâce ; en revanche "Empath" (ah bah oui, il est pas sur l’album principal le morceau-titre en fait) et "Methuselah", très doux voire brumeux, sont un peu longuets. Le très dépouillé, sans être totalement ambiant "This Is Your Life" est plaisant notamment de par le chant entraînant ; en revanche le plus couillu "Middle Aged Man" est un peu trop brouillon - et c’est amusant vu que c’est le seul morceau non présenté comme « démo » sur la tracklist… Cette collection se finit par le plus ambiant "Summer" et il y a encore de quoi faire pour tout amateur indécrottable de Devin, et il y a même des morceaux consistants qui auraient mérité de finir sur un vrai album, comme à chaque fois que Devin se frotte à cet exercice de généreux bonus (bon, sauf pour celui d’Epicloud pour ma part).
Mais le principal reste Empath en tant que tel, et le bilan sera positif, comme la musique de Devin Townsend depuis Epicloud en fait. Malgré tout, Empath n’est pas un album facile. C’est même presque, un des albums les plus difficiles d’accès de Devin Townsend, d’autant qu’il est bien long. A nouveau très progressif, comme son prédécesseur Transcendence, mais d’une autre manière… Il faudra savoir sur quel pied danser entre le Gospel/Queen Metal épique, l’Ambient cotonneux quelque peu Pop, et le Metal bien chtarbé mais contrôlé descendant de Strapping Young Lad, Physicist, Deconstruction et consorts. Tout ceci peut paraître cloisonné au sein de l’album malgré un début relativement linéaire dans les ambiances et particularités, mais Empath est un album finalement extrêmement cohérent où tout s’enchaîne sans faille. Il serait dès lors logique de dire que Empath est l’album le plus complet, le plus abouti, le plus ceci ou cela de Devin Townsend mais comme je le disais plus haut, on connaît les qualités du musicien canadien, donc ce n’est pas forcément une performance à proprement parler. Tout ce qu’il fait sur Empath, il l’a déjà plus ou moins fait par le passé même si la créativité est toujours présente avec quelques passages un peu plus originaux ("Singularity" en tête). Empath surprend davantage par sa structure propre, façon « boîte de chocolats on-ne-sait-pas-sur-lequel-on-va-tomber » (des chocolats qui ont tous la même forme pour la cohérence), plutôt que par ses éléments musicaux. Mais Devin n’en est pas moins inspiré, s’offrant quelques moments de grâce et des passages de chant vraiment mémorables d’ailleurs. Après, c’est comme toujours, on aimera ou pas ce que le divin chauve propose, depuis bien des années et ce sans demi-mesure. Empath est au moins à la hauteur de certaines de ses œuvres passées, l’album ultime ou même le meilleur album, ça reste discutable et c’est à chacun de se faire sa propre hiérarchie (et moi personnellement, j’ai toujours bien du mal à choisir mon album de Devin Townsend préféré, Deconstruction à la rigueur… mais la plupart se tiennent dans un mouchoir de poche, ou alors je réponds : City). Empath n’est peut-être pas non plus parfait en tous points, ce n’est pas ce que Devin a fait de mieux en termes de production sonore d’ailleurs. Mais en guise d’album « best-of » qui nous montre toutes ses palettes sans faire du bête collage, il se pose bien, pour les vraies originalités, il faudra attendre des albums plus « particuliers », un troisième Ziltoid pourquoi pas, à nouveau un truc plus Metal vu que la tendance est à la ressortie de morceaux de Strapping Young Lad sur scène, ou quelque chose de plus calme sachant qu’il me semble que Casualties Of Cool va ressortir quelque chose. Bon, j’ai assez tapé de touches sur mon clavier. Empath, c’est du pur Devin Townsend, voilà tout. Mais, quelque part, c’est bien ce qu’on attendait, non ?
Tracklist de Empath :
1. Castaway (2:30)
2. Genesis (6:05)
3. Spirits Will Collide (4:39)
4. Evermore (5:30)
5. Sprite (6:37)
6. Hear Me (6:30)
7. Why? (4:59)
8. Borderlands (11:02)
9. Requiem (2:46)
10. Singularity - Adrift (4:59)
11. Singularity - I Am I (3:29)
12. Singularity - There Be Monsters (4:37)
13. Singularity - Curious Gods (3:08)
14. Singularity - Silicon Scientists (2:55)
15. Singularity - Here Comes the Sun! (4:22)
Tracklist de Tests Of Manhood :
1. The Contrarian (5:43)
2. King (5:29)
3. The Waiting Kind (3:54)
4. Empath (5:11)
5. Methuselah (4:07)
6. This Is Your Life (4:15)
7. Gulag (5:38)
8. Middle Aged Man (3:25)
9. Total Collapse (5:41)
10. Summer (6:15)