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Nous avions quitté Devin Townsend abattu, déchiré, épuisé, complètement vidé de son énergie et de sa créativité lors de la sortie d’un The New Black presque posthume.
Ce fut donc une surprise de le voir débarquer, un an seulement plus tard, avec un disque proprement hallucinant de métal expérimental sous la houlette de Ziltoid, l’extra-terrestre cinglé qui le hantait depuis tant d’années.
Très sincèrement, il avait déclaré ne plus croire au système de la musique, en son fond corrompu et mercantile, mais déclarer ne pouvoir se passer d’écrire, jamais.
Ce fut une époque charnière pour sa vie privée, laissant enfin de côté drogues et alcools qui l’avaient toujours suivi, ou presque. Des drogues qui l’aidaient à entrer dans tels ou tels états d’esprits, afin de composer ce qu’il voulait, loin du naturel que l’on pouvait penser.
Mais c’était trop, et, conscient de détruire l’homme au profit de l’artiste, Devin arrêta tout.
Le silence, total et déstabilisant pour ce grand hyperactif, qui avoue aujourd’hui avoir tenté de composer pendant de longs mois sans succès car sans l’emprise des drogues. Sa créativité en était fatalement devenue dépendante.
C’est donc sous la tournure d’une véritable rédemption que prend forme la tétralogie que nous livre le canadien cette année, en commençant par "Ki". Symbolique de l’énergie intérieure et de la spiritualité, l’intitulé est directement tiré de son expérience personnelle.
Sous l’aspect d’une pochette sobre, évoquant la terre et le naturel, un peu à l’instar de Synchestra, le livret est mystique, ornant des symboles étranges et indéchiffrables (à noter que les textes sur l’édition limitée sont écrits sur du papier calque séparé, possédant une signature en bas).
Les premières écoutes se veulent longues, fastidieuses, incompréhensibles. Que sommes-nous en train d’écouter ? Est-ce mauvais ? Bon ? Tout parait tellement différent…
Mais finalement, naturellement, la connexion entre Ki et les autres travaux du savant fou (une image que Devin avoue avoir aussi voulu à un moment de sa jeunesse, pour la regretter pendant de longues années ensuite) se fait, notamment avec Terria.
Si de prime abord, le caractère très zen de la musique pourrait faire penser à une suite logique d’Accelerated Evolution ou de Synchestra, Ki se révèlera loin du positivisme exacerbé de ces disques (le titre "Sunshine and Hapiness" le montrait à lui seul). Certes, les compositions apparaissent très calmes, reposantes, mais loin d’être positives.
A mesure que l’on plonge dans les méandres de la musicalité complexe, mais étonnement épuré de cet album, on en retire une profonde tension, une grande aversion pour son existence passé, comme un blackout total de sa vie.
Le spectre décharné, quasi squelettique mais essentiel de l’opus, tranche radicalement avec le passé ostentatoire du génie (qui pourra oublier la densité sonore d’un album comme "Infinity", "City" ou "Alien"?). Mais finalement, Devin n’en est en aucun cas moins exubérant, et, dans ce minimalisme, garde une touche profondément différente, unique et avant-gardiste.
Si "Coast" avait de quoi faire peur sur la teneur de "Ki", il n’en sera rien. L’alchimie d’une certaine quiétude et d’un chant susurré, à peine audible, presque féminin et de quelques arpèges légers, nous éloigne de ce que l’on connaissait de lui, même si sa patte est reconnaissable. Mais il y a ce final, cette fin de morceau pleine d’ambitions, une montée en puissance faites de superpositions discrètes mais réelles de couches sonores bruitistes.
C’est une fois que l’on découvre ceci que l’on peut entrer dans une vision plus profonde de "Ki". Une détresse enfouie, celle d’un homme remettant sa vie à zéro, rejetant le passé mais ne sachant vers quel avenir se tourner.
Celui torturé d’un "Disruptr", ou un autre magnifiquement beau de "Terminal", expérimental de "Heaven Send", ou encore celui barré de "Trainfire" ou rageur de "Gato". Cet album est l’égal d’une longue descente vers les possibilités infinies qu’offre un psyché aussi unique que celui de Devin Townsend.
Dans cette subtile alliance des genres, le canadien a fait appel à des intervenants du jazz, notamment le célèbre batteur Duris Maxwell. Les lignes de basse ronde mais lourdes et asymétriques de "Disruptr", tissent un passage vers une évocation de la violence plus subjective que réelle. Ce chant, se faisant démence sans presque rien saturer de l’instrumentation, ces gémissements sourds, ces râles malsains, à l’instar d’une discussion entre Devin et sa furie, d’abord refoulée, puis explosant, comme un schizophrène voulant refouler sa haine.
De même, l’apparition d’une fantastique chanteuse free jazz sur quelques morceaux conférera au caractère exceptionnel de ce nouvel album. Géniale sur l’agressif mais intimiste (paradoxal ?) "Gato", sur lequel elle offre une réplique forte à un Devin brutal mais ni haineux ni fou, juste violent.
Mais c’est probablement sur "Heaven Send" qu’elle livre une partition effarante, n’étant à aucun moment en dessous de Devin, chantant à son niveau. Sur ce titre, il y a une volonté d’aller très loin dans la recherche musicale, dans la rédemption de son être bafoué. Posé sur des paroles très sarcastiques, les nombreuses lignes vocales s’entremêlent entre Devin et Ché. Cette dernière, à l’instar d’une cantatrice, impose une atmosphère solennelle de par sa voix sans limite, unique également, mixée sur des hurlements rageurs et inhumains. Et ce solo, presque unique sur cet album, revenant aux ambiances d’un "Deep Peace" ou d’un "Away", mais en plus déstructuré, expérimental, aliénant.
"Ki", dans une direction complètement différente, peut également se targuer de posséder deux des plus magnifiques compositions du ‘sieur, "Lady Helen" et la troublante mais planante "Terminal", qui ne quitte votre tête que très rarement. Sans doute la plus belle depuis la non moins déchirante "Nobody’s Here". Une voix, juste une voix…pour nous emmener loin, très loin…que "Ki" (le morceau) révèlera ; un univers onirique, presque malsain tant sa beauté semble surnaturelle (et rappelant une nouvelle fois "Terria" par ses voix partout). Son final explosif, « townsendien » serait-on tenté de dire, nous laisse en terrain plus ou moins connu. Tout l’inverse de l’étrange "Trainfire" et de son swing à la Elvis, marié à des vocaux presque avant-gardiste, et un refrain d’une beauté hypnotique, évoquant la folie d’un "Bad Devil" qui n’aurait pas complètement pété les plombs.
"Quiet Riot". C’est sur cette oxymore ("une émeute tranquille" phonétiquement) que "Ki" se défini, une apparente simplicité, une surface d’une douceur invraisemblable cachant une tension et une violence pourtant bien présente. Une forme de velours pour un fond de fer, si l’on veut détourner le proverbe.
Ce premier volet est simplement exceptionnel de beauté et d’inventivité, tout en gardant une aura quasi incomparable, laissant comprendre que Devin ne fait pas « que » de la musique, et que tout a un but. C’est donc dans une relative sérénité, et dans une impression d’un homme aujourd’hui calmé, que nous attendrons "Deconstruction"…que l’homme nomme lui-même comme son œuvre la plus violente, comme la parfaite antithèse d’une œuvre déjà culte.
1. A Monday
2. Coast
3. Disruptr
4. Gato
5. Terminal
6. Heaven Send
7. Ain't Never Gonna Win...
8. Winter
9. Trainfire
10. Lady Helen
11. Ki
12. Quiet Riot
13. Demon League