hell god baby damn no!
Depuis la sortie d'Empath en 2019, monumental album fourre-tout, excentrique et grandiloquent qui a divisé comme rarement ses fans, Devin Townsend ne s'est pas reposé. Des albums lives, un paquet de projets virtuels pendant la pandémie (on se souviendra du Quarantine Project et de ses lives virtuels), un album ambiant, Snuggles, et enfin The Puzzle. Les vingt morceaux de ce pavé sombre et alambiqué avait définitivement égarés votre humble serviteur, malgré mon amour pour la cuvée 2019. Fort heureusement, de cette musique prog poussée à l'extrême, Devin nous revient aujourd'hui avec un album prônant lumière et simplicité tout en se présentant comme le successeur d'Empath. Contrairement à la cohorte de beaux noms qui se pressaient sur l'album en 2019, le musicien est relativement en solo ici (comparé à ses habitudes, tout du moins). On retrouve tout de même quelques voix féminines rares mais familières et un passage de Nile Rodgers, le tout produit par son compatriote Garth “Gggarth” Richardson (Rage Against the Machine, Testament, Sick of it All, entre autres) qui l'a également accompagné dans le processus créatif de sélection parmi ce que Devin a pu écrire durant le fort de la pandémie. Car oui, c'est bien sur cette période, qu'on a toutes et tous envie de mettre derrière nous, que se base l'opus ; le vécu de l'artiste, ses réflexions sur lui même, sur la famille, l'amitié, la santé... Mais aussi son rapport à la musique. C'est en effet ce que serait Lighthwork : une allégorie de la musique comme un phare dans l'obscurité des temps difficiles. C'est aussi apparemment un album qui fait écho à un projet d'adolescence de Devin qu'il concrétise enfin après avoir passé le cap des 50 ans (et au moins 30 de carrière).
Lightwork répond en tout cas à première vue plutôt bien à ses promesses : l'album s'ouvre avec la voix claire de Devin sans aucun effet sur une musique très simple, rythmiques posées, sans fioritures ; une relation presque intimiste avec l'auditeur. Les quatres premiers morceaux installent une atmosphère douce et chaleureuse, avec des mélodies accrocheuses, un son large et spacieux qui ne fait que renforcer le côté solaire des mélodies. Les guitares sont mises en retrait pour préférer des sonorités électroniques, moins brutes. Il y a un caractère pop irréfutable, une pop tranquille loin de l'exubérance Addicted!, mais qui nous offre des refrains magnifiques. Ceux-ci sont l'occasion de montées en puissance bien senties, on retrouve l'affinité de Devin pour les choeurs, les harmonies vocales, mais utilisées de manière plus éparse et moins exubérante que sur beaucoup de ses derniers travaux. “Call of the Void”, “Lightworker” et surtout “Celestial Signals” sont de vrais joyaux aussi puissants que planants par lesquels on se laisse vite emporter.
Et pourtant, après une première moitié toute cotoneuse, Lightwork prend un tournant momentané avec « Heartbreaker » et « Dimensions », qui réintroduisent des guitares plus metal tout en jouant avec des boucles électroniques, mur sonore et batterie plus indus pour déboucher sur un solo de guitare chaotique (probablement celui de Nile Rodgers, on manque cependant d'informations claires à ce sujet). « Equinox » offre même un bref growl, étrange remous au milieu de cet océan cotonneux. Devin étale tout du long, comme s'il y avait encore quoi que ce soit à prouver, toute la versatilité de son chant, dans son registre le plus doux et intime jusqu'à ses envolées lyriques théâtrales.
Ce caractère très direct et mélodique ne cache pas pour autant une tombée dans la simplicité : les morceaux conservent eux une construction résolument progressive au delà de la présence claire de refrains sur la plupart des pistes. C'est cet équilibre qui donne sa véritable force à l'album : après les extrêmes qu'étaient Empath et The Puzzle, Lightwork crée une musique balancée, positive et accessible sans perdre en richesse. Les fans de longue date y retrouveront la « patte Devin », qui malgré tous ses changements de direction musicale reste indéniable, mais aussi une certaine fraîcheur en offrant une nouvelle utilisation d'éléments déjà connus. On est ici mi chemin entre la sensibilité de ses travaux les plus calmes comme Ocean Machine ou Ghost et la grandeur d'un Transcendence - drainé de toute turbulence. Devin joue d'ailleurs largement sur les contrastes et les différentes manières de décliner une même ambiance sur l'album, quand s'enchaînent un « Heavy Burden » bourré d'effets sur les voix, d'arrangements électroniques cartoonesques comme on a pu en avoir sur Empath, un « Vacation » retombant dans une simplicité totale et « Children of God » qui conclut l'album de manière épique avec on concert de choeurs, d'harmonies sur une dizaine de minutes.
Si Lightwork a tant de qualités, il devient cependant difficile d'apprécier un album pour ce qu'il est dans une carrière aussi longue, sans le comparer à tout va sur la base d'impressions de déjà vu. Car oui, forcément, il y en a. Lightwork sera t-il mémorable, ou se fondra t-il dans la masse ? En l'état, il s'apprécie tout particulièrement comme une bouffée d'air frais après un crescendo perpétuel dans l'expérimentation. La créativité bouillonante de Devin a semblé avoir atteint un sommet ou un point d'explosion totale sur les deux derniers albums, quitte à perdre des fans pourtant habitués à ses tours et détours stylistiques. Lightwork arrive donc un peu comme le calme après la tempête (ou le phare après la tempête, tant qu'on est sur les métaphores de supermarché), l'album dont on avait besoin. On s'éloigne du démonstratif pour renouer avec l'intime tout en restant dans le son résoluement moderne de ses derniers travaux. Un équilibre duquel, au delà de la lumière, se dégage une grande sincérité. Plus court, direct et mélodique, Lightwork pourrait bien vite devenir un bon point d'entrée dans la carrière du Canadien.
Tracklist :
1. Moonpeople
2. Lightworker
3. Equinox
4. Call of the Void
5. Heartbreaker
6. Dimensions
7. Celestial Signals
8. Heavy Burden
9. Vacation
10. Children of God