"Annoncé par un vent de tempête dès les premières heures du jour, le ciel chargé de pluie, teinté de sombre, se déverse sur la ville. Averse biblique noyant toutes les pensées sous son martèlement constant, elle impose sa teinte grise et sale sur le béton omniprésent et fait fuir ses victimes surprises vers des abris provisoires. À la sobre exception de moi-même, marchant lentement, comme par automatisme, écouteurs sur les oreilles et conscience fermée à ce qui dépasse la musique. La pluie battante a créé de petites rivières, vomies par les interstices et les fractures des murs, coulant le long des rues. Je reste fixé, bloqué sur ces minuscules fleuves sales et, peut-être légèrement fiévreux, j'ai l'impression que de par les éclaboussures, les remous et les impacts des gouttes, ces fleuves peuvent me parler. Bercé par les sonorités d'Urfaust, présent physiquement mais bien éloigné de ce qu'il se passe, je lève les yeux et au lieu d'apercevoir ce ciel de déluge, je vois une mer déchaînée, avec ses vagues fracassantes, véritables monuments de violence avec pour seule progéniture l'écume immaculée qui fait contraste avec les eaux sombres. Urfaust m'emmène loin, et ma volonté n'est plus mienne, je ne peux que subir ses caprices qui se lient à mon imaginaire pour m'offrir ces visions surréalistes. Je suis trempé, l'eau froide frappant mon visage, continuant d'avancer sans but particulier, comme dans une transe ou un délire spirituel, et avec pour seule pensée celle-ci : ''Si Dieu pouvait me parler, il le ferait au travers de la pluie.''
Ah, Urfaust. Ce clochard prestidigitateur puant un alcool bon marché plus proche de l'alcool à brûler que du véritable breuvage. Entité étrange possédant plusieurs visages qui, tour à tour, présente ses aspects tout en gardant ce ton si particulier qui en fait une formation reconnaissable entre mille. Avant de commencer, je trouve particulièrement important de noter qu'Urfaust devait commencer en tant que projet purement Ambient, ce qui se ressent particulièrement dans certains titres (comme l'Outro de Gest Ist Teufel ou encore Trauerhöhle). D'ailleurs, on sent l'arrivée d'Apparitions sur l'album Der Freiwillige Bettler, notamment sur son titre éponyme qui se termine sur une splendide reprise d'un des thèmes du film Dracula, de Francis Ford Coppola. De ce que j'ai lu, l'EP Apparitions n'a pas fait l'unanimité, et pour certaines personnes il représente même une véritable tache dans la discographie du groupe. Loin de moi l'idée de vouloir donner une critique absolue de cet opus, ou d'avoir la prétention d'imposer ma vision à qui que ce soit. Il ne s'agira ici que de mon ressenti.
Apparitions est, avant toute chose, un album d'ambient. Avec les premières notes qui ouvrent l'écoute, la musique se fait contemplative et spirituelle, pour ne pas dire religieuse, à l'image de la formidable ost de Dune. Légères, éthérées, elles se suspendent dans le temps avec le sifflement du vent à l'appui. La musique ne transmet aucune agressivité, elle enveloppe d'une chaleureuse solitude, elle est bienvenue. Elle me plonge dans un état de calme, et semble pouvoir durer ainsi éternellement, comme si Urfaust voulait d'abord me mettre en confiance, me détendre avant de m'emmener plus loin.
"À moi s'ouvre un désert chaud, teinté du rêve et du mirage, le vent taillant et faisant rouler les dunes comme des vagues sur une mer calme. Ce désert s'étend au delà des simples limites de ma vision, et les grains de sable qui passent entre mes doigts offrent une sensation de douceur brûlante, mais aussi réparatrice. Je me laisse perdre dans cet océan personnel, oubliant qu'au delà de ses frontières j'avais une vie. Cela ne m'importe plus. Mais le sable sous mes pieds vibre pour s'ouvrir et m'avaler dans ses tréfonds. Adieu, désert halluciné. Adieu, songe agréable."
Par moment, l'atmosphère de l'album se fait bien plus angoissante, voire austère, comme au début du second titre au nom éponyme. Cette piste minimaliste au clavier se ressent comme des raclements de surfaces métalliques rouillées, contrastant volontairement avec le caractère du précédent morceau. Cependant, les phases de ce style ne sont que de courtes durées et la musique replonge très rapidement dans son aura mystique. ''Apparitions'' me fait aussi la surprise d'utiliser une guitare acoustique, chose très rare pour Urfaust, teintant le tout d'un certain exotisme qui ne fait que décupler mon sentiment d'être pris contre mon gré dans une cérémonie obscure.
"J'assiste clandestinement à un rituel ancien, oublié, caché de tous. La fumée qui se dégage des nombreuses bougies, seul éclairage de cette salle monolithique, se mêle à l'encens pour créer des vapes de fumées, paralysées dans l'air sec dégagé par la pierre. Autour de moi, une dizaine de figures, cachées dans des robes noires, agenouillées autour d'une table portant la carcasse desséchée de ce qui fut autrefois un homme. Elles entament alors un chant monastique, appel à leur définition du divin, avec pour maître de séance un homme, encapuchonné lui aussi, mais qui domine le reste de la congrégation de par ses mouvements cabalistiques. Il se joint alors lui aussi à cette prière occulte, et ce cadavre momifié, contre toutes les lois de la raison et de la nature, se met de nouveau à respirer avant de plonger son regard, consistant en deux orbites creux et noirs, dans le mien."
Le chant de Willem a toujours été singulier, passant des plaintes d'un vieux fou errant aux capacités d'un chanteur d'opéra qui aurait sombré dans la déchéance la plus absolue. En ce qui me concerne, je n'ai jamais trouvé les lignes de chant d'Urfaust plus magnifiques et prenantes que sur cet opus. Couplé aux réverbérations et aux chants de fond, le tout prend une ampleur incroyable pour peu qu'on se laisse prendre par son flot.
Mais j'aimerais terminer sur ce que je considère comme étant le cœur de cet EP, le dernier titre, intitulé ''The River''.
Durant très exactement 22 minutes et 47 secondes, ce morceau n'a strictement rien à voir avec les précédents. Piste ambiante délirante, poussant tout ce qu'a pu proposer l'opus jusque là à son apogée, ici se concentre toute l'intensité du groupe. Il n'y a que les voix hallucinées de ce qui semble être des dizaines et des dizaines d'âmes indistinctes qui se mêlent et s'entremêlent tout le long du titre. Encore et encore, laissant sa marque indélébile sur mon esprit, éteignant tout espoir et toute possibilité de voir Urfaust sous un autre aspect.
"Je me réveille dans ce qui me semble être un réseau de cavernes, allongé au bord d'un promontoire naturel donnant sur une rivière aux couleurs d'un bleu-vert mélangé à des touches d'un blanc pâle.
Comme hypnotisé, je m'avance d'un pas lent vers cet écoulement infini aux 1000 visages et aux 1000 formes et duquel s'échappe les cris de ses 1000 occupants. Tout tourne autour de moi, ma respiration se fait difficile et la force de mes membres m'abandonne, sapée par la beauté de ce spectacle interdit. Ils m'appellent, je les entends scander mon nom, et ils m’accueillent à bras ouverts. Je m'avance lentement dans ces eaux antiques et je m'y enfonce de plus en plus. Ils sont heureux, je suis enfin parmi eux. En plongeant ma tête sous les flots, je rejoins le torrent d'Urfaust à tout jamais, et une évidence s'impose à moi. Ce n'est pas une rivière, c'est un océan."
Tracklist :
1. The End of Genetic Circles
2. Apparitions
3. The Healer
4. The River