Nos essentiels des années 2010 - Black Metal (Partie 1)
mardi 15 septembre 2020Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Alors que notre rétrospective de la décennie s’approche doucement de la fin, la team Horns Up vous offre, en ce mois de septembre non pas une, mais bien deux parties d’un seul et même gros article. Afin de retracer au mieux les albums ayant marqué au fer rouge le Black Metal des années 2010. Il fallait au moins ça pour le style extrême qui s’est le plus démarqué ces dix dernières années, et qui, ironie du sort, fait consensus au sein de notre belle rédaction aux goûts si hétéroclites. Le Metal Noir s’est en effet imposé comme le style majeur de la décade passée, une montée en puissance qui a accentué un phénomène présent depuis la fin de l’âge d’or de la Seconde Vague scandinave : cette fragmentation en de multiples chapelles très codifiées, aux composantes bien souvent opposées les unes aux autres. Entre l’avènement du Post Black et de son ton à fleur de peau, l’ultra démocratisation du Black Atmosphérique à tendance Folk et la surreprésentation du mouvement Black Orthodoxe dissonant à capuche ; ces dix années offrent largement de quoi contenter de multiples et différentes sensibilités artistiques. Des aspirations les plus intégristes aux tendances les plus mélomanes.
Mais ce morcellement musical est aussi accompagné d’une redistribution des cartes concernant les scènes les plus influentes du genre. Bien d’autres pays ont désormais supplanté à la pôle position du Black Metal international la Norvège, devenue bien moribonde depuis la disparition de certains pionniers (Emperor, Windir, Burzum) et l’exploration d’autres univers de la part des autres (Enslaved, Arcturus, Satyricon, Ulver, et autres Mayhem). La suprématie de l’Art Noir est à présent disséminée à travers le monde, partagée entre la Finlande et son alliance de noirceur crasseuse et de romantisme mélodique (à l’image de la Seconde Vague norvégienne), le Québec et son « Métal Noir Québecois » vindicatif et porteur d’une identité culturelle exaltée par Forteresse, Monarque et bien d’autres paladins des contrées hivernales du Saint-Laurent. Ou encore la Grèce et son ésotérisme méditéranéen, passage vers une Grèce antique fantasmée et teintée d'héroisme homérique.
Et comment passer à côté de notre scène hexagonale, qui après avoir suivi la brêche percée par les expérimentations tortueuses de Blut Aus Nord et Deathspell Omega, s’est imposée aux sein des cercles de niches sur la plupart des sous-branches existantes : des traditionalistes (Merrimack et Aosoth) aux rêveurs d’un autre temps (Belenos, Aorlhac, Antiq Label), en passant par les solitaires campagnards (Sale Freux) et les prophètes hallucinés (The Great Old Ones, Regarde Les Hommes Tomber et LADLO Productions). Tous ont marqués à leur manière la décennie BM d’une pierre noire. Vous trouverez donc toutes ces tendances dans cette rétrospective: du mélodique, du trve, de l’atmo, du pagan, du hipster même. Le dénominateur commun étant de vous faire voyager, de manière exhaustive, au coeur de ces dix ans de blasphème.
Moonsorrow - Jumalten Aika (2016)
Varulven : On ne peut nier l’excroissance considérable de la scène finlandaise durant cette dernière décennie. Ressuscitant l’esprit des années 90 de par cette alchimie entre violence abrasive et froideur mélodique, certains se permettent malgré tout de jouer sur des terrains plus épiques et folkisants. Moonsorrow demeure le fer de lance de cette mouvance Pagan Black du pays des Milles lacs, tout en restant écarté des tentations trop imbibées de certains de leurs congénères. A chaque album, les cousins Sorvali proposent une véritable bande son cinématographique, où l’immensité sauvage de la Nature devient perceptible par tous nos sens. Jumalten Aika (The Age of Gods) ne déroge pas à cette règle d’or, et poursuit dans cette quête emphatique du paganisme.
Après les expérimentations célestes de Viides Luku : Hävitetty et un retour aux sources plus sombre avec Varjoina Kuljemme Kuolleiden Maassa, le septième album des Finlandais établit une forme de compromis entre esprit belliqueux typique du Black Metal et atmosphère païenne profondément onirique. Chaque morceau en tant que tel est une véritable fresque chevaleresque, une exploration progressive bourrée de multiples reliefs, qui dévoile toutes ses subtilités au fil de l’écoute. La symbiose entre le grain rugueux des guitares et les envolées dansantes des claviers frôle la perfection, chaque mélodie se retient au point de pouvoir être scandée, de même que les choeurs, qui contribuent grandement à créer ce cadre mystique si envoûtant. Jumalten Aika s’impose donc comme un nouveau classique pour Moonsorrow, et un album majeur au sein de la décennie. Une oeuvre Pagan/Folk en aucun cas kitsch ou lassante, possédant toujours cette noblesse d’âme propre au meilleur des groupes de Pagan Metal.
Deafheaven - Sunbather (2013)
Di Sab : 2013. La France voit l’émergence d’un nouveau sociotype, le hipster. Vous savez, ce jeune urbain à la pilosité travaillée et à la peau tatouée dont les goûts musicaux empruntent autant au hip hop old school qu’au post rock. Sa façon de mettre en avant son capital culturel, sa propension à faire augmenter le prix de l’immobilier dans les quartiers populaires et surtout sa manière de s’approprier des items antérieurs à son existence en en modifiant le récit, la signification (via le pastiche ou la recontextualisation) en a fait une figure autour de laquelle s’est cristallisée une certaine détestation.
Si je me permets cette petite remise en contexte, c’est parce que cet adjectif colle aux basques de Deafheaven comme le scotch au doigt du capitaine Haddock. Sunbather a toujours été vu par ses détracteurs comme le résultat détestable d’un black metal passé à la moulinette hipster. Alors ok, il y a une belle influence Shoegaze, il y a un sens du pastiche et de la réécriture assez présent, il y a une façon de se défaire des codes esthétiques du black metal pour tendre vers un dépouillement dont le post rock peut être friand, c’est vrai. Mais ne percevoir Sunbather qu’à travers ce prisme c’est se priver de quelques clés de compréhension.
Alors que les plus belles pages du Black Metal ont été composées par des ados norvégiens, Deafheaven période Sunbather sont des adultes traînant leur addiction aux opioïdes sous le soleil californien. Partant de ce postulat, comment leur reprocher de ne pas partager les mêmes codes eux qui ne partagent pas la même existence ni les mêmes préoccupations ? Là où les jeunes loups scandinaves entrelacent leur souffrance avec des références occultes, la misère de Mc Coy et Clarke est plus ancrée dans le réel : sentiment de vide face à des beautés aussi superficielles qu’inaccessibles, vertiges psychoactifs, sensation de ne pas faire partie d’un monde qu’ils méprisent autant qu’ils envient.
Casser les codes, transcender l’auditeur, exprimer un mal-être, le Black Metal a toujours partagé ces objectifs. Sunbather coche toute les cases. Grand œuvre d’un groupe souvent mal compris et pourtant ô combien important.
Darkspace - Dark Space III I (2014)
ZSK : Comment ne pas tirer le bilan d’une décennie Black-Metallique sans citer celui qui est un must absolu en termes, à la fois, de Black-Metal raw, de Black-Metal ambiant, de Black-Metal cosmique, et de Black-Metal tout court de toute façon. L’immense Darkspace. Auteur, hélas, d’un seul et unique album pendant ces 10 années écoulées, son quatrième opus Dark Space III I, sorti au cœur de la décennie en 2014 (ce qui l’a mis en concurrence avec l’incroyable Enemy Of Man de Kriegsmaschine). Que dire si ce n’est que malgré le fait qu’il a pondu un seul album passé 2008, le trio suisse reste une référence. Son Black-Metal si dur, si violent, si noir, si sidérant, si extraterrestre… marquera quoi qu’il arrive. Darkspace, ou l’expérience ultime en termes de Black-Metal venu des confins de l’univers, souvent imité mais jamais égalé, même si en son absence pesante, des challengers ont essayé de le titiller (on pensera à Arkhtinn qui en seulement sept années s’est forgé une discographie conséquente et convaincante). Etant donné que Dark Space III I suivait un troisième opus sorti en 2008 et attend encore un successeur, le choix n’est pas difficile… Le temps n’a toujours pas permis de décréter que Dark Space III I est le meilleur opus de Darkspace, mais la discographie du groupe suisse demeure remarquable de par son homogénéité et sa progression soutenue. Dark Space III I avait marqué par un retour à un format moins malléable avec des morceaux longs comme Dark Space II (2005), mais c’est aussi là que Darkspace parvient à développer ses meilleures compos et structures. Ce quatrième album lui aura permis de varier ses sonorités, explorant encore plus la palette des possibilités en termes d’ambiances et de trifouillages stellaires, en témoigne le très futuriste "Dark 4.19". Mais pour le reste, ce sont toujours noirceur absolue, atmosphère résolument cosmique, riffs acérés, son bruitiste et violence sans retenue qui prédominent. Un grand album, pour l’instant point d’orgue d’une discographie condensée mais impressionnante, et même s’il se fait discret dans l’immensité de l’univers visible, Darkspace est un monument, et son 4ème méfait est un témoin de son aura. Indispensable, et quelque part, intemporel.
Macabre Omen - Gods of War - At War (2015)
Matthias : Je le répéterai jusqu'à ma dernière coupe de vin de Némée : il y a peu de scènes en Europe qui ont développé une sonorité aussi inimitable et reconnaissable que celle du black metal hellénique ! Et s'ils se sont couverts de gloire dès les années 90, les descendants des Danéens n'ont jamais démérité malgré l'écoulement des siècles. Plus confidentiel que d'autres groupes issus de l'archipel, Macabre Omen, le projet très personnel du Rhodien Alexandros Antoniou, a consacré avec Gods of War - At War un hommage aussi exaltant que tragique à cette contrée éparpillée entre mers et montagnes. Dès les premières notes de "I See, the Sea!" On rejoint les pistes tracées par les Dix-Mille, compagnons d'armes et d'infortune guidés par Xénophon, véritable nouvel Ulysse, jusqu'aux rivages qui signifient le salut. Θάλαττα !
Comme une série de tertres hérissés de trophées, chaque morceau conte les faits d'armes de ces anciens Grecs, bardés de bronze et unis dans la phalange comme à la Cité ; héros de chairs et de sang qui inspireront le Vieux Monde jusqu'à égaler leurs propres mythes. Mais il serait sot de résumer Gods of War - At War à une succession de péans guerriers, même si plus d'une fois, la voix écorchée d'Alexandros nous entraînera sur la brèche ("Hellenes Do Not Fight like Heroes, Heroes Fight like Hellenes"... Tout un programme !) . L'artiste touche-à-tout derrière Macabre Omen sait prendre un tournant plus atmosphérique avec un "From Son to Father" inspiré tant des éloges funèbres à l'antique que de ses propres sentiments envers son père, décédé en 2011 et qui sera toujours pour lui une grande source d'inspiration, comme en témoigne l'EP Amnameses sorti plus tôt cette année.
Loin d'être un énième album conjurant un passé fantasmé aussi simpliste que fictionnel comme le black metal en regorge, Gods of War - At War arrive à exprimer, avec des riffs qui peuvent rappeler les meilleurs moments d'un Bathory qui serait habité par l'esprit de Thucydide, le spleen qu'inspire une terre de laquelle émane encore un récit dense, complexe, et profondément tragique. Le véritable poids de l'Histoire, dans un pays qui n'est plus riche que de sa mémoire.
Bekëth Nexëhmü - De Svarta Riterna (2013)
Traleuh : Un logo grotesque, presque naïf, comme réalisé par la main d'un enfant, juché sur une photographie donnant à voir une forêt de sapins, engloutie dans la nuit. Une neige éternelle, semblant répondre, en une curieuse dialectique, aux faisceaux d'étoiles fourmillantes dans l'empyrée.
En ces images poétiques et infantiles, Bekëth Nexëhmü semble tendre de tout son être vers l'enfance du Black Metal. Il n'y a pas jusqu'aux vocaux eux-mêmes qui semblent se teindre de ce vernis juvénile ; ils ont ce quelque chose de beuglant, de primitif. Des harmoniques répétées inlassablement, dans lesquelles on s'enlise, des paroles évoquant l'Edda, son époque des tempêtes, non pas par fierté nationale, mais comme une obsession pour ce qui se raconte, ce qui se mythifie, ce qui est toujours au delà des mots et en leur creux même.
Et puis il y a cette production, semblant venir d'un autre âge ; ces emprunts à la galaxie de motifs musicaux, de sous-genres que le Black Metal aura su enfanter lors de ses premières heures - on pense à I en svarta kiste de Satyricon, aux Neptune Towers, pourquoi pas - tout un codex labyrinthique de références s'enchevêtrant, comme un glacier millénaire sur lequel le disque se tiendrait.
De Svarta Riterna, c'est l'album qui rassure ; le Black Metal peut toujours être roots et avoir cet effet torrentiel, comme une griffe transie, celle que l'on retrouvait chez Emperor, Immortal ; le Nord... de Setherial, sans doute, la pochette présentant d'ailleurs quelques similarités frappantes. Alors nulle inquiétude à qualifier De Svarta Riterna de disque génial, et Swartadauþuz d'artisan illustre aux techniques hallucinées, ces techniques oubliées auxquelles on n'osait plus trop croire.
Mürmuüre - Mürmuüre (2011)
Hugo : Il y a de ces disques qui réussissent à transcender les genres, sembler la cristallisation de tant d’idées subtilement variées qu’ils s’imposent comme œuvres uniques, rares, totales. Mürmuüre est un projet plutôt anonyme dont on ne sait réellement déterminer la genèse, ni d’ailleurs la fin, n’ayant produit qu’un seul disque éponyme. Beaucoup de choses ont déjà été dites à son sujet, des chroniques rateyourmusic à celles des plus obscurs blogs de passionnés, mais tant reste à dire. Ce, probablement car l’œuvre elle-même échappe à chacun, ne semble exister que par et pour elle-même, impossible à cerner totalement ni décrire justement.
Mürmuüre c’est un voyage qui débute en nous ramenant à Pasolini, avec un sample des mélodies de Carl Orff pour Salò. Le ton semble déjà donné, et pourtant les surprises n’arrivent qu’ensuite, à la lumière d’un artwork mystérieux, évocateur sans que l’on sache trop pourquoi. Par la suite, et une demi-heure durant, on se retrouve absorbé dans une musique ambiante, distordue et hargneuse autant que sublime et aérienne. Selon les mots de son auteur, l’ensemble serait tiré d’une seule session d’improvisation à la guitare, soit un collage des passages de cette transe entre eux, agrémentés de divers enregistrements et samples, comme pour composer à partir de la catharsis elle-même. La démarche est passionnante - la part de calcul et d’improvisation plus difficile à mesurer, et alimente d’autant plus la légende autour du disque, atterri sur la terre comme s’il était comète tombant du ciel.
On marche d’abord au travers d’un jardin de fleurs, et les couleurs environnantes sont délavées, kitsch, pastels. Tout d’un coup, les filtres virent au négatif, et la vision joyeuse d’un temps se transforme en une horreur magnifique qui nous fait frissonner. Le bruit et la béatitude, les frissons et la contemplation. Du Black Metal ici ? Peut-être. Mais autant, à vrai dire, ne pas trop se fier aux étiquettes, et plonger tête baissée, sans réfléchir davantage, dans cette œuvre autant cryptique que passionnante. Le disque fête d’ailleurs ses 10 ans cette année, et demeure œuvre inégalée en son genre. Comme un murmure qui passe à l’oreille, et nous marque à vie.
Primordial - Redemption at the Puritan's Hand (2011)
Dolorès : Si le fameux groupe irlandais a marqué la décennie précédente avec The Gathering Wilderness et To the Nameless Dead, Primordial a également gardé le cap et proposé un album mémorable en 2011. Redemption at the Puritan's Hand, selon moi leur dernier album en date aussi homogène que puissant et où rien ne manque nulle part, propose une suite de tubes. Il n'y a pas d'autre mot : on scande les textes de « No Grave Deep Enough », « Bloodied Yet Unbowed » et « Death of Gods », l'émotion transperce nos paupières closes sur « The Mouth of Judas », nos tripes cavalent au rythme de « Lain With the Wolf » et « The Puritan's Hand », etc.
Pourtant, il n'est pas simple de qualifier Primordial de Black Metal, entre les arpèges, les douces explosions, les râles aussi éraillés que mélodieux d'Alan Averill, ainsi que les lignes de guitare qui, si elles étaient jouées au violon dans un vieux pub, n'étonneraient personne. Pourtant, le groupe n'est pas tout à fait « folk », encore moins « pagan », et sa facette celtique ne reste qu'un clin-d’œil subtil et même de moins en moins revendiquée par le groupe. Un metal tragique, historique, lourd de sentiments et lumineux à la fois. Un groupe aussi difficile à définir que facile à adopter dans sa bibliothèque musicale.
Darkthrone - The Underground Resistance (2013)
Sleap : Que serait un article sur le Black Metal sans Darkthrone ? Inébranlable pilier de la seconde vague, le duo norvégien fête cette année les 30 ans de son premier album. D’abord orienté Death Metal, Darkthrone marquera au fer rouge la scène Black dès son second méfait et continuera ainsi jusqu’à l’aube des années 2000. Depuis lors, le groupe s’évertue – sous l’impulsion de Fenriz – à explorer les origines Punk de leur Metal extrême. Faisant toujours plus régresser sa musique vers le début des années 80, le culte combo de Kolbotn accouche en 2013 d’un des albums les plus marquants de sa carrière.
Après un virage Punk fort bien amorcé, Darkthrone va cette fois-ci renouer avec ses racines Heavy Metal 80s. Les morceaux intrinsèquement « Celtic Frostiens » du groupe sont ici complétés par un riffing qui rappelle clairement Mercyful Fate, en particulier au niveau du son de guitare. Certains cris ne sont même pas très loin du Agent Steel de la grande époque, la puissance en moins. Côté composition et interprétation, le travail instrumental et vocal est une nouvelle fois partagé équitablement entre Fenriz et Nocturno Culto. Et mis à part The Ones you Left Behind aux rengaines un peu trop kitsch, ce sont globalement les morceaux composés par Fenriz qui marquent le plus. Du solennel Valkyrie que l’on chante le poing levé au pavé de 13mn Leave no Cross Unturned qui clôt l’album, Fenriz rend un brillant hommage aux « eighties » qui lui sont si chères. Ce dernier titre aux accents Celtic Frost les plus prononcés comporte également son lot de Discharge-beat mais aussi une avalanche de falsettos dans la droite lignée d’un King Diamond.
Bref, que ce soit par son riffing vicieux, ses refrains entrainants, ses breaks surpuissants ou son enregistrement typiquement analogique, The Underground Resistance est l’album que Darkthrone aurait pu sortir au début des années 80. Un bijou de Heavy MetalPunk qui est en réalité l’album Black première vague par excellence. Il reste à ce jour l’un des efforts les plus respectés des Norvégiens et assurément l’une des plus grosses bombes « régressives » de ces dix dernières années ! « UGH ! »
Urfaust - Der freiwillige Bettler (2010)
S.A.D.E : Après avoir vagabondé dans les années 2000 sur différents labels, Urfaust signe au début de la décennie chez Vàn Records, maison de qualité s'il en est, pour la sortie de son prochain album. Déjà remarqué pour ces ambiances uniques et prenantes avec ses sorties précédentes, le duo néérlandais démontre avec Der freiwillige Bettler que ses explorations d'un Black Metal nourri à l'Ambient sont loin d'être terminées et qu'il maîtrise de mieux en mieux son sujet. Avec une production irréprochable, apportant ce qu'il faut de crasse et de noirceur dans les guitares sans noyer les éléments plus aériens qui s'insèrent dans les morceaux, ce troisième long format porte à son acmé cet étrange désespoir qui fait la saveur des sorties d'Urfaust. Un désespoir d'ivrogne se roulant dans le caniveau en riant presque de lui-même, capable de chanter sa misère en gardant le sourire malin et discret de celui qui n'a rien à perdre. Parce qu'au delà d'une instrumentation unique et immédiatement reconnaissable, Urfaust c'est également un chant remarquable : outre le chant black metal, IX se laisse emporter par des complaintes en voix claires qui jonglent entre le sublime et la démence, toujours à la limite du point de rupture sans jamais le franchir.
Der freiwillige Bettler marque une impressionnante étape dans la carrière (exemplaire) d'Urfaust : tout en posant définivement les bases des recherches musicales à venir, il laisse le champ suffisamment ouvert pour se renouveller. Ce que le groupe n'aura de cesse de faire par la suite.
Deathspell Omega - Paracletus (2010)
ZSK : On s’était à peine remis de Fas - Ite, Maledicti, In Ignem Aeternum (2007)… Trois ans tout de même, mais la complexité et la dissonance du 4ème album de Deathspell Omega avait décontenancé les amateurs de la scène Black-Metal française, déjà partagés entre les débuts plus crus du groupe sur Infernal Battles (2000) et Inquisitors Of Satan (2002), et la suite plus « orthodoxe » matérialisée par Si Monvmentvm Reqvires, Circvmspice (2004) et l’EP Kénôse (2005). Mais la suite directe, plus étouffe-chrétien et déjà presque jusqu’au-boutiste, en avait laissé plus d’un pantois. Deathspell Omega a pourtant essayé de trouver un équilibre là-dessus, lui qui est bien vite devenu à la fois une référence à l’international et une locomotive pour bon nombre de formations françaises œuvrant dans ce style de « Black ». Et tout au début de la décennie, arriva donc Paracletus. Certes, on s’était farcis Fas - Ite donc on savait à quoi s’attendre en termes de musicalité aliénante chez le déjà nommé intimement DsO, mais le groupe avait vraiment frappé fort. Sans renier sa furibonde complexité dissonante mais tout en remettant en avant quelques apparats « orthodoxes », Deathspell Omega avait ici livré son mètre-étalon, en essayant de mettre tout le monde d’accord. Entre la furie des "Wings of Predation", "Malconfort" ou "Have You Beheld the Fevers ?", l’occultisme des "Epiklesis", "Apokatastatis Pantôn" ou "Dearth" (dont la basse vrombit encore, 10 ans plus tard), ou encore la performance complète d’un "Phosphene", Paracletus a tout de l’album parfait. Et pour ce qu’il amené derrière lui, entre une carrière certes un peu plus discrète depuis mais de qualité (un EP en 2012 (Drought), un The Synarchy Of Molten Bones (2016) très court, un The Furnaces Of Palingenesia (2019) particulièrement bien accueilli), et surtout un ensemble de formations plus ou moins influencées par son illustre aura, Deathspell Omega reste une référence de la décennie, et Paracletus est en quelque sorte un album pivot absolument imparable.
Cult Of Fire - Ascetic Mediation of Death (2013)
Circé : Je ne vous apprends rien en vous disant que la décennie passée a vu l'explosion de l'esthétique ritualiste, ésotérique dans un sens religieux plutôt que blasphématoire, agrémentée bien sûr du fameux look encapuchonné qui permet de taquiner un peu ces groupes en les qualifiant de « black à capuche ». Pas de Batushka dans ce top non, mais un groupe qui aura plutôt fait parler de lui grâce à la qualité de ses compositions à travers plusieurs EP et deux albums.
Fondé en 2010, Cult of Fire est donc un vrai « produit » de cette décennie et culmine sans conteste avec son deuxième album, Ascetic mediation of death. S'ils avaient déjà un nom dans l'underground, cet opus fait déjà figure de mini-classique du genre et leur assure définitivement une place de choix. Entre mélodies originales et mémorables et violence bien plus directe, Ascetic joue avec les codes d'un style en vogue tout en sachant rester personnel. Et donc pertinent. A l'image de Kali sur la cover, la musique fascine ici autant qu'elle inquiète, utilisant la thématique religieuse hindouiste à juste dose, sans tomber dans le gimmick – elle ne fait que servir le propos du groupe en instaurant une ambiance mystique prenante et crédible. On ne se lasse pas, avec les années, de venir se perdre dans ces effluves aussi addictives que brûlantes. Et autant en profiter, parce que le groupe semble dernièrement se reposer sur une recette un peu trop établie...
Saor - Aura (2014)
Malice : Saor ne fait pas forcément l'unanimité au sein de la rédaction, et même entre les aficionados des Écossais, il n'y a pas consensus autour de leur meilleur album. Le premier album, Roots, a ses arguments et même Guardians a les faveurs de certains mais c'est probablement Aura (2014) qui a véritablement révélé le projet d'Andy Marshall au grand public, en profitant de l'explosion du black metal atmosphérique dans les années qui ont suivi.
Plus axé encore que son prédécesseur sur la flûte et les mélodies et sur ces ambiances brumeuses dépeignant les Highlands avec une fierté et un amour authentiques, Aura est également porté par la prestation hallucinante derrière les fûts d'Austin Lunn, le génie derrière Panopticon (qui mérite d'être cité dans cette sélection pour son oeuvre propre). Mais Marshall semble également avoir trouvé la recette pour rendre sa musique plus belle encore : les choeurs majestueux de "The Awakening",ses notes de piano, la mélancolie de "Farewell" et, surtout, l'incroyable mélodie centrale d'"Aura". Un morceau-titre qui m'a mis les larmes aux yeux plus d'une fois, notamment lors d'écoutes rêveuses en traversant non pas l'Écosse (je n'ai pas eu cette chance) mais l'Irlande (du Nord comme l'Eire). À coup sûr, s'il me fallait citer 5 titres de black metal parmi les plus importants dans ma vie, Aura serait de ceux-là. Et bien peu d'albums me donnent des frissons de la première à la dernière note comme le fait celui-ci. Ce qui est vrai pour la quasi-intégralité de la discographie de Saor ...
Mgła - Exercices In Futility (2015)
Mess : Plebiscitée par une large portion des chroniqueurs de Horns Up, l'idée de mettre Mgładans cet article relève presque de l'évidence, de la rationalité, d'un mérite certain et d'une obligation journalistique non-discutable. Il faut bien l'avouer, il est impossible de ne pas avoir sur le bout des lèvres le nom de Mgłaquand il s'agit de revenir sur cette dernière décennie.
Même si With Hearts Toward None aurait été un choix tout aussi logique que EIF parce qu'il exploite avec brio les mêmes idées que son sucesseur, l'impact et l'influence d'Exercises In Futility s'est développé bien au-delà du cercle restreint des aficionados du style. Un album qui poussera moult jeunes formations à s'inspirer des creations des polonais pour se lancer à leur tour dans la vague "Post black" (ou, plus grossièrement intitulée "black à capuche") avec plus ou moins de réussite. Et si on peut encore débattre de la consistance de ce que Mgła a engendré sur la scène par la suite avec la parution de cet album, Exercises In Futility est et restera un monument désormais culte dans sa catégorie. Un enfermement sonore sombre et angoissant en compagnie de nos pensées les plus violentes et radicales quand tout espoir semble définitivement envolé. Il n'est pas forcément le plus technique, ni le plus radical si on le compare aux autres albums présents dans cet article mais il jouit d'une authenticité glaciale dans sa haine qui permet à l'auditeur d'expier aisément ce mal-être inhérent au black metal. Un monolithe psychotique, agressif, écorché et desespéré qui clâme sa rage en évitant l'erreur des fioritures futiles pour simplement jouer et décrire, dans un songwriting maîtrisé, l'absurde destruction auto-programmée de notre humanité.
Obsequiae - Aria of Vernal Tombs (2015)
Raton : Obsequiae a été une découverte assez révolutionnaire pour moi. Alors que je suis extrêmement friand de ce qu'on appelle couramment musique néo-médiévale, que j'aime voir s'exprimer dans mon dungeon synth, dans ma musique folklorique, dans mon prog et même dans mon black metal ; je trouve que le courant plus précis du folk metal médiéval proprement insupportable. Phagocyté par des groupes allemands comme In Extremo et Subway to Sally, c'est une approche du médiévisme dans laquelle je ne me retrouve pas du tout.
Je reste donc sur Dead Can Dance, Stille Volk, Fief et autres Gryphon pour éviter ce qui sonne à mes oreilles comme un manque de sincérité. Obsequiae était donc originellement loin de mon spectre musical. Pourtant, dès l'intro ensorcelante de "Ay que por muy gran fremosura", j'étais déjà conquis. Car contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, Obsequiae ne fait pas du folk metal médiéval mais utilise des gammes et des approches de composition médiévales pour faire du black metal mélodique. Ce qui change du tout au tout en troquant le côté "foire teutonne à la saucisse" pour quelque chose de bien plus majestueux et solennel. Charge musicale d'autant plus surprenante quand on sait qu'Obsequiae est un projet américain, territoire pour lequel le patrimoine musical médiéval liturgique n'est pas une évidence.
Pourtant, grandiose et mémoriel, le black metal d'Obsequiae s'étire entre modernité et réminiscences d'un passé non fantasmé, entre mélodies galvanisantes et démarche brute et rêche.
Un album qui s'aime comme on aime un rêve, dans un plaisir ouaté, presque irréel où les ruines s'imaginent châteaux triomphants et chapelles imposantes et où la musique confine à la dévotion.
Malokarpatan - Nordkarpatenland (2017)
Matthias : Dans notre croupion occidental de l'Europe, quand on évoque les liens entre black metal et folklores slaves, on a tendance à rester figé sur les groupes russes, polonais, ou encore ukrainiens qui officient dans un registre néo-païen sous le signe du soleil noir, et souvent avec une vision assez ethnocentriste de leur musique. Malokarpatan officie dans un tout autre registre : plutôt que de se complaire dans un passé protohistorique fantasmé, le groupe slovaque puise son inspiration dans des croyances et des légendes encore bien vivantes dans les région rurales de son pays natal. Un véritable entremêlement de survivances païennes aux origines variées, vaguement unies et camouflées sous un vernis de christianisme, et qui vous fait pendre des gousses d'ail à vos portes, esquisser fébrilement les gestes qui protègent du mauvais œil, vous fait voir des stryges dans les vapeurs embrumées de la pálenka, et, parfois, provoque un fait divers qui semble incompréhensible depuis le confort de la modernité occidentale.
Une recette qui trouve son aboutissement avec le deuxième album du groupe, Nordkarpatenland. Avec un black metal primitiviste résolu à en découdre, Malokarpatan nous plonge dès le furieux "V okresném rybníku hastrman už po stáročá vyčína" (sic !) dans une fête populaire des Carpathes qui a viré au culte orgiaque des puissances du chaos tandis que HV éructe dans son micro entre deux ricanements démoniaques. Déchainés, les Slovaques nous livrent dix morceaux tous plus énergiques que l'entièreté de la discographie d'un groupe norvégien moyen, tous agrémentés de titres à ralonge complètement surréalistes issus de récits légendaires locaux dans lesquels la fin heureuse tient de l'exception. Malokarpatan sait toutefois prendre le temps de ralentir avec un "Ked svetlonosi započnú v močariskách nazeleno svícit" lourd et menaçant, ou le riff de film d'horreur de "Nedlho po púlnoci opacha sa doplazila z dzíry". Les compositions du groupe s'inspirent directement des adaptations au cinéma de contes de fées, mais pas celles de tonton Walt, plutôt celles du bloc de l'est, aussi artistiques que violentes, faisant de la découverte de Nordkarpatenland une expérience totalement inédite sur des thèmes qu'on croyait pourtant connaître. Bref, vous aussi vous en avez marre du black metal intellectuello-dépressif et dégoulinant de spleen à bas prix pour emo de droite ? Mettez vos tympans en PLS avec cet album, prenez cinq shots de thé des Tatras et allez pousser un cri primal dans la forêt la plus proche ! Attention, risque non négligeable de lycanthropie.
* * *
*
Retrouvez notre série d'articles "Nos essentiels des années 2010" dans la rubrique Articles !