A Thousand Lost Civilizations festival - J4 @ Bruxelles
Magasin 4 - Bruxelles
S. : Voilà, nous y sommes. Cette dernière journée, épilogue de ce festival, celle que j’attends le plus, un running-order de qualité supérieure pour finir en apothéose (je l’espère) avec Darkspace. Urfaust ayant annoncé quelques raretés du côté du merchandising, je me rends avec mon compère de voyage dès l’ouverture des portes, à 16h. Quelques passionnés se sont également rués sur le stand…
Matthias : Ce sont déjà les dernières heures de ce festival qui m’a véritablement paru hors norme, au premier sens du terme. La fatigue se fait sentir, surtout après quelques uns des concerts les plus éprouvants, tant émotionnellement que physiquement, comme Mgla la veille. L’affiche du jour n’étant pas la plus excitante à mes yeux, Volahn excepté, j’arrive au M4 dans l’idée de découvrir calmement les groupes de la soirée, sans m’imposer un rythme trop contraignant. Evidemment, ça ne s’est guère passé ainsi.
(Mongolito)
S. : C’est une formation au nom quelque peu incongru qui s’occupe d’ouvrir le bal de cette dernière journée de festival : Mongolito. Son visage n'est pas méconnu puisque le seul membre composant ce projet fait également partie de Wolvennest. L'homme au chapeau et aux lunettes noires est donc assis au milieu des planches, entouré de bougies et de pédales à ses pieds. Accompagné d'une boîte à rythme et de mélodies samplées, Mongolito délivre à l'assistance une musique éthérée grâce à sa guitare électrique. Aucun chant n'est présent, mais l'atmosphère est assez planante et le résultat est beau. Une sympathique entrée en matière.
Matthias : Si j’avais une relative expérience de Wolvennest en live, je ne savais pas trop à quoi m’attendre avec Mongolito, le projet solo du guitariste Marc De Backer. S’il fait preuve d’un talent certain, je n’étais pas certain d’accrocher à ses compositions instrumentales. Finalement, l’homme en noir s'accommode bien de la scène avec une prestation qui sonne à mes oreilles très 70’s par son côté expérimental, plus encore que chez Wolvennest, le groupe m’ayant un peu fait la même impression. Seul sur scène, sans synthé’ ni base rythmique, le jeu de guitare de Mongolito est encore plus mis en avant, et occupe aisément tout l’espace. Ce n’est guère mon genre de prédilection, mais De Backer prouve s’il le fallait que la Belgique reste une terre fertile de l’avant-garde musicale.
Setlist :
Macabrissima
Petite balade en pathétique mineur
Finitude
(Urfaust)
S. : Durant l'entracte, les techniciens installent sur la scène une bonne trentaine de bouteilles surmontées de bougies, ainsi qu'un autel célébrant la mort. Sur le côté gauche, un micro. Urfaust monte sur les planches. Le style du principal intéressé surprend au premier abord et il apparaît comme un décalage avec ce que le groupe a produit dans sa discographie : pas de corpsepaint ni d’artifices superflus. Willem Niemarkt, avec ses lunettes de sexagénaire, a tout l’air d’un Jean-Michel rockeur lambda. Ceci dit, les apparences sont parfois trompeuses, puisque durant le temps qui leur est consacré, le duo plonge l'auditoire dans une atmosphère planante et introspective, au gré des mélodies et des chants de son Black Metal si particulier. Le rythme est globalement lent, tirant presque sur le Doom. Même si le son est correct, on pourrait faire le reproche d'avoir affaire à une setlist trop homogène et un rythme trop lent (voire même plus lent que sur les versions studio). Quelques titres plus rapides auraient eu toute leur place. Même si les Hollandais ont proposé un show de bonne facture, je reste un peu sur ma faim. J’en attendais peut-être trop ?
Setlist :
Non communiquée
(Ritual Death)
S. : Un masque fait d'un vrai morceau de crâne humain au visage du vocaliste, Ritual Death annonce la couleur. Le quatuor, composé d’éminents membres de la scène nidrosienne (Dark Sonority, Mare, Funereal Harvest…) avec notamment Wraath de Darvaza au chant, délivre un Black Metal violent et sans concession. Les riffs sont hostiles, soutenus par un clavier somme toute discret dans ce vacarme assourdissant. La présence d'un micro sous le masque du chanteur confère à la prestation du groupe un côté fantomatique et déshumanisé, du plus bel effet, d'autant plus que les individus se produisent sous des lights d’un rouge sang intense. Musicalement, on est assez proche d'un Cult of Fire. Une très bonne prestation !
Matthias : Wraath m’avait particulièrement impressionné pour son attitude possédée et charismatique sur scène. Évidemment, masqué, il ne dégage pas exactement la même aura, mais son omniprésence scénique reste des plus efficaces. Là encore je découvre, mais le Black teinté de Death très direct des Norvégiens arrive encore une fois à me plonger dans leur ambiance poisseuse et macabre. Les morceaux, plutôt courts, s’enchaînent sans temps mort pour ce premier concert vraiment puissant de la journée. Brutal.
Setlist :
Non communiquée
(Pseudogod)
S. : Ayant déjà vu Pseudogod à Saint-Etienne en 2014, je savais à quoi m’attendre. Les russes ne sont en effet pas venus ici pour faire dans la dentelle. Pour preuve, le quintet a délivré pendant une cinquantaine de minutes un concentré de violence et de haine, alternant entre passages épileptiques et instants plus lourds. On notera au passage la nette amélioration du son par rapport à la veille, moins fort et plus audible, il était temps ! Un set de haute volée de Pseudogod.
Matthias : La scène extrême russe est riche de perles cachées, mais, dans l’Empire des steppes infinies, je suis plus familier des sonorités Folk et Pagan. C’est donc un vrai coup de knut de découvrir en live le Black/Death de ce groupe venu de Perm, dans les contreforts de l’Oural. Pseudogod n’est pas là pour nous laisser respirer, mais plutôt pour nous asséner un véritable tabassage en règle, sans la moindre pitié. Le groupe joue fort mais effectivement la balance suit. Au vu du genre musical, j’avais peur que le live ne devienne brouillon mais au contraire, Pseudogod nous fait subir un assaut aussi violent que méthodique. Une charge blindée que n’aurait pas reniée Joukov.
Setlist :
Vehement Decimation
The Antichrist Victory
The Seraphim Of Ultimate Void
Divine Merging
The Triangular Phosphorescence
Muerte
Azazel
The Beyond Beckoning Angel
(Possession)
S. : L'accalmie de l’entracte aura été de courte durée, puisque la montée sur scène de Possession est le signe annonciateur de la terreur. En effet, dès les premières secondes, le groupe donne le ton. La violence et la haine sont maître mot tout au long de leur set et malgré quelques pépins techniques pour le guitariste, les Belges délivrent une performance parfaite, avec un frontman très en forme. L'individu vide ses tripes sur l'assemblée, laquelle semble acquise à leur cause. Pour le dernier titre, un guest vient seconder le chanteur pour terminer dans la dévastation la plus totale. Quelle boucherie !
Setlist :
Intro
Ablaze
Take the Path
His Best Deceit
Interlude
INRI
Temptatio
Crux Imissa
Stabat Mater
Anneliese
(Volahn)
S. : Après B.H.L. la veille, on poursuit dans le Crepusculo Negro avec la seconde tête d'affiche de la soirée, les Californiens de Volahn. Le quatuor produit un Black Metal mêlant puissance et mélodies. Bien qu'ayant trouvé le son un peu trop fort, le groupe fait le taff en fournissant de la puissance sur scène. Les premiers morceaux de la setlist paraissent d’ailleurs bien pâlots et brouillons à côté du magistral "Chamalcan", qui conclut brillamment la prestation de Volahn.
Matthias : Ça sera à souligner parmi les grandes qualités de ce festival : A Thousand Lost Civilizations nous permet de découvrir en live des groupes rarissimes en Europe, et la scène latino-américaine est plutôt bien représentée. Par contre, Volahn a fait le choix de nous balancer un véritable mur sonore, ce dont je ne suis en général pas partisan. Je dois rester assez loin derrière pour supporter ce niveau de décibels malgré mes bouchons, et je ne suis visiblement pas le seul : plusieurs habitués des barrières semblent aussi opter pour une retraite stratégique vers des positions préparées à l’avance. Evidemment, quand on aperçoit à peine la scène, l’immersion en pâtit. Je trouve ça un peu dommage, car le mixage est réussi, mais je dois m’accrocher pour tenir jusqu’au bout face à une telle démonstration de puissance, selon moi un peu contre-productive. Dommage, car j’attendais beaucoup de Volahn.
Setlist :
Non communiquée
(Darkspace)
S. : J’ai longtemps cru que cette série de plusieurs dates programmées sur la première moitié de 2019 était annonciatrice d’un nouvel album, que l’on attend depuis déjà cinq ans, mais il n’en est rien. Il faut dire que les Helvètes avaient pris pour habitude de célébrer chaque nouvel opus par un concert unique sur leurs terres à Berne. Par deux fois je m’étais rendu dans la capitale suisse pour ces événements (en 2008 pour Dark Space III et 2014 pour Dark Space III I), des expériences singulières tant sur le plan visuel que sonore, moi qui suis leur parcours depuis leurs débuts. C’est l’annonce de Darkspace sur ce festival qui a été déterminante pour moi de venir en Belgique en cette fin d’hiver.
Pour préparer la venue des Suisses, la scène fait l'objet d'un réaménagement total. Exit les bougies, crânes et autres babioles, tout est enlevé pour installer le propre matériel des helvètes : mur d'amplis, grand backdrop, la fameuse boule à rayons bleus. Les trois musiciens se présentent au public. On retrouve Wroth à gauche, Zorgh au centre et enfin Zhaaral à droite Tous sont grimés de corpsepaint et certains d’entre eux portent des lentilles, notamment la bassiste dont le visage semble aussi extraterrestre que son instrument au design futuriste. Ce côté déshumanisé se retrouve également au niveau de leur attitude puisque les trois protagonistes n’affichent aucune expression.
Des sonorités stellaires se diffusent dans la salle, on est parti pour un voyage cosmique d’une heure et demie. Les Suisses proposent à l’assemblée une revue de leur discographie, alternant entre les morceaux mid-tempo et les passages épileptiques. Dicté par la boîte à rythme assez mécanique et les claviers samplés, le trio ne s’autorise à aucun écart de leur trajectoire orbitale. Tout est millimétré et calibré, la qualité du son est enfin au rendez-vous pour profiter comme il se doit de leur prestation. Entre 3.12 et 2.9, le groupe laisse l’auditoire dans une errance interplanétaire d’une quinzaine de minutes, le temps d’une courte pause, avant de repartir de plus belle. Les émotions vont crescendo au gré des morceaux, jusqu’à atteindre le paroxysme sur le dernier d’entre eux, 4.20, qui conclut brillamment le set. Les quatre-vingt dix minutes ont défilé à toute allure, comme si une distorsion temporelle avait touché le Magasin 4. Ce soir, la transcendance astrale que je suis venu chercher a été atteinte, merci Darkspace !
Matthias : Ayant eu l’occasion de voir Darkspace deux fois sur la même semaine grâce à leur passage au In Theatrum Denonium, j’ai l’impression d’appartenir à une toute petite caste de privilégiés. Mais aussi de n’en être pas digne : si je reconnais les qualités, par ailleurs incontestables, de la formation helvète, j’ai par deux fois eu un mal fou à me mettre sur la bonne orbite. Pourtant, l’ajout d’un décor plus compatible avec l’ambiance instillée par Darkspace est un énorme plus, en particulier l’étrange boule bleue déjà mentionnée. A Denain, on n'avait eu droit qu’à des flashes blancs orientés à hauteur de rétines, et donc aussi impersonnels que douloureux. Le son me semble par contre un peu faiblard au début, mais là je pinaille car, contrairement à certains fans, je ne verrais pas l’intérêt d’un mur de décibels. Darkspace nous offre une prestation magnifique et, bien que les trois Eldars sur scène restent impassibles, quelque chose dans leur attitude trahit leur désir de choyer ce public et ce festival. Pour ma part, je me plonge dans mes références de science-fiction compatibles avec l’horreur cosmique innommable et indescriptible que Darkspace tente de nous faire percevoir. Dans mon cas, certains secrets du XLIème millénaire font l’affaire, l’esthétique adoptée par les musiciens aidant. Mais ça ne fonctionne qu’à moitié, sans doute à cause de la fatigue. Un concert de Darkspace reste une expérience éprouvante, qui requiert un certain état d’esprit qui m’a fait défaut en cet instant. Un peu dommage, mais ça reste personnel, et ce concert reste un des plus impressionnants de ce long festival.
Setlist :
Dark 4.19
Dark 2.8
Dark 1.2
Dark 3.12
Dark 2.9
Dark 3.15
Dark 3.16
Dark 4.20
S. : Les dernières notes de Darkspace sonnent la fin de ce festival bruxellois. L’heure est donc au bilan des 4 jours passés dans la capitale belge. Si j’ai été critique à maintes reprises de la qualité du son (à juste titre à mon sens), il n’en faut pas moins souligner les nombreux aspects positifs de cet événement organisé par A Thousand Lost Civilizations :
- Tout d’abord la richesse de l’affiche en elle-même, notamment d’avoir faire produire sur scène des formations assez rares. Un festival fait par des connaisseurs, pour des connaisseurs,
- Le concept des premiers groupes atypiques par rapport au reste de la programmation, avec quelques belles découvertes pour ma part (The Dead Creed, Mongolito),
- Une organisation impeccable, avec pas ou peu de retard sur les heures annoncées et des changements de plateau efficaces,
- Les bonnes prestations des différents groupes. Au jeu des “top 5”, je citerais pour ma part : Darkspace, Darvaza, Wolvennest, Pseudogod et Adaestuo.
Concernant les points négatifs (puisqu’il faut bien les évoquer) :
- Le son, trop fort sur la plupart des groupes, qui a entaché bon nombre de shows, en particulier ceux de Misþyrming et Svartidauði,
- Le jeu de lumières, très pauvre pour les trois quarts des formations. J’ignore si c’était une demande expresse des musiciens mais visuellement j’ai eu la sensation que cela mettait un frein au dynamisme des sets,
- Le merchandising assez peu fourni. J’ai recherché en vain l’album d’Adaestuo par exemple,
- Enfin -et peut-être que je focalise un peu trop là-dessus- mais c’était au sujet de la faune locale. Premièrement, c’était assez pénible de devoir supporter la fumée des addicts de la cigarette à l’intérieur des salles (surtout celle de l’Atelier 210 qui n’avait aucune aération) et deuxièmement c’était de voir l’état des lieux à la fin de chaque journée : des gobelets en plastique et des bouteilles par terre par dizaines, comme si faire 10 mètres vers le bar demandait un effort surhumain pour le métaleux de base. A l’avenir, il pourrait être intéressant de songer à une consigne.
Matthias : A Thousand Lost Civilizations nous a offert un événement véritablement exceptionnel : jamais depuis le défunt Nidrosian n’avait-on vu en Belgique une telle concentration de groupes aussi rares, dont certains se tailleront sans doute une place parmi la prochaine génération de grands noms du Black Metal. A cette évidence s’ajoute quelque chose de plus diffus, un état d’esprit particulier qui habitait tant les musiciens que le public : un certain sentiment de microcosme, dans lequel personne n’a quoique ce soit à prouver et chacun est là pour apprécier la musique. Sans vouloir perpétuer les clichés sur la scène Black Metal, il y avait là une certaine détente qui m’a semblée inhabituelle. Par contre, si ce festival est amené à se perpétuer, ce que j’espère, il devra trouver des réponses aux menus défauts des salles qu’il occupe, comme le quasi couvre-feu hors de l’Atelier 210 à partir d’une certaine heure. Effectivement, pour les fumeurs c’est problématique, d’autant que beaucoup profitaient du camouflage de l’encens. Même si je n’en ai pas tant souffert, S. a raison en pointant les problèmes de son. Je le rejoins d’autant plus sur la problématique de gobelets, alors que ceux réutilisables en plastique dur sont maintenant largement répandus. On parle quand même de centaines de kilos de déchets aisément évitables. Mais ces points-là dépendent peut-être plus des salles que du festival. En tout cas ces considérations mériteraient d’être prises en compte pour une éventuelle, et déjà très attendue, seconde édition.
Malgré cela, la note restera des plus positives : j’ai vraiment passé ces quatre jours dans une autre temporalité. Si je devais vraiment citer les cinq groupes qui ont fait mon festival, je mettrais en avant Mgla et Blue Hummingbird on the Left sans trop de surprise, Saturnalia Temple de manière totalement inattendue, et Darkspace pour la qualité de leur concert. Quant à la cinquième place, entre Darvaza, Saqra’s Cult, Vortex of End et quelques autres, j’aurais bien du mal à l’attribuer !
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