
La caution grunge du webzine.
« This is the day ». Les prédicateurs du black grunge publient leur nouveau livret de messe – qu’ils veulent funèbre –, deux ans après la référence que fût Breakwater. En tenant compte du retrait à présent définitif de Dark Fortress, officialisé avec la sortie d’un album-live en janvier dernier, V. Santura a le loisir de se consacrer pleinement au développement de Rootbrain. Quoique que le terme « rayonner » conviendrait mieux à cet EP, moins extrême que le matériel évoqué, et quelquefois gagné par une mélancolie, voire une légèreté bienfaitrices. Mothertomb serait-il le Jar of Flies des Finno-allemands, du moins son pendant underground ? Sous certains angles, cette comparaison se justifie. Quoi qu’il en soit, au-delà de l’aspect musical, cet objet présente un double intérêt : nourrir l’appétit des fans en attendant la sortie du prochain album, déjà annoncé sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, et offrir au jeune label floridien Corpse Paint Records une opportunité de promotion.
D’une manière assez évidente, les quatre offrandes constituant la tracklist évoquent sans détour la seconde partie de Breakwater, et plus généralement, ses instants acoustiques ou semi-électriques. « Unawares » a beau dégager une énergie différente, en raison de sa radicalité et de ses riffs denses et saccadés, là encore, l’on retrouve l’influence de l’album précédent. Il est par exemple aisé de projeter le « dark clouds gathering pace » (« Gone by the Waves ») à un ou deux endroits du titre susnommé, lorsque se profilent, au loin, des phases lentes, mélodiques. Au regard de son identité, Rootbrain continue d’hybrider grunge et metal extrême, mais ces derniers éléments apparaissent de façon minimaliste, pour ne pas dire exceptionnelle. Il demeure toutefois quelques vestiges de chant hurlé et de gang vocals, notamment sur le rampant « Svobomir », dont l’ouverture recrée une ambiance gloomy à la My Dying Bride.
À l’aune de ce recentrage stylistique, l’intention est donc de s’inscrire, au moins à court terme, dans un metal alternatif plus traditionnel, quoiqu'empreint d’une noirceur et d’un écospiritisme inaccessibles à la plupart des artistes du genre (« Into a mother tomb/I throw myself/The source where I'll recharge »). Le triptyque formé par « Mothertomb », « #1 Crush » et « Svobomir » réinvestit donc des marqueurs caractéristiques du Seattle Sound, à travers une approche de la musique très acoustique, parfois tamisée, complétée d’harmonies vocales. Un hommage aux années 90, que confirme la décision de réinterpréter « #1 Crush » de Garbage, la B-side du single « Vow », apparue dans la bande originale du film « Roméo & Juliette » en 1996. Un choix qui, à lui seul, démontre l’expertise et la singularité du groupe : défaire l’habillage trip-hop de la chanson et contourner le piège d’une version trop lacrymale, romantisée, n'était pas chose aisée. De ce point de vue, les musiciens réalisent un tour de force, en établissant d’abord une nouvelle hiérarchie des éléments, dans laquelle les guitares obsédantes dominent le mix alors qu’elles étaient auparavant en retrait. Enfin, par la voix de Jules Näveri, en amorçant un léger grunt sur les « And I will never be ignored ».
Mothertomb marque une étape de transition et doit être jugé comme tel. S'il souffre de la comparaison avec le premier album qui, à terme, pourrait faire date dans les circuits alternatifs, cet EP n'en reste pas moins captivant pour les questions qu'il soulève : face à la noirceur, Rootbrain choisira-t-il « le côté lumineux de la Force », qui transparaît dans certains morceaux d'Alice In Chains ?
Tracklist :
- Unawares
- Mothertomb
- #1 Crush (Garbage Cover)
- Svobomir