La caution grunge du webzine.
« La douleur liée à la musique et aux paroles d’Alice In Chains est bien réelle. On pourrait presque la comparer à du suicidal black metal », témoignait Markus Laakso – artisan de Kuolemanlaakso –, dans le cadre d’un projet d’écriture avorté sur les scènes grunge. Ces propos rapportés en 2022 permettent de saisir l’essence du black grunge, style dérivé et exploratoire du Seattle Sound, dont Rootbrain est, à ma connaissance, le seul représentant. Une précision, toutefois. Même si l’affiliation au BM demeure évidente (jusqu’au trve et non moins malicieux « No keyboards were used on this album » à l’intérieur du livret), le terme black se réfère davantage au metal extrême – dans son acceptation la plus large. À ce titre, le line-up représentait déjà une garantie solide à la réussite du projet : le producteur V. Santura (Triptykon, Dark Fortress) à la guitare lead ou encore deux autres membres de Kuolemanlaakso.
Des influences pouvant apparaître éloignées cohabitent d’une manière assez exceptionnelle. Le supergroupe se nourrit des tourments observés sur le chien à trois pattes (l’éponyme) d’Alice In Chains. Et nombre de ses titres, inspirés par cette période, sont dotés de solos dont le style expressif évoque nécessairement Dark Fortress. En outre, celui de « Steer by the Scars » relève d’un coup de maître, pour peu que l’on recontextualise ce dernier. À savoir plus de vingt secondes d’un tapping « virtuose » à la façon d’un guitar hero au sein d'un authentique album de grunge. En effet, le mouvement a longtemps montré son aversion quant à ces performances ostentatoires jugées « commerciales ». D’un autre côté, Rootbrain renoue avec ce qui constituait l’un des piliers du Seattle Sound, à savoir l’engagement politique. À travers ses textes, il défend des idées anticapitalistes et libertariennes, et enfin, au détour d'une chanson, il s’oppose au populisme d’extrême droite gangrénant la Finlande (« We let the snakes crawl into the throne room / More wealth than ever yet a famine looms »). En témoignent ses commentaires « track-by-track » publiés sur son site internet.
Hormis un temps faible (« Hatemongers ») atténué par un virage plus lumineux (crépusculaire ?) au terme de l’opus, Breakwater ne pâtit d’aucune redondance. Quand bien même sa recette est admise au bout de quelques morceaux, Rootbrain surprend. Le finno-brésilien Jules Näveri transitionne d’un type de voix à un autre avec une fluidité remarquable : un growl mélodique à la Swallow The Sun sur le « I’m a breakwater in the tide » de « Departures » et, régulièrement, un chant à la fois affolé et criard où le quintet plaide pour une approche de la musique plus radicale (« Gone by the Waves », « Bullethead »). Adepte d’un chant les mâchoires serrées, le frontman cristallise l’attention, en diffusant une tension palpable à travers les morceaux. L’un d’eux, l’hypnotique « Black Honey », illustre fort bien cette versatilité, puisque au moins trois techniques vocales sont représentées.
Quoiqu’à un degré moindre par rapport au grunge qui le sacralise, le doom-death (dont sont issus plusieurs musiciens) cultive un intérêt certain envers l’acoustique. Ces deux courants ont d’ailleurs « éclos » au début des années ‘90 – une époque dorée, servant de référence pour les artistes. Apparaissant généralement sur les ponts, les éléments acoustiques font partie intégrante de l’ADN de Rootbrain, à l’instar des gang vocals. Mais parfois, ces promenades instrumentales prennent une tout autre tournure, à l’image du cauchemardesque « A New Leash of Life ». Après un passage coloré, voire ethnique, ayant l’air de puiser son inspiration dans les travaux de Days Of The New (descendant lui-même d’Alice In Chains...), le ciel s’assombrit. Entrent simultanément en scène une double pédale épileptique et un solo de guitare suraigu, similaire à un saxophone.
Quelle que soit la suite à donner à cet effort, Rootbrain fera sans doute autorité parmi les initié·es. Il est en revanche peu probable qu’un mouvement black grunge naisse autour de lui, au-delà de son cercle de fréquentations stricto sensu. Reste que les metalleux clôturent Breakwater en jouant l’une des plus belles pièces du genre : « Floating Feathers » ou le summum de la distinction. Et si ses derniers instants semblent aussi incarnés vocalement, c’est qu’ils renvoient aux ultimes paroles qu’a prononcées le père du bassiste Thomas Wright, alors atteint d’un cancer, depuis son lit de mort :
« In the end nothing but a memory remains
And the love »
Tracklist :
- Lion Tamer
- Gone by the Waves
- Departures
- Life in a Grave
- Black Honey
- Bullethead (feat. Michael Zech of Secrets Of The Moon)
- Hatemongers
- A New Leash of Life
- Steer by the Scars
- Floating Feathers