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Série Noire #18 : Dark Fortress, Saor, Usquam, Patriarkh, Mourir...

vendredi 21 février 2025
Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Comme d'habitude avec la Série Noire, on vous propose de jeter une oreille à ce qui est sorti ces dernières semaines en matière de black metal ! Du connu et du moins connu, du doux et plus violent, il y en a pour tous les goûts encore une fois. Toujours est-il que la période s'y prête toujours puisqu'on n'est pas encore sortis des cold days of February (petit référence hors sujet à un groupe de musique folk des années 60 et 70).

Groupes évoqués : SaorDark FortressUsquamLotus of Darkness | MourirEcologistPatriarkhScrüdaKirVoid of Hope  

 

Saor – Amidst the Ruins
Black metal atmosphérique/celtique – Écosse (Season of Mist)

Malice : Initialement, ce dernier album de Saor aurait dû, comme ses prédécesseurs Forgotten Paths et Origins, être chroniqué. Problème : rarement un album aura aussi bien porté ce nom. Au fil des écoutes, on a un peu l'impression de se promener dans les ruines de ce qu'était la musique de Saor il n'y a encore pas si longtemps. Non pas que ce Amidst the Ruins soit particulièrement mauvais - sur bien des aspects, il est supérieur à Origins. Le chant d'Andy Marshall, notamment, a retrouvé un peu de personnalité après la drôle d'expérimentation de l'album précédent.

Quelques mélodies sur le morceau-titre et sur le plutôt réussi « Glen of Sorrow » évoquent presque la qualité de composition, si pas d'un Aura, au moins de Forgotten Paths. « Sylvan Embrace », surprenant morceau acoustique porté par le chant féminin d'Ella Zlotos (découverte sur le dernier album de Belore), également au tin whistle, est une belle réussite qui brise la monotonie d'un album sans surprise. Car c'est bien le problème : si tout, ici, est bien fait, la magie est totalement absente. Alors que Marshall parvenait à créer une sorte de contemplation éthérée et à nous plonger au fil des écoutes de Roots et Aura dans les brumes des highlands, Amidst the Ruins sonne bien creux. Chaque titre est trop long de cinq bonnes minutes, écueil qu'arrivait à éviter le Saor des débuts (malgré des titres tout aussi étirés). Ou peut-être est-ce notre sensibilité qui a changé, et ce Saor nouveau arrivera-t-il à trouver son public ; on le souhaite à l'un des projets les plus marquants du black metal atmosphérique ces dernières années.

 

 

Dark Fortress – Anthems From Beyond the Grave - Live in Europe 2023
Black metal mélodique – Allemagne (Century Media Records)

Rodolphe : « C’est une fin appropriée », se réjouissait V. Santura l’année passée, durant la promotion d’Anthems from Beyond the Grave. Le simple fait d’envisager la publication d’un album live est tout sauf anodin, considérant la rareté de ce format dans la scène black metal (Live in Leipzig de Mayhem fait autorité en la matière... et ensuite ?). Enregistrées à l’occasion de la tournée européenne de 2023, ces performances retracent la carrière de Dark Fortress, riche de trois décennies de scène et de studio. Même si le premier âge du groupe est représenté dans la setlist – notamment à travers Séance – l’ère Morean demeure ici la norme. Sa voix caverneuse, ayant longtemps souffert d’être comparée à celle de Shagrath, révèle ses plus beaux atours, s’apparentant à une forme de chant de gorge sur certains passages (« Catawomb », « Ylem »). Contrairement à la tendance au tout-symphonique en vogue au sein du BM, les Allemands recourent aux arrangements de façon modérée, circonstancielle, y compris lorsque ces derniers empruntent à la grandiloquence du white metal, comme sur « The Silver Gate ». De cette expérience live vécue par procuration, les fans retiendront un son et des choix d’une qualité rare, excepté, peut-être, l’indolent « Evenfall », où les voix claires et fragiles contrastent avec le chant éternel et légèrement progressif de « Pulling at Threads ». Dark Fortress, ou l’histoire d’un groupe mésestimé – le concept-album Eidolon basé sur le mythe du doppelgänger –, mais aussi singulier, du fait de son approche guitaristique hors-norme (à retrouver dans Rootbrain). Merci pour cette offrande, et à bientôt, au-delà de la tombe !

 

 

Usquam – Ex nihilo
Black metal mélodique – France (Source Atone)

Raton : J’avoue ne pas suivre assidument les sorties black metal et, encore pire, de surtout suivre le train de la hype quand il s’agit de rattraper mes retards. Mais parfois, il y a ces surprises, ces chevaux sur lesquels on n’aurait jamais parié. Étant plutôt fan de black atmo cradingue, le black mélodique bien poli d’Usquam n’était pas nécessairement destiné à me plaire. Et pourtant.

Messager d'un black metal intense, pluriel et bien structuré, le groupe français sort son premier album, non sans talent. Grandiose et majestueux, le disque se déploie avec technicité et variété, porté par des guitares créatives (les solos de « Altar Ego » et « Ego Sum ») et le chant expressif de la chanteuse Jessy Christ. Les passages scandés en français sont peut-être un peu pompeux mais ne viennent pas non plus troubler l’écoute, très digeste et immersive.

 

 

Lotus Of Darkness – Guided Through Serpentine Spirit
Raw folk black metal – Thaïlande (Pest Productions)

Malice : Une fois n'est pas coutume, c'est vers l'Asie du Sud qu'on vous emmène dans cette Série Noire : direction la Thaïlande et les excellents Lotus Of Darkness. En réalité, la formule est simple : imaginez du Cult Of Fire dans l'esprit, mais en plus raw, en plus viscéral – et en un sens bien plus authentique, puisque réellement en provenance d'un pays bouddhiste. Le phin, sorte de mandoline thaïlandaise, accompagne très bien les tremolos orientalisants d'une musique qui reste tout de même assez axée sur les instruments black : pas ou peu de grandes envolées contemplatives à la Zuriaake ici.

Après l'extraordinaire Sompas Naga, Lotus of Darkness offre doncici un nouvel EP. Guided Through Serpentine Spirit vaut surtout pour ses 23 premières minutes, lentement installées par une introduction traditionnelle et folklorique avant un plongeon dans un black assez raw, mais toujours teinté de cette personnalité thaï si particulière. La seconde partie de l'EP n'est qu'une revisite instrumentale du premier titre, qui peut en intéresser certains (notamment ceux que la voix rebute). Quoi qu'il en soit, on ne peut que vous enjoindre à écouter non seulement Guided Through Serpentine Spirit mais toute la discographie des Thaïlandais si le black metal teinté de spirituel et d'exotisme vous parle.

 

 

Mourir – Insolence
Black metal chaotique – France (Pelagic Records)

Dolorès : Poisseux, dissonant, destructeur ? Quelques qualificatifs qu'on pourrait accoler à la dernière sortie du groupe toulousain Mourir (avec des membres de Plebeian Grandstand et BRUIT entre autres). Après Disgrâce sorti en 2022, c'est Insolence, un petit EP d'à peine plus de 20 minutes, qui vient continuer de porter le flambeau de leur musique chaotique au possible. Elle apparaît ici sous une forme violente mais précise avec « Hubris » et « Nemesis », deux titres calibrés pour donner envie d'y revenir. Des parties instrumentales sans concession, auxquelles s'ajoutent les différentes textures de voix qui font, entre autres, le charme du groupe. A cela viennent s'ajouter le titre-interlude « Punitive » où on peut entendre le carnyx de Samuel Méric évidemment (puisqu'il me semble bien qu'il soit le seul en France à recréer ces majestueux instruments gaulois) et l'outro ambiante « Illusions ». Un groupe avec une patte bien distinctive qui fait plaisir à suivre, en studio comme en live où le chaos règne.

 

 

Ecologist – Glaciares: Premonición de los Fragmantos del Deshielo Inminente
Black metal conscient – Chili (Autoproduction)

Rodolphe : Si certain·es artistes témoignent d’un détachement vis-à-vis de ce qu’elles ou ils racontent dans leurs textes, d’autres, au contraire, « vivent leur musique ». Ecologist matérialise ses peurs à travers un black metal conscient, raw, portant le sceau du déclin – celui de la biodiversité. 95 % des glaciers d’Amérique du Sud, dont 82 % situés au Chili, étaient déjà en net recul, en 2019. Une thématique, sans grande surprise, au cœur de ce nouvel EP, sous-titré Premonició​n de los Fragmentos del Deshielo Inminente, édité en une série limitée de 40 cassettes. Vicente Norambuena théâtralise cet effondrement, en offrant l’un de ces chants inamicaux, quelquefois stridents, se confondant parfois avec les rafales. Le musicien crée une cacophonie instrumentale, illustrant le déchaînement des passions. À la fin de « Una Corriente Fría de Olvido », la tension cède la place à la complainte, via des guitares crépusculaires, mélodiques, guidant les vocaux. « Aguas Desvanecidas en el Tiempo », lui, possède une nature plus atmosphérique, voire ambient, où le côté extrême s’efface progressivement, sur les quatre dernières minutes. Le rythme et les bourdonnements diminuent ainsi pour, sans doute, amener l’auditoire à réfléchir. « J'ai tendance à composer des chansons écologistes de manière très linéaire, en développant la première partie, puis la suivante, et ainsi de suite, comme un processus où j'imagine comment le morceau évoluera. Ici, j’avais en tête les glaciers », raconte Vicent pour Horns Up.

 

 

Patriarkh – Prorok Ilja
Black metal orthodoxe (au sens religieux du terme) – Pologne (Napalm Records)

Malice : Enfin, le drama Batushka est derrière nous. Je fais partie des rares chez Horns Up à n'avoir en fait jamais été « perdu » dans toute cette histoire : pour moi, ça a toujours été clair, il y avait le « vrai » — celui de Krzysztof Drabibowski, qui a sorti l'excellent Panihida, à mes oreilles pas forcément moins bon que Litourgiyia et le « faux » — celui de Bartlomiej Krysiuk, qui a sorti les très moyens si pas médiocres Hospodi et Maria. Pas plus compliqué à suivre que les nombreux autres dramas du metal, si on met la mauvaise foi de côté.

Mais alors qu'il n'y a maintenant plus qu'un seul Batushka (et que j'attends donc le successeur de Panihida avec curiosité), je ne m'attendais pas à vous parler en bien du projet de Bart, renommé donc Patriarkh. Pourtant, le fait est que quand on met, là encore, la mauvaise foi de côté, difficile de ne pas y trouver de sacrées qualités : si les aspects assez black metal sont plutôt quelconques ici, ce sont bien les habits liturgiques et, surtout, folkloriques de Prorok Elija qui en font un véritable voyage musical dans la Pologne de l'est – la Podlachie, en vérité – et sa culture. Patriarkh offre de vrais beaux moments (le splendide enchaînement « Wierszalin III-IV », le titre 100 % folklorique « Wierszalin VI ») et s'éloigne du style proposé par Batushka, intelligemment. Une belle surprise !

 

 

Scrüda – Fury Among Ruins
Speed black crust – Pologne (Godz ov War)

Raton : Un soir, je vois que Malice m’a tagué sur le Discord qui permet de structurer la rédaction avec un message lapidaire : « 10 morceaux, 18 minutes, con à manger des briques. Du coup @Raton hein ». Me voilà donc dans l’obligation contractuelle de chroniquer ce premier long format des Polonais de Scrüda

Scrüda avait reçu une reconnaissance de niche avec leur premier EP au nom fort à propos Barbarian State of the Mind dans un registre entre black metal crasseux, speed débonnaire et crust remonté. Quelque part entre la vieille ombre de Venom, des relents de Midnight, les galopées de Sabbat et la crasse d’Amebix.

Ce premier LP est un concentré d’énergie gobelinesque, extrêmement fun à l’écoute sans jamais que l’amusement se fasse au détriment de la qualité. En plus, les morceaux se distinguent facilement les uns d’entre eux, parfois volontairement heavy comme le terrible « Lone Duelist » ou parfois bien plus thrash avec l’entraînant et nerveux « Bonded by Hate ».

 

Kir – L'Appel du Vide
Black/death metal – Pologne (Godz Ov War)

ZSK : Quand le nom de Kir est apparu dans le catalogue de Godz Ov War il y a quelques semaines, tout le gratin franco-français y est bien sûr allé de sa propre blagounette vis-à-vis de l’apéritif traditionnel à base de sirop et de vin. Mais quand bien même ce groupe polonais a titré son premier album en français, Kir est un mot employé pour désigner un voile mortuaire. Voilà pour la petite histoire et on va plutôt passer à la musique de ce quintet polonais qui n’est pas là pour plaisanter, lui qui existe depuis 2017 autour de l’ex-vocaliste de Outre mais qui ne démarre que maintenant, avec donc L’Appel du Vide.

Quand on parle newcomer polonais ces dernières années, on constate souvent l’influence beaucoup trop prégnante de Mgła sur ses compatriotes. Kir ne va pas y couper par moments (« Znów ») mais va tout de même se distinguer avec assez de personnalité, autour d’un black metal implacable et quelque peu martial, penchant vers le black/death notamment quand les blasts sont de sortie (dès « Monument »). Les 31 petites minutes de L’Appel du Vide s’aéreront quand même pas mal, avec quelques mélodies ou des arpèges plus occultes ici et là. Pour un premier album franchement inspiré et consistant.

Le chant possédé et éraillé de Harvest fonctionne bien, la production est suffisamment organique pour ne pas tenter de tomber dans le blockbuster polonais trop stérile. Et si L’Appel du Vide démarre par un bien agressif « Monument », les morceaux restants vont s’allonger pour faire preuve de plus de créativité. « Eter » se montre plus lourd et percutant, avant (déjà) un final ambitieux sur « Apoptosis » où Kir développe bien son côté plus martial et même épique. L’Appel du Vide n’est pas exempt de petites longueurs, mais c’est un premier jet convaincant et c’est déjà un groupe à suivre dans ce pan de la scène polonaise, à l’instar d’un Angrrsth. Bon alors votre Kir, vous le prenez mirabelle-champagne c’est bien ça ?

 

Void Of Hope – Proof of Existence
Black/doom metal – Finlande (Avantgarde Music)

ZSK : Tous les trimestres, c’est un peu le même refrain : on pioche dans les trouvailles d’Avantgarde Music pour faire quelques découvertes. Le label italien a toujours eu le nez creux même s’il faut un peu trier le bon grain de l’ivraie. Aujourd’hui, c’est Void Of Hope qui nous intéresse. Groupe finlandais sur lequel peu d’infos précises sont disponibles, si ce n’est qu’on sait qu’il y a des membres de Moonlight Sorcery, Outlaw ou encore Dispyt là-dedans. Un premier album studio directement, prétendument enregistré en cinq jours dans le froid et la nuit… Void Of Hope intrigue.

Les influences de Gris, Silencer, Lifelover ou encore ColdWorld s’assument et donc on se doute qu’on ne baignera pas dans la joie de vivre. Void Of Hope s’offre tout de même une sonorisation étonnamment propre pour quelque chose qui est logiquement présenté comme du DSBM, tel le premier album de TotalSelfHatred à l’époque. On sera plutôt dans un terrain black/doom mais qui sera agrémenté de pas mal de claviers et ce dès l’ouverture sur « Gift of Life ». Le rattachement au genre DSBM est davantage évident sur le chant d’écorché vif, qui rappellera aussi un Bethlehem.

Mais pour le reste, Proof of Existence convainc grâce à des compos lourdes mais plutôt incisives et sacrément inspirées, ce qu’on a pu constater dès la parution du single-titre. A la fois variées et efficaces, mélodiques et déchirantes, les partitions proposées par Void Of Hope sont particulièrement entraînantes. Le plus remuant « T.E.T.L. » témoigne bien de toute la palette du groupe finlandais, dont le fonds de commerce demeure quand même très mélancolique, parfois à la limite du too much ou de féroces longueurs dès que les claviers se mettent bien en avant (« The Hollow Hymn », « Decaying Years »). Les influences sont évidentes mais avec cette sorte de DSBM plus « moderne » très inspiré, Void Of Hope tire sans mal son épingle du jeu. À découvrir, si vous êtes dans le bon mood…