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mercredi 14 juin 2023

Panopticon + Afsky @Lille

La Bulle Café - Maison Folie Moulins - Lille

Team Horns Up

Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.

Panopticon : un groupe qui a le mérite de proposer une expérience assez inédite dans le black metal, avec un message très personnel, tout en se tenant éloigné des démons encore trop présents dans le genre. Du black metal forestier du Nouveau Monde que je pensais aussi ne jamais voir en live, comme beaucoup de ces projets de niche pour qui traverser l'Atlantique reste une aventure. Et voilà que ces gens du Kentucky se lancent dans une tournée en Europe nommée Lights of the Past, en compagnie des Danois de Afsky. Ça sera la première date française pour les Américains, à Lille, juste de l'autre côté de la frontière - avec une autre à Namur, chez les tribus mosanes, accessoirement. Il y a des jours où on ne pose pas de question et où on prend son ticket.

De retour donc, en équipe binationale, dans la cité flamande perdue en territoire hexagonal, et sous un soleil de plomb encore bien. Le concert de ce soir se tient à La Bulle Café, visiblement le bar attitré d'un centre culturel de quartier installé dans une ancienne brasserie en briques rouges du siècle dernier. L'endroit est petit, mais pas du tout mal fichu, à un détail près : une aération qui n'est clairement pas conçue pour accueillir 300 personnes en t-shirt noir et sous des spots quand on a dépassé les 30°C dehors...

Afsky

Circé : Il faut que je sois motivée pour rester plantée dans ce véritable sauna humain pour voir les Danois - et je ne peux donc pas en vouloir à mes chers camarades moins friands du groupe de me laisser seule pour aller prendre l’air. Je ne suis apparemment pas la seule à être venue tant pour Afsky que pour Panopticon : la salle est déjà plus que pleine. Chose assez inhabituelle, elle me semblera même d’ailleurs presque plus remplie pour le premier que pour le second groupe. Il faut dire que la hype survenue à la sortie de l’album de 2020, Ofte jeg drømmer mig død, n’a pas l’air d’être retombée avec son successeur, Om hundrede år, faisant la part belle à un black metal atmosphérique et dépressif aux touches de folk, dans une veine proche de Grift. Bon, soyons réalistes : on parle tout de même d’une hype de niche, comme nous le rappelle la taille de la salle. 

Alors que je me demande comment je vais bien tenir toute la soirée, les Danois montent sur scène sous des spots bleus, leur logo projeté au-dessus de leur tête. Et comme si la chaleur ne suffisait pas… Le son est mauvais. Alors certes, on ne s’attend pas à des sonorités cristallines sur une petite tournée dans une petite salle de centre culturel. Mais dans le cas présent, on ne reconnaît pratiquement que les morceaux ayant une mélodie en intro, comme « Tyende Sang » ou « Stormfulde Hav ». Dès que la batterie et les guitares saturées entrent en jeu, tout se noie et on ne distingue plus grand-chose dans le mix. Un problème malheureusement prévisible, à cause duquel je reste un peu sur ma faim, mais qui ne remet en aucun cas en cause la performance des Danois en elle-même. Chacun sur scène se donne à fond dans la musique, habité par toute l’émotion vive des compos. Malgré la chaleur qui doit être encore plus insupportable pour eux, lorsqu’on arrive à entendre, tout semble parfait. Difficile de dégager une vraie présence et une énergie de groupe dans ces conditions ; et pourtant, Afsky y arrive. Et malgré ces problèmes exogènes, celles et ceux qui comme moi connaissent un peu les morceaux se laissent vite emporter, et certains dans le public ne cachent pas leur émotion. En revanche, pour celles et ceux qui sont là pour découvrir… Cela a dû être un peu plus compliqué. 

Setlist :

Stormfulde Hav
Tyende Sang
Frosne Vind
Skær
Vættekongen
Et Sidste Farvel
Tak for alt
Angst

C’est donc forcément avec pas mal d’appréhension que j’attends le set de Panopticon. Voir les Américains en Europe était une chance inespérée, mais leur promesse de jouer des morceaux de Kentucky, album bardé de banjo et de morceaux d’americana, met la barre bien haut en live. Sans oublier les morceaux des albums plus récents, comme l’excellent …And Again Into the Light, où l’instrumentation folk est, elle aussi, essentielle. Mes craintes sont en revanche bien vite apaisées : le son sera, pour ce second concert, excellent, et le rendu absolument magique. Mais je laisse pour cela la place à mes deux compères belges.

Panopticon

Matthias : Disons-le d’emblée : après un tel passage à l’étuve, on oscille tous entre l’admiration pour nos Danois déshydratés et l’appréhension de devoir y retourner pour un nouveau set. Mais on mord sur sa chique, on se mouille la nuque - non, cette fois ça n’est pas une image - et on s’aligne au premier rang pour n’en rien manquer. Vu la complexité de leur musique, les Américains - six sur cette petite scène - prennent un certain temps pour s’accorder. Mais ça sera pour un mieux, car, ô surprise, le son reflète cette fois plutôt bien la patte du groupe. Le chant d’Austin Lunn est certes (très) en retrait, mais on entend ce violon qui contribue tellement à l’identité de Panopticon, et ça n’était pas gagné. 

Cette tournée outre-Atlantique marque les 10 ans de la sortie de Kentucky, sans doute l’album le plus marquant du groupe pour une bonne partie des fans. C’est donc dès le premier cri de « Bodies Under the Fall », suivi de sa guitare qui part dans les cimes, que je me retrouve au fin fond de la forêt primaire. Et c’est un voyage qui se prolongera jusqu’à la fin du concert ; on vibre sur « Killing the Giants as They Sleep » au rythme des arbres millénaires que l’on abat pour étançonner les mines. Il faut dire que sur cette dorsale franco-belge, nous sommes en terre de charbonnage, et je ne dois pas être le seul avec de la suie dans le sang. Seul regret : j’aurais tant aimé entendre « Come All Ye Coal Miners ».

Malice : J’étais assez curieux de voir ce que donnerait la musique de Panopticon en live, surtout dans des conditions de café-concert comme celles-ci. Car le tout aurait bien vite pu tourner au brouhaha inécoutable, d’autant que …And Again Into the Light, le dernier opus, jouait volontairement d’un retour à une prod’ bien plus crasse. Rien de tout ça ici, après de longues balances : l’équilibre du son est impressionnant, même le fiddle étant non seulement perceptible mais bien mis à l’honneur. 

Et heureusement, car il est primordial dès l’incroyable morceau introductif qu’est « Dead Loons », et sa longue progression mélancolique jusqu’à l’explosion. Il fait plus chaud que dans un sauna, et je n’exagère qu’à peine ; le groupe semble en souffrir un peu mais prend le parti d’en rire. C’est aussi l’une des constatations du soir : Austin Lunn, “monsieur” Panopticon, et ses compères sont proches du public au propre comme au figuré et n’hésitent pas à communiquer. L’homme laisse sa voix un peu trop en retrait à mon goût (« Personne ne vient pour m’entendre chanter », assure-t-il quand je lui en parle après le concert, et je lui donne totalement tort), mais côté parties de guitare, c’est très carré, jusqu’à ce passage au banjo si emblématique au milieu de « Bodies Under the Fall » qui est remanié pour en faire un duo fiddle-guitare folk. 

Malheureusement, ces moments de plongée dans les racines americana du groupe seront bien peu nombreux, Lunn optant pour une setlist best-of de ce que son irréprochable carrière black metal offre. « Into the North Woods » est bien sûr le moment le plus attendu, mais la pièce de résistance du dernier opus « Know Hope » et son pont atmosphérique enchaîné à un final furieux, où les guitares se répondent magnifiquement, me mettent à genoux. « The Sigh of Summer » n’est pas le final le plus évident, mais qu’à cela ne tienne, j’ai vécu un immense moment : merci Austin Lunn et Panopticon, que j’espère retrouver un jour pour un set acoustique également.

Setlist :

Dead Loons
Bodies Under the Falls
Black Soot and Red Blood
Killing the Giants as They Sleep
Into the North Woods
Watching You
Know Hope
The Long Road (Part 3: The Sigh Of Summer)

 

Circé : C’est en sueur mais heureux comme jamais qu’on ressort de là : une tournée Panopticon en Europe était quelque chose qu’on avait arrêté d’espérer, et le concert fut à la hauteur, voire largement au-dessus de nos espérances. À la fois crasseux et majestueux, odeurs de charbon et de forêt entremêlées, le voyage que nous offre le groupe nous fait presque oublier l’atroce chaleur. L’escapade lilloise en valait bien la chandelle, surtout quand, en sortant de la salle, on se retrouve dans la cour intérieure à discuter par hasard avec Austin, le leader / compositeur du projet. Un homme parfaitement sympathique avec qui nous discutons de son chant, de sa musique en général, mais aussi et forcément de bière, Lunn tenant la brasserie Hammerheart, dans le Minnesota, pour les plus zythophiles d’entre vous.