A l’annonce de la sortie imminente de The Raging River, votre serviteur n’a pas vraiment su sur quel pied danser. Présenté comme un pont entre le très réussi A Dawn to Fear sorti l’année dernière et la suite de leur carrière, je les ai immédiatement soupçonné d’avoir retravaillé les restes des sessions d’écriture pour proposer un EP. Les Suédois avait déjà entrepris une démarche similaire avec Vertikal II, prolongement logique de l’album de 2017. Le problème étant qu’en règle très générale, l’EP contient ce qui n’a pas été retenu pour l’album et, conséquemment, ce qui a moins d’intérêt. Il y a une certaine logique à cela tant une partie du travail en tant qu’artiste consiste à sélectionner le meilleur de sa production tout en acceptant que tout ce qui sort de sa tête n’est peut-être pas digne d’être écouté. Vertikal II n’arrive pas à la cheville de l’album qu’il complète, par exemple, même si Cult of Luna a une telle facilité d’écriture que cela reste du bon travail. Et c’est là tout le dilemme. A Dawn to Fear durait une heure vingt mais a été accueilli comme un des meilleurs albums de la décennie. Aucun répit, un post metal à un niveau d’excellence rarement égalé, un travail d’orfèvre sur les arrangements, la direction artistique m’avait moins retourné que Vertikal mais j’avais été soufflé, comme tout un chacun.
Lors de la première écoute, on comprend immédiatement la filiation avec A Dawn to Fear. La production est en tout point similaire, très viscérale, très éloignée du froid monolithe sonore qu’était Vertikal. L’opus de 2019 était une œuvre centrée sur l’humain, ses peurs, et comment les malheurs inévitables de la vie donnent de la valeur à celle-ci. Les textes étaient intimistes malgré la dimension toujours un peu métaphorique ou mystique de l’écriture de Johannes Persson. Des titres comme I Remember ou Three Bridges sont totalement dans cette filiation textuelle. Autre élément marquant, le groupe a commencé avec l’album précédent à intégrer des instruments acoustiques (un orgue notamment) et délaisse les riffs pour explorer des possibilités de composition qu’on retrouve habituellement dans la musique électronique : travail sur les nappes, les boucles et les variations plutôt que sur l’articulation riff / section rythmique. Dans The Raging River, un magnifique xylophone conclut Three Bridges tandis que Wave after Wave est peut-être le morceau le plus « abstrait » de la discographie de Cult of Luna. Construit autour de l’idée de bruit, on retrouve une façon d’utiliser la guitare qui tend vers le drone tandis que les synthés occupent une place centrale dans l’instru et la progression de la piste.
Au-delà de la filiation évidente avec l’effort précédent, The Raging River contient des éléments plus enfouis. Quelques idées, quelques désirs issus de l’époque Somewhere along the Highway (2006) notamment. Tout d’abord, il y a un lien, conscient ou non entre les artworks (je vous laisse faire votre idée mais vous pouvez visualiser la pochette de Somewhere ici et celle de The Ragining River là). Et surtout, il y a ce titre avec la voix de Mark Lanegan, Inside of a Dream. Persson a expliqué qu’à l’origine, le titre de 2006 And with her Came the Birds était destiné à être chanté par Lanegan, mais que les Suédois âgés d’à peine 20 ans n’avaient pas eu l’audace de l’inviter. Il est beau de voir ce projet se réaliser quinze ans après, d’autant plus que le résultat est à la hauteur des attentes, légitimes au demeurant.
Au terme de ces 36 minutes et de plusieurs écoutes, il est difficile de dresser un véritable bilan de The Raging River. Comment se positionner quand l’excellence est la norme ? Car c’est là tout le dilemme que nous impose presque cruellement Cult of Luna. Cet EP est excellent, c’est un fait. Mais quand il est délivré par un groupe qui n’a rien proposé de dispensable ces quinze dernières années, on se retrouve dans une attitude un peu bourgeoise où l’émerveillement se dissipe assez vite face à cette joaillerie sonore dont la qualité est attendue quand on connaît le talent des artisans. Cult of Luna continue à nous habituer au meilleur alors que nous supplions nos sens de ne pas s’émousser ou pire, de se lasser. Trop forts depuis trop longtemps, Zlatan Ibrahimovic n'est pas le seul monument, sur lequel l'âge ne semble pas avoir de prise, de ces froides terres de Suède.
Tracklist :
Three Bridges
What I Leave Behind
Inside of a Dream (feat Mark Lanegan)
I Remember
Wave after Waves