Interviews Retour
mercredi 22 avril 2020

Vautours

Rémy et Mathieu

Prout

Chroniqueur musiques du monde. Parfois Brutal Death / Black / Grind mais rien au dessous de 300BPM sinon c'est trop mou et je m'endors.

Aujourd'hui nous discutons avec Mathieu et Rémy du groupe de Post-Hardcore lillois Vautours.
 
  
 

Bonjour à vous deux. Rémy, on te connaît surtout dans les pages de Horns Up en tant que réalisateur du court-métrage intitulé "Et Le Diable Rit Avec Moi", présenté lors du Sadique Master de 2018 mais aujourd'hui c’est pour ton projet musical Vautours qu’on est avec toi et ton acolyte Mathieu. Puisque c’est un groupe assez récent, pourriez-vous le présenter aux lecteurs de HU ?

R : Salut Julien. Déjà merci beaucoup pour ce que vous avez pu dire sur mon film. Il a eu une belle réception au Sadique-Master et le papier de Horns Up faisait preuve d’une belle compréhension de mon travail (c’est pas si fréquent, et c’est du coup assez logique mais très plaisant que la « sphère Metal » l’ait bien saisi). Alors Hail à vous !

En ce qui concerne Vautours, oui, on peut dire que le groupe est récent. Très récent même, puisqu’il a 6 mois. J’ai été batteur en autodidacte de mes 15 à 20 ans, et puis je suis parti vivre à Paris pour mes études de cinéma et j’en fais depuis quelques années maintenant. Bien que le cinéma soit ma « principale vie » d’une certaine manière, au bout d’un moment la musique a commencé à me manquer, et je m’étais jusque là toujours interdit le droit d’essayer, en me disant que la polyvalence, c’était un truc de branleurs qui savent pas choisir une voie et qui, parce qu’ils sont « moyens » dans tout, l’excusent en tentant tout à moitié. Ce qui est parfois très vrai, dans ce que tu vois ou entends autour de toi, mais c’était ironiquement mon excuse à moi pour pas oser essayer. Et puis j’ai retrouvé Mathieu, le guitariste du groupe, que je connaissais depuis longtemps et que j’avais perdu de vue. Un gars extraordinaire, musicien jusqu’au bout des ongles, passionné et passionnant.

M : Quand Rémy m’apprenait qu’il faisait sa vie dans le cinéma, moi je poursuivais la mienne dans la musique (je joue également dans Fabrices et Sandpipers, deux groupes lillois). On a eu l’envie une aprem de s’enfermer tous les deux à La Malterie, où je répète, sans plus d’ambition que d’hurler dans un micro et de maltraiter ma guitare à grands coups de disto et d’envolées noisy.

R : On s’est littéralement re-rencontré, en constatant qu’on avait toujours les mêmes goûts. Et moi j’avais envie de troquer la batterie pour le chant ; j’avais une envie de gueuler et de brailler dans un micro qui me démangeait depuis des années. Donc on s’est dit : pourquoi pas ? L’expérience et la technique de Mathieu dans ses nombreux autres projets + mon instinct, ma rage et surtout mon envie d’en découdre pouvaient donner des trucs fous. On a essayé, ça a marché à mort.

M : On y a pris tellement de plaisir qu’on a réitéré l’expérience jusqu’à obtenir l’ébauche tout à fait crédible de ce qu’allait devenir Hail, notre premier EP. Ensuite, tout est allé très vite. C’est un album de l’urgence créative : de son écriture à sa sortie digitale, il s’est passé à peine trois mois, et on est hyper fier du résultat.

R : Et Vautours est notre enfant, un charognard déplumé sorti par césarienne, qui pue la rage et le caillou ! On a très vite été rejoint par nos potes d’enfance à la basse / batterie, des gars extra qu’on adore et qu’on avait envie d’appeler à embarquer sur le navire.

 


Comment en êtes-vous arrivés à ce style assez brut, post-hardcore, limite screamo. C’était une volonté réfléchie en amont ou c’est venu naturellement ? Quelles sont vos références musicales ?

R  :  C’est  drôle  parce  que  notre  ambition  était  (et  est  encore)  de  trouver  le  son « Vautours » : une musique à l’image du rapace, donc aussi vile, puante et âpre qu’elle est froide, malsaine et calculée, à l’image de ce foutu animal qui survole sa proie des heures en attendant qu’elle sèche ; une musique de prédateurs. C’est ce qui a d’infiniment poétique avec le vautour d’ailleurs ; il est aussi lâche et immonde qu’il est classe et malin. J’adore.

M : L’aspect « brut » de notre musique est complètement à l’image de son processus créatif : à l’instinct et au ressenti, avec le bide. Notre ingé son et frère de Rémy, Antoine, a mixé l’album en une semaine et c’était son premier mix de musique amplifiée, c’est un parti pris totalement assumé.

R : L’esthétique Hardcore / Punk, Post-Hardcore, Noise était du coup une évidence. On a brassé tous ces genres qu’on adore et on a dégueulé « Hail ». Et on a pas du tout cherché à coller à une étiquette en particulier. On a juste synthétisé ce qu’on voulait entendre. Ce qui te fait dire « screamo », à toi et à d’autres, c’est surtout le morceau d’intro « God’s Lucky » je pense ; c’est ce côté gratte sèche mêlée à mon chant éraillé et plaintif qui donne au morceau un côté Defeater / Nesseria, mais c’est amusant de voir que ce n’est pas vraiment voulu. Techniquement on se sent plus proches de Unwound que de Circle Takes The Square, et puis God’s Lucky est une intro !

M : Je pense que « Hail » est une synthèse cohérente de tout ce qu’on aime écouter ou mater au ciné, tout ce qui nous anime et qui brûle en nous. Des émotions vives dont la musique constituerait, pour ma part tout comme pour Rémy dans ses films, le moyen de les transcender. On avait beaucoup discuté, avant même que nous vienne l’idée de jouer ensemble, de nos influences, et le constat a été sans appel : ce sera noise as fuck, ça va grincer, cogner, faire flipper et se tordre dans tous les sens…

R : Pour ce qui est des références on est globalement tous fans d’un certain Noise-Rock / Noise-Punk qu’on mâtine de Post-HxC au sens 90’s du terme, avec une bonne louche de désinvolture et de méchanceté purement Punk. Nos références s’étendent de Unwound à Arab On Radar, de Cursed à Daughters, en passant par The Jesus Lizard, Fugazi et Coilguns.

M : J’ai grandi avec ça. On change pas d’où on vient !

 


L’EP exhibe une atmosphère sombre, malveillante limite martyrisante ; pourquoi tant de haine ?

R : Bah merci, déjà. On va évidemment prendre ça comme un compliment, parce qu’on veut faire une musique cathartique. Hardcore et Punk jusqu’à la moelle. En ce qui me concerne, je ne cherche absolument pas, en musique comme en cinéma, à proposer une forme d’Art agréable ou confortable. Ce serait un cauchemar. Je veux l’exact inverse ; une régurgitation brute, instantanée, urgente et bruitiste, un truc qui fait du bien en faisant mal. Ce qui ne veut pas dire que c’est bas du front ou limité, pas du tout : je me bats pour une expression du ventre, un cri du coeur mais qui pense et qui a quelque chose à dire sans jamais s’excuser d’employer la violence, la noirceur et les sensations fortes pour y parvenir. Je veux bousculer, emmener, transgresser, subvertir. Et le faire en musique me permet d’être plus direct, en étant moins « habillé » et « déguisé » que dans une forme cinématographique. C’est un équilibre créatif à deux facettes, une bicéphalité que je revendique fortement.

Vous avez fait le choix de sortir l’EP en vinyle, en plein confinement, la prise de risque sera le mojo du groupe ou juste vous en avez rien à foutre et vous avancerez comme bon vous semble ?

R : Je serais tenté de dire les deux. On avance comme bon nous semble en « prenant des risques » mais on essaye d’abord et surtout de soigner notre démarche en se faisant plaisir. Il a très vite été question de sortir notre musique en physique, pour moi c’est presque une obligation éthique et morale. Je hais la notion de musique dématérialisée, ça me rend réellement triste et de mauvais poil quand je vois du « full digital ». Pour moi l’oeuvre musicale n’existe pas vraiment tant qu’elle n’est pas gravée sur un support (et quel que soit le support).

Dématérialiser la musique c’est dématérialiser l’émotion, la beauté et sa pérennité, quelque part, en plus de tuer la culture de « l’album » en tant qu’oeuvre au profit d’un culte de la playlist, du streaming, du « morcelé ». C’est pas une question de mode, de fétichisme passéiste ou de nostalgie hipster à la con ou je sais pas quoi. Ceux qui tiennent ce discours me dépriment. On fait juste partie de ceux qui veulent tenir l’objet dans nos mains parce que ça a 20 fois plus de sens qu’un fichier iTunes. Donc on a cassé notre tirelire et on a pressé 100 exemplaires en édition ultra limitée qu’on a essayé de soigner au maximum.

M : Le moteur de ce groupe, tout comme celui de la création en général à mon avis, c’est justement la prise de risque et cette espèce « d’égocentrisme », faire les choses comme tu l’entends, sans parasite. De manière générale, je trouverai toujours plus intéressant un artiste qui parle de lui et qui impose son œuvre plutôt qu’un autre qui ferait dans les règles. En tant que créateur, tu t’adonnes complètement à ce que tu fais, tu suis le cheminement de tes idées et leurs donnes vie : tu peux pas être dans la demi-mesure.

Pour ce qui est de la sortie vinyle, elle était déjà fixée avant le confinement, on savait que ce serait pour fin avril/début mai parce qu’on ne voulait surtout pas perdre de vitesse dans le quotidien du groupe. On a sorti le digital, il a fallu faire un clip tout de suite après et lancer le pressage, les délais de livraison étant plutôt longs, etc, fallait que ça enchaîne. Finalement on est bien content de pouvoir proposer tout ce contenu dans un contexte si peu propice à l’actualité de la scène indépendante.

 


On voit bien que le support graphique est recherché, que ce soit sur votre tout nouveau clip en ligne ou bien le choix de proposer des photographies stylisées sur les premières copies collector du vinyle. Quelle place prend le visuel dans l’expérience du groupe ?

R : On vit une époque qui se désintéresse de l’objet, de la matière, de ce qui fait la texture et donc l’âme, la mythologie. Et ce désintérêt croissant se ressent fortement dans notre rapport à l’image : tout est factice, sur-lisse, numérique et bien souvent fade. En tant que cinéaste qui défend le cinéma comme un objet d’art relié autant au fond qu’à la forme, ce qui me semble pourtant être rudimentaire, tu penses bien que ça m’attriste beaucoup.

Qui plus est, la musique Rock (et ses dérivés underground) me passionne aussi pour la place qu’elle accorde à « la gueule », au sens esthétique, comportemental et même philosophique du terme. La musique c’est un package : un album est indissociable de sa cover, l’oeuvre prend du sens par le biais du support choisi, le son est indissociable du dispositif avec lequel tu l’écoutes, etc… Et le Rock exacerbe ce rapport-là. Ça a donc été un régal de penser et créer la « chaîne d’éléments » nous-mêmes de A à Z, dans les moindres détails : cover, retouches, clip, vinyles, et même l’enregistrement et le mixage qui ont été réalisés par mon frère qui n’avait encore jamais touché à ça, du haut de ses 19 ans. Je crois profondément que le Punk est une démarche qui se doit d’être DIY, de l’idée de base au fond de ton crâne jusqu’aux entrailles du produit fini.

M : On n’envisage pas la musique sans son expression visuelle et bien souvent l’une découle de l’autre, une idée graphique peut tout aussi bien orienter la composition musicale. Il s’agit d’un univers tout entier et qui se doit d’être cohérent, qui fait appel à tous les sens et c’est en cela que j’aime rapprocher « l’objet » Vautours à l’objet cinématographique. C’est un travail d’auteur en somme.

 

 

Rémy, est-ce lié avec tes activités annexes notamment de réalisation cinématographique ? Est-ce que tu peux nous en dire plus à ce sujet ?

R : Créer de l’image artistique c’est mon boulot alors il était hors de question que je ne dirige pas l’orientation esthétique du clip ! (rires) On l’a fait avec Joseph Bouquin, l’éternel collègue de mon collectif « Les Films de la Mouche ». On s’est éclaté, parce que le clip est ultra DIY mais on a tout mis en oeuvre pour le lécher au maximum, tout faire nous même de A à Z avec 200 euros, et surtout, lui donner du sens : lui faire raconter quelque chose dans une logique de cinéma, pas juste de belles images vides. Joseph a notamment fait un boulot formidable de post-production.

Dans un moment où tu te dis « putain il nous faut un clip ! » c’est formidable parce que mon côté double casquette de chanteur / réalisateur me permet d’imaginer très clairement et de construire, sans intermédiaire, un pont entre mes fantasmes d’esthétique musicale et mon expérience de jeune cinéaste. C’est un privilège et un panard monstre.

Peut-on s’attendre à un lien encore plus fort entre la musique de Vautours ou même son parcours musical et le 7ème Art ?

R : C’est amusant que tu poses la question. Parce que je suis justement en train d’écrire en ce moment mon premier long métrage très en lien avec mon point de vue en tant que chanteur dans un groupe, très frontalement. Je ne peux pas trop en dire plus mais c’est une espèce d’extension de l’univers du court métrage que tu connais déjà mais beaucoup plus poussée dans l’imagerie musicale, aussi bien narrativement qu’esthétiquement. C’est d’ailleurs cette idée de film qui m’a en partie poussé à créer Vautours.

Et c’est justement ce qui me plaît : je vois ces deux pratiques artistiques comme deux vases communicants qui ne cessent de se répondre et de s’influencer. C’est un vrai bonheur puisque ça me permet d’avoir le choix de me tourner vers l’un ou l’autre en fonction de ce que je veux dire et de comment je veux le dire, et les deux se nourrissent mutuellement.

Donc oui, il y a déjà un lien très fort entre ce parcours musical et mon parcours dans le 7ème Art, et j’espère l’explorer de manière originale, puisque tout reste à faire dans le point de jonction entre Metal et Horreur, encore bien trop souvent traité de manière parodique, excessive ou comique. Et puis qui sait, peut-être qu’il y aura du Vautours dans la B-O … ?

 


Quels vont être les prochains steps à atteindre pour le groupe ? Vous aspirez à quoi ? Comment vous voyez le futur ?

M : On ne projette pas trop loin, on est vraiment un groupe de l’instant. Pour le moment, l’objectif à court terme sera d’enchaîner les concerts après le confinement, poursuivre l’écriture du prochain EP, et partir en tournée avant la fin d’année. On espère taper dans l’œil d’un label, trouver un booker, classic’ shit… Sinon… Je dirais qu’à long terme on aspire à devenir le meilleur groupe du monde, ouais.

Quelle est votre position par rapport à la scène française ?

M : Je pense qu’on s’inscrit dans la grande tradition des groupes Punk et DIY, qui est une scène sans frontières… Mais personnellement je suis content d’en être un représentant français, tout comme je pense le sont tous nos groupes nationaux. On est plutôt bienveillants les uns envers les autres et contents d’exister tous ensemble. On EST la scène Française quoi, et j’en suis putain de fier !

R : Je n’ai pas de réelle opinion à ce sujet. Si ce n’est que le Metal / Hardcore français m’a beaucoup forgé quand j’avais 15 ans. Mais c’est vers mes 20 ans que je suis vraiment devenu admiratif de « l’époque Kickback ». Je ne suis pas nostalgique pour un sou mais j’ai un infini respect pour l’intégrité artistique, extrême, et la cohérence de l’attitude négative des mecs en adéquation parfaite avec la dangerosité très borderline de leur musique et la philosophie qui l’accompagne. J’aime beaucoup ça, et j’aurai tendance à déplorer un petit peu le fait de ne pas avoir encore croisé aujourd’hui les dignes successeurs de cette mentalité-là, qui voit le Hardcore comme quelque chose qui doit « coûter » à celui qui le fait comme à celui qui le reçoit.

 


 

Que voudriez-vous dire aux lecteurs de Horns Up que vous n'ayez pas pu dire avant ? Un pti mot pour la fin ?

R & M : Nous faisons une musique de live… Donc venez à nos concerts, on se mettra des pruneaux et après on se fera des câlins dans la fosse. Sinon, de manière générale, ne cessez jamais d’écouter, de regarder, d’apprendre. La culture en a bien besoin, putain… Battez-vous, ressentez, vivez.

Ah oui et lisez Horns Up, parce qu’ils posent de bonnes questions, ces cons.

 

 

Merci beaucoup à Mathieu et Rémy pour la justesse et la profondeur de leurs propos. Pour en savoir plus sur Vautours, vous pouvez écouter l'EP sur le bandcamp et bien entendu les suivre sur facebook.