Avocat le jour, rédacteur sur Horns Up la nuit et photographe à mes heures perdues.
J’entends déjà le doux son des notifications de commentaires de trolls venant torpiller un groupe qui a probablement un peu trop fait parler de lui ces derniers mois. Rendez-vous compte, un groupe qui met des années à faire des albums et qui réclame de l’argent auprès de ses fans pour pouvoir se payer son propre studio afin d’enregistrer son album de A à Z comme bon lui semble ! Quelle hérésie ! Quel manque de respect ! Dans un milieu où gagner de l’argent fait de vous un vendu et où le crowdfunding est souvent apprécié comme un crachat au visage des petits groupes qui galèrent pour survivre (ce qui est du reste d’une hypocrisie sans nom), Wintersun a fait fort en 2017.
Pour replacer ce nouvel album dans son contexte, le groupe a sorti dans la précipitation un album intitulé Time I en octobre 2012 chez Nuclear Blast, huit longues années après la sortie de son album éponyme qui avait cassé la baraque. Cet album, d’une durée d'environ 39 minutes et composé de seulement 5 titres, n’est en réalité que la première partie de l’album Time qui devait sortir d’un seul tenant, avant que Nuclear Blast ne fasse vraisemblablement pression sur le groupe qui tardait à en venir à bout, au nom du retour sur investissement. Bien qu’étant d’une qualité indéniable, cet album a laissé un goût d’inachevé dans la bouche de beaucoup de fans et de curieux, conscients d’être face à un semi album sorti un peu à la va-vite. Et, de fait, cet album n’a ravi ni la maison de disque, ni le groupe, ni comblé les fans qui attendaient un album complet et ce alors même que les titres qui le composent sont globalement de très bonne facture.
Et le mélodrame ne s’arrête pas là : après de longs mois de négociations avec Nuclear Blast et des posts de Jari Maenpaa sur les réseaux sociaux confinant parfois au ridicule dans l’étalage d’états d’âme, les parties parviennent à un deal : le groupe sortira bien Time II sous le pavillon Nuclear Blast mais puisque le groupe a désespérément besoin de plus d’argent que ce que la maison de disques ne leur a offert, ils vont lancer un crowdfunding en parallèle de la sortie d’un nouvel album intitulé The Forest Seasons. De quoi récolter de l’argent avec la sortie d’un nouvel album et une nouvelle tournée, le tout dans l’optique de sortir Time II avant que les fans du groupe ne soient six pieds sous terre.
Et là, le choc ! Plus de 450.000 euros récoltés contre des packs à 50 euros comprenant, pour faire simple, l’intégralité des albums du groupe en ultra haute qualité et divers goodies mais rien de physique (dont la version digitale de la pochette de l'album, aux éléments tous droits sortis d'un Simon The Sorcerer !). Et là vous comprenez où le bât blesse. On a beau être fan du groupe, une telle pilule est un peu difficile à avaler. Mais, au fond, on sait que cet argent pourra possiblement nous offrir de beaux albums par la suite ce qui, pour les amoureux du groupe, n’a pas de prix. On ne met pas de prix sur une émotion !
Mais venons-en désormais à l'essentiel, à savoir la musique de cet album qui, comme vous pouvez l’imaginez, reprend l’idée d’un titre par saison comme l’avait fait Vivaldi en son temps. Autant le dire dès à présent, mon sentiment est mitigé sur cet album, même si j’ai pris le soin d’attendre plusieurs semaines avant de rédiger ces lignes, pour me forger une opinion claire à tête reposée.
Loin des standards du death metal mélodique qui mettent en avant des titres courts, efficaces, bourrés de mélodies et de soli en tout genre, Wintersun a amorcé un virage (que l’on pressentait déjà du reste sur Time I) vers un death mélodique plus progressif avec des titres particulièrement longs, structurés de manière savante et complexe, sans toutefois perdre ce qui fait l’essence du groupe : l’émotion qu’il véhicule. Et, de fait, cet album est dans la stricte lignée du précédent avec des titres intenses, notamment grace aux passages en voix claire de Jari qui donnent une saveur toute particulière aux compositions. Je pense notamment à Loneliness qui est la plus réussie de l’album dans ce registre un peu plus pathétique. Après une longue introduction progressive, ce titre s'avère être le plus riche et le plus intense avec une émotion palpable dans la voix de Jari et un break à la guitare vraiment plaisant. A vrai dire, il y aurait eu quatre titres du niveau de Loneliness, je n'aurais pas hésité à mettre 9 ou 10.
On retrouve d'ailleurs cette alternance voix criée / growls / voix claire, portée par des riffs de guitare plus ambiants que par le passé, tout au long de l'album. Les titres sont parfois agrémentés de choeurs vraiment réussis (comme sur Awaken From The Dark Slumber) qui viennent apporter une pierre supplémentaire à l'édifice. De quoi créer une émotion toute particulière. A cet égard, l’album est une réussite en ce qu’il permet pleinement de se plonger, pour chaque titre, dans la saison correspondante. On retrouve ainsi la froideur de l'hiver (Loneliness va vous plonger dans des abimes de froid et de tristesse), l'allégresse de l'été (ce riff principal galopant est très bon), la mélancolie de l'automne et les tonalités joviales du printemps.
Malheureusement, le tableau ainsi dressé présente quelques faiblesses étonnantes. Déjà, force est de constater que le son des instruments n’est pas des plus réussis. La batterie de Kai paraît parfois très artificielle (ce blast sur Eternal Darkness, pourtant bien pensé, est atroce), la basse est inaudible et les guitares sont sous-mixées par moments. Ce qui donne parfois l’impression d’écouter un album sorti tout droit d’un logiciel de création musicale. Pire encore, si l’album est indéniablement épique avec ces titres de quinze minutes aux rythmiques et attaques multiples, il donne parfois cette fâcheuse impression d’être forcé. Jari, pourtant incontestablement talentueux, paraît avoir tout fait pour créer l’album le plus épique qui soit en multipliant tous les effets possibles, les changements de rythme, les structures, pour obtenir un résultat qui n’est pas toujours très fluide (Eternal Darkness notamment). Aussi, alors même que le groupe s’était fait une réputation en multipliant les leads de guitare inspirés, cet album manque de parties mémorables à la guitare, même si le tout demeure bien au dessus de la moyenne. L'ajout d'un guitariste au groupe n'a vraisemblablement pas eu l'effet escompté, et on attendra toujours le digne successeur des Winter Madness ou autres Death and the Healing.
Au final, l’album alterne l’excellent (« Awaken From The Dark Slumber »), le génialissime (« Loneliness ») et le moins inspiré, parfois même au sens même d’un titre (Eternal Darkness en est la plus flagrante illustration avec un début poussif et une fin bien meilleure). Et l’on est frustré de voir tous ces ingrédients excellents être sacrifiés pour des raisons qui nous échappent un peu. Car, compte tenu du contexte, on finit par se demander l’inévitable : The Forest Seasons n’est-il pas tout simplement un album d’attente, histoire de renflouer les caisses, en attendant que le groupe puisse reprendre son chemin avec Time II ? Les détracteurs du groupe diront que oui, les die-hard fans de la première heure dont je fais partie auront tendance à dire que non (de manière plus ou moins objective). Mais il est en tout cas impossible de ne pas se poser la question compte tenu de tout ce qui a entouré la sortie de cet album.
La lecture des différents commentaires sur cet album sur internet nous amène également à nous poser une seconde question : notre façon d’appréhender et d’apprécier cet album n'est-elle pas complétement faussée par le rejet ou l’admiration que l’on peut avoir pour Jari ? Même moi, fan de la première heure, j’ai pesté plus d’une fois en voyant les publications Facebook « putaclik » de Jari qui ne pouvait pas s’empêcher de faire monter la sauce sans même se rendre compte du ridicule de la situation. Je n’ose donc pas imaginer l’impact qu’une telle attitude a pu avoir sur les curieux et, partant, des a priori créés sur l’album à venir.
Au final, compte tenu de l’attente et de tout le tapage, c’est nécessairement un peu déçu que l’on termine l’écoute de cet album, en se disant qu’il s’agit là d’un bon album, mais pas nécessairement au niveau de ce qu'est capable de produire le groupe. L’on pouvait vraisemblablement s’attendre à de l’extraordinaire de la première à la dernière minute, ce qui n'est pas le cas. Reste que ce The Forest Seasons est d'une richesse impressionnante et mérite amplement sa note au regard des compositions et des émotions qu'il véhicule.
Tracklist :
1. Awaken from the Dark Slumber (Spring)
2. The Forest That Weeps (Summer)
3. Eternal Darkness (Autumn)
4. Loneliness (Winter)