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Uncut Gems #1 - Metalcore mélodique, dungeon synth nordique, et autres EPs oubliés

lundi 20 janvier 2025
Hugo

Les blogs et médias ont perdu leur rôle de prescripteur, du moins en partie, et c’est rarement comme ça que je découvre de la musique aujourd’hui. Surtout quand il s’agit de vieux disques, démos distribuées en circuit court, qui ressurgissent (ou pas) par des canaux alternatifs et grâce au travail d’archiviste opéré par quelques individus anonymes. On se retrouve alors à scroller Youtube, et partager des souvenirs dans les commentaires, auprès de quelques autres qui redécouvrent avec surprise ces groupes oubliés refaisant surface du jour au lendemain par les algorithmes.

Il y a une certaine magie à ça, mais je suis assez frustré que tout se perde dans nos timelines de réseaux sociaux, ou dans d’obscures listes sur rateyourmusic. Alors pourquoi ne pas en parler ici, avec vous, et partager mes quelques bonnes (re)découvertes du moment ? On vous présente beaucoup de nouveautés sur ce site, et finalement assez peu de disques du passé, qui sont pourtant si nombreux et ne demandent qu’à être écoutés. 

Fatalement, c’est un peu fouillis, et ces disques sont majoritairement autoproduits. Mes goûts allant surtout vers les musiques émotives, bruyantes, ou plus ambiantes, c’est dans cette direction que les listes s’orienteront en grande partie. Je n’ai pas la prétention d’être exhaustif ou de proposer des textes encyclopédiques, mais plutôt de donner mon ressenti, ainsi que quelques clés d’écoutes via les informations que j’ai pu récolter. Un autre aspect unit également ces objets sonores : l’impression qu’ils mériteraient que l’on en parle davantage.

Neverending | Lunar Womb | Passive | Essoupi | Broken By Silence

Neverending – Demo 1997
Emo/Metalcore mélodique – Suède

Pour commencer, je vais évoquer l’un des groupes qui m’a motivé à écrire cette rubrique. Neverending, comme pas mal d’autres entités présentes dans cet article, a eu une seconde vie grâce à internet. Et quelle surprise, franchement, à l’écoute de cette démo de 1997 qui aurait très bien pu sortir dix ans après. Tout est là, mettez-y une prod plus moderne et on obtient quelque chose qui se situerait entre la scène metalcore mélodique début 2000 et des groupes popisants à la Underoath.

Il y a quelque chose d’obsédant dans cette démo, au-delà de l'évidence troublante que Neverending pourrait être un groupe à la mode s’il était apparu aujourd’hui. Tout cela, c’est grâce à l’omniprésence de cette guitar lead, suraiguë, perçante, qui reste en tête pendant des jours (« I Coagulate »). C’est aussi cette voix qui paraît très juvénile quand elle est claire, avec des paroles à fleur de peau et ultra audibles, qui ramène directement à nos groupes emo préférés des années 2000. Et ces passages frontaux, sans aucun doute, intenses et déchirants. Le final sur « Killing Routine » fourmille de détails, avec ces instrumentations subtiles derrière les couches de sons. Difficile de ne pas y revenir encore et encore.

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Lunar Womb – The Sleeping Green
Dungeon synth/Ambient folk – Finlande

Je n’arrive pas bien à mesurer la popularité de Lunar Womb, avec cette étrange impression que le projet a échappé à l’attention de beaucoup. Il s’agit en fait de l’une des premières réalisations d’Henri Sorvali (le compositeur des BO d’Angry Birds, accessoirement tête pensante de Moonsorrow et membre éminent de Finntroll), qui est à mon sens l’un des seuls musiciens capables de faire du pagan black sans être ringard. Pour aller plus loin : je suis un grand fan de Moonsorrow et du gars, et la découverte de cette démo exhumée il y a quelques années a été un mini choc pour moi. Enregistrée en 1999, elle n’est sortie qu’en 2016, via Bandcamp et Tour De Garde pour les tapes.

Tout est superbe, et sonne comme une synthèse des moments instrumentaux les plus grandioses de Moonsorrow. Il n’y a aucun élément metal, mais une base ambiante à laquelle s’ajoutent de nombreux claviers, cordes, quelques percussions discrètes, avec une classe sans pareil. Aussi, The Sleeping Green existe désormais pour lui-même, et pas seulement pour mettre de la lumière sur une carrière individuelle. C’est très naïf, mais jamais kitsch ou dépassé, et le disque forme un tout cohérent et lumineux, qui semble nous raconter une histoire. La pochette comme l’ensemble des cinq titres, généralement longs et avec de nombreuses variations, convoquent des visions de lieux enchantés qui n’existent que dans nos rêves. La forêt de Chrono Trigger en pleine Finlande, finalement.

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Passive – NO. 2
Post-punk/Noise rock – Canada

Il y a des groupes dont on oublie l’histoire. Dont on oublie jusqu’au moment de leur découverte, et par quel biais. Et qui nous hantent pourtant, des années durant, qu’on redécouvre avec plaisir en scrutant sa collection Bandcamp. Passive fait partie de ceux-là, pour moi, et à chaque fois, je suis surpris de retrouver ce duo post-punk de Vancouver, avec ses quelques centaines d’auditeurs, dans ma playlist. Le groupe a une discographie plutôt dense, quand même, avec deux albums et un EP (« NØ. 2 ») d’une qualité assez remarquable. Au milieu des années 2010, à l’époque où les nouveaux groupes de post-punk semblaient pousser à chaque coin de rue, Passive se démarquait avec un son empruntant parfois au noise rock, fuzzy et singulier, que j’ai du mal à retrouver ailleurs.

Durant mes années lycée, je pense avoir écouté « The Mind Is Not A Temple » une bonne cinquantaine de fois sur le chemin des cours. Et quel morceau, franchement, avec ce chant solennel et incarné, ces mélodies vocales qu’on jurerait avoir entendues ailleurs et qui font l’apanage des grands morceaux. Le reste de l’EP est tout aussi bon, avec un deuxième titre qui sonne comme un Beastmilk sous stéroïdes, jusqu’au riff final de « Not Pray », qui n’aurait pas dépareillé en clôture d’un excellent disque de black metal capuché. Passive, qui semble aujourd’hui inactif, aurait sûrement mérité une autre carrière et reconnaissance. Mais bon, peut-être qu’il n’est pas très important de savoir d’où ces types viennent, et comment ils ont fini dans mes écouteurs. L’essentiel, comme avec des vieux potes, c’est sûrement de les retrouver.

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Essoupi – Aktiv dødshjælp
Dungeon synth/Black ambient – Danemark

La scène dungeon synth est structurée aujourd’hui, possède ses propres codes, ses propres sous-genres, mais est selon moi saturée de sorties assez oubliables dans leur majorité. Tout semblait plus baroque dans les années 1990, déjà parce qu’on ne parlait pas de dungeon synth (Mortiis avait bien son label Dark Dungeon Music cependant), et que chaque artiste ramenait des influences différentes. L’Anglais Jim Kirkwood puisait dans ses influences Berlin School pour ses disques, tandis que d’autres albums, de The Sleeping Green à Hliðskjálf, semblaient plutôt emprunter aux musiques new age et aux bandes originales de RPG.

L’unique démo d’Essoupi, projet danois éphémère de 1999, se situe finalement au carrefour de ces différentes influences. Aktiv dødshjælp est construit autour de deux longues pistes, en ouverture et fermeture, qui comptent parmi les plus belles choses que j’ai entendues dans le style. Difficile de résister à ces boucles de clavier, belles et majestueuses, qui trouveraient toute leur place sur un album de Summoning. Elles viennent transpercer plusieurs couches d’une musique ambiante assez lo-fi, et de chant saturé occasionnel (s’agirait-il de ce genre assez flou qu’est le black ambient ?), comme une brise légère dans la nuit. À ce sujet, la démo aurait été enregistrée par le duo après plusieurs nuits blanches, une fois qu’un genre d’état second aurait été atteint. L’un des membres commente d’ailleurs régulièrement les uploads YouTube de la démo, visiblement surpris de voir que celle-ci a désormais acquis une existence propre.

Rien de virtuose, mais des mélodies touchantes, comme seuls les musiciens de black metal savent les créer.

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Broken By Silence – Demo 2003
Metalcore mélodique/Post-hardcore – USA

Broken By Silence était un groupe floridien, et dont la seule démo, autoproduite, semble être apparue comme par magie sur YouTube il y a deux ans à peine. Il est quasi impossible d’en trouver des traces avant cette date, probablement comme pour d’autres groupes de ce style, qui foisonnaient dans les scènes régionales américaines. Difficile de ne pas avoir le vertige, quand on pense à tous ces groupes, peut-être cultes à l’échelle d’une ville ou d’un Etat, qui pourtant n’en sortiront peut-être jamais. 

Musicalement, on est une fois de plus sur un metalcore mélodique assez rentre-dedans, qui rappelle pas mal les groupes de Trustkill Records à la Poison the Well, mélangé à quelques passages spoken word dans la plus pure tradition emo/post-hardcore des années 2000. Et une fois de plus, y’en a pour tout le monde, que ça soit les passages en clean de « Weighted Wings and Shattered Memories » qui pourraient se retrouver sur un disque de La Dispute, ou ces riffs heavy (l’ouverture de « Scars Like Reminders » !!) avec plus d’idées en 30 secondes que dans certains albums entiers de metalcore mainstream de l’époque.

Dans les commentaires, plusieurs personnes rendent hommage à Ben, frontman du groupe, visiblement décédé en 2010. Ça m'a fait drôle de lire ça.

 

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J'espère que cette sélection vous a plu. On se retrouve bientôt, ou pas, mais on se retrouve. En attendant, vous pouvez me suivre ponctuellement sur Horns Up, sur l'émission Horns Up, et via mes réseaux (@chevaldeglace).