L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
J'ai une énorme affection pour Myrath. Le groupe tunisien a suivi une trajectoire qui balaie en réalité absolument tout ce que j'aime dans le genre : des débuts très influencés par le power progressif d'un Symphony X, un troisième album (Tales of the Sand) à la personnalité plus marquée et aux influences orientales plus affirmées, puis cette modernisation et même cet aspect beaucoup plus pop, « mainstream » sur Legacy. Si le qualificatif de « metal oriental » a vite tendance à rameuter tous les clichés possibles, Myrath y reste fidèle depuis le début de sa carrière avec un mélange de modernité et de bon goût, en étant même assez seul dans son créneau puisque c'est plus souvent depuis les horizons folk et black/death que nous viennent des orchestrations arabisantes.
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Reste que Shehili, dernier opus en date et qui commençait à dater, m'avait laissé un peu froid, au-delà de ses quelques tubes comme les inévitables « Dance » et « You've Lost Yourself ». Mais entendre dans diverses interviews les membres du groupe expliquer que Karma était en quelque sorte un « album COVID », écrit durant la pandémie alors que tous les membres du groupe étaient « coincés » ensemble et que le monde était au ralenti, m'a... rassuré : un jour peut-être, je sortirai un dossier sur le sujet de tous ces groupes ayant sorti un chef-d'oeuvre après avoir dû se recentrer sur eux-mêmes durant le lockdown, et il y aura de la matière.
Alors, chef-d'oeuvre, Karma ? Peut-être pas dans l'absolu, mais à l'échelle de la carrière de Myrath, on tient peut-être bien là un magnum opus. « To the Stars » revient presque à l'ère power du groupe, seule une discrète orchestration orientale apparaissant en arrière-plan sur le refrain de ce titre très péchu ; Kevin Codfert, producteur devenu claviériste à temps plein, se lâche sur un solo bien senti. « Into the Light » revient aux orchestrations massives de Legacy, mais presque comme le ferait un Kamelot ou un Serenity, de manière presque plus purement symphonique qu'orientale. Reste cette voix de Zaher Zorgati, impérial comme à son habitude (ses progrès depuis Desert Call sont impressionnants) et qui amène cette « vibe » arabisante sans même devoir forcer. Ceux qui espéraient, cependant, un album de Myrath plus proche de ses racines en seront pour leurs frais. À la fois s'ils voulaient du power-prog et s'ils voulaient du metal « oriental ». En proposant une synthèse de toute son oeuvre, Myrath ose également s'en détacher : « Heroes », premier single plutôt accrocheur, ne comporte aucune orchestration. Le départ d'Elyes Bouchoucha, traditionnellement en charge des parties les plus arabisantes de la musique du groupe, n'y est certainement pas étranger mais on sent aussi et surtout une volonté de ne pas s'enfermer dans un carcan.
L'un des meilleurs exemples est peut-être le très groovy « Candles Cry », où Codfert donne de la voix sur le refrain, et où la basse d'Anis Jouini est très mise en avant. Le résultat ne me convainc pas entièrement – notamment sur un final un peu bordélique – mais a le mérite de marquer les esprits et de tenter. Là où Myrath est le plus fort, et retrouve totalement de sa superbe sur ce Karma, c'est dans sa science des refrains. « Wheel of Time » et sa drôle d'ambiance, là aussi portée par la basse de Jouini, culmine en un refrain libérateur - « I spread my wings and fly up high... » - et un solo quasi-floydien. L'émotion, aussi, est omniprésente sur ce Karma aux allures de thérapie pour Zorgati. On se rappelle de la sombre « I Want to Die » sur Legacy : elle trouve son pendant sur « Words are Failing », au refrain obsédant et aux splendides orchestrations arabisantes... traversé par un surprenant pont quasi-djent. Plus que jamais, et c'est déjà quelque chose que Codfert aimait faire avec Adagio, Myrath brouille les pistes par-ci par-là.
L'ultime comparaison, et elle signifie beaucoup venant de moi, se fait peut-être avec un certain Circus Maximus. Elle est évidente sur l'incroyable refrain de « Child of Fire », qu'on pourrait croire tiré d'un Nine qui faisait tout de même partie de nos albums de prog de la décennie 2010 – il y a pire, comme évocation. Comme les Norvégiens, Myrath a mis de la pop dans son prog', ou remis du prog' dans sa pop, tout en assaisonnant le tout de bien assez de son identité maghrébine pour rester pertinent et personnel. Et ce qui ne gâche rien, les Tunisiens ont encore une fois compris l'importance de finir l'album sur un morceau complètement classieux (ce « Carry On » porté par un Zaher au sommet de son art), qui ne donne qu'une envie : recommencer l'écoute. Après « No Turning Back » sur Tales of the Sands, « Shockwave » sur Desert Call ou encore « Storm of Lies » sur Legacy, c'est une belle habitude, dont on sous-estime trop souvent l'impact sur l'auditeur.
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Karma est donc plus qu'une synthèse de la carrière de Myrath : il est, dans ses pics créatifs et émotionnels (« Words are Failing », « Into the Light », « Carry On »...), supérieur à tout ce que le groupe a pu proposer par le passé. Les amoureux des atmosphères orientales reviendront vers Tales of the Sands, devenu culte (et également dans nos essentiels du prog' des années 2010, tiens donc...). Mais après un Shehili qui ne m'a pas parlé, je retrouve pour ma part le groupe qui m'avait fait frissonner sur Legacy.
Tracklist :
1. To the Stars
2. Into the Light
3. Candles Cry
4. Let it Go
5. Words Are Failing
6. Wheel of Time
7. Temple Walls
8. Child of Prophecy
9. The Empire
10. Heroes
11. Carry On