Get Loud! Tour 2022 : Agnostic Front + Charger + Spirit World + Last Hope
Magasin 4 - Bruxelles
Punkach' renégat hellénophile.
On pourra me dire monomaniaque, mais l'affiche de la soirée reflète exactement pourquoi je considère des salles comme le Magasin 4 comme des lieux d'utilité sociale : voici des vétérans du punk hardcore qui se produisent pour une vingtaine de balles, et qui nous ramènent en prime un plateau qui n'a rien d'anecdotique. La Belgique ne manque pourtant pas de lieux de concerts plus spacieux ou plus prestigieux pour accueillir un Agnostic Front bien assez gros pour être filmé en direct au Hellfest par l'équipe d'Arte, mais voila : le groupe VEUT spécifiquement venir ici, car il connaît la salle, son public, et quelques personnalités locales qui finiront la soirée dans le tour bus. Une véritable ambiance de retrouvailles qui vaut bien toutes les loges chauffées et tous les sanitaires fonctionnels du monde.
Last Hope
Venus de Bulgarie, les gars de Last Hope pratiquent un hardcore assez classique tant sur le fond que sur la forme. Le public est encore clairsemé, mais quelques sportifs s'échauffent déjà pour le travail d'endurance à venir, encore que ça soit quand même plus par politesse quand le chanteur demande un peu de mouvement que de manière spontanée. Il faut dire aussi que la communication n'est pas simple, entre le fort accent du chanteur quand il s'exprime entre les morceaux et le micro réglé à la va-vite. Mais Last Hope saura chauffer son auditoire, en particulier avec un vieux morceau sonnant bien plus street punk au refrain – THERE'S NO JUSTICE THERE'S NO PEACE / THERE'S NO FREEDOM FUCK POLICE – difficile à ne pas reprendre en chœur. Un morceau d'ailleurs enregistré en 1990 (!) soit à une époque où ce genre de message, dans un pays très fraîchement revenu du communisme, devait encore constituer une fameuse profession de foi.
Spirit World
Changement de registre et de continent avec Spirit World, groupe venu de la fameuse cité pré-post-apo' de Las Vegas, et qui d'ailleurs colle assez bien au thème avec son thrash/crossover au goût de western horrifique (le second album du projet, qui sortira en novembre, s'appelle d'ailleurs Deathwestern). Les cow-boys des enfers débarquent avec des tenues aussi raffinées que remarquables, chapeaux Stetson et vestes à paillettes, mention spéciale au chanteur en jaquette rouge flamboyante et faux airs de Timothée Chalamet qui se serait fait pousser le bouc. Avec un nouvel album sur le point de paraître, difficile pour moi de reconnaître tous les morceaux, mais on peut signaler le peu subtil mais ultra efficace « The Bringer Of Light » avec son break en descente de mauvais moonshine, ou le bourrinissime « Ritual Human Sacrifice », tous deux issus de l'album précédent Pagan Rhythms , sorti... L'année passée. Coté fosse aux bestiaux, entre deux centrifugeuses généralisées, on y invente un nouveau jeu qui combine wall of death et ping pong (un gars à la fois se jette contre l'autre camp, en alternance. Si ça les amuse, je ne juge pas !). C'est taré mais c'est carré, et si Spirit World n'est ni le premier ni le dernier groupe à jouer le combo western et magie noire, il se hisse sans grandes difficultés parmi les plus efficaces et les plus légitimes à ce petit-jeu-là. So long, partners.
Charger
La soirée s’enchaîne vite, à tel point qu'une fin à l'heure prévue semble même crédible. J'attends d'ailleurs beaucoup du prochain groupe Charger, qui réunit à la basse Matt Freeman de Rancid et Jason Willer de Jello Biafra and the Guantanamo School of Medicine (oui, le Jello des Dead Kennedys) et musicien live de UK Subs. Andrew McGee complète le trio à la guitare. Quasiment un supergroupe donc, pour lequel je n'aurais pas craché sur un peu plus de contact avec le public histoire d'au moins expliciter la démarche. Mais bon, Charger passe directement la troisième pour se lancer dans un punk rock à l'ancienne aux accents groovy qui n'est pas dénué d'un petit côté Motörhead, ou même Black Sabbath sur un morceau comme « Damage ». Bref, les vétérans s'amusent, plutôt mid tempo par rapport au reste de la soirée, ce qui permet de souffler un peu, mais j'aurais quand même apprécié qu'ils nous présentent au moins quelques morceaux afin d'avoir une idée de ce sur quoi on s'agite – en travaillant sur l'endurance, car la dernière ligne droite ne sera pas du genre promenade de santé.
Agnostic Front
Contrairement à ce que j'imaginais avec une affiche pareille la soirée n'est pas sold out, mais la foule commence à se faire aussi dense qu'hétéroclite, avec quatre ou cinq générations de punks, les derniers skins de Bruxelles et autres espèces en voie de disparition, des coreux devenus plus bedonnants que SxE, et une pyramide des âges à peu près complète. Et tout ce beau monde est globalement là pour une unique raison : la grosse bagarre sur Agnostic Front. Alors forcément, dès que le gang de New York débarque sur scène, c'est la guerre, d'autant qu'ils joueront finalement peu de morceaux de leur dernier album Get Loud! pour privilégier la très longue liste d'hymnes qu'ils peuvent aligner. « For My Family », « Get Crucified », « Friend or Foe »,... L'ordre importe peu, l'effet est toujours le même : la salle se transforme en une immense masse d'électrons excités qui se percutent à qui mieux mieux, avec à intervalles réguliers un circle pit au premier geste esquissé en ce sens de la part de Roger Miret – toujours dans le sens anti-horaire en fait, ici comme ailleurs, je n'ai aucune idée du pourquoi. On ne va pas se mentir, le son pourrait être un brin meilleur, mais honnêtement tout le monde s'en fiche : on est tous là pour gueuler des refrains et pour le sport, certes physique mais ouvert à tous et très cordial, des petits gabarits au tondu sec comme l'inflation qui mouline depuis déjà trois heures avec un protège-dents. Allez, un bémol, quand même : Vinnie Stigma qui prend un micro et chante, ultra faux et sans accompagnement, le début d'un morceau, ou alors qui scande quelque chose qui lui semblait important, on ne sait pas trop et de toute façon on s'était bouché les oreilles. Viendra évidemment un « Gotta Go » qu'on attendait tous et que toutes les voix ont repris, quand bien même les micros ne rendaient que le refrain véritablement reconnaissable. Les vieux durs à cuire de la Pomme s'amusent autant que nous et voient d'un bon œil l'invasion de la scène, jusqu'à un final sur - évidemment - « Blitzkrieg Bop », absolument régressif et donc ô combien indispensable.
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Que dire de plus de cette soirée ? Que le punk à l'ancienne fait encore du bien par où il passe. J'avais un peu oublié ces soirées physiques mais jamais brutales à reprendre des hymnes du XXe siècle qui sonnent encore juste aujourd'hui, et où personne n'est là pour rester les bras croisés dans ses idées noires. De la bienveillance à l'état pur tout au long d'une soirée pas bien subtile mais ô combien touchante ; c'est ça l'atmosphère propre au punk, et elle m'avait quelque peu manqué, je m'en rends compte désormais.