Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Le redémarrage post-viral m'avait semblé laborieux mais, après sa traditionnelle pause estivale, le Magasin 4 nous revient avec une saison automne-hiver 2022 du feu des dieux, et je ne compte certainement pas bouder mon plaisir. Evénement rare en ce vendredi d'automne : A Thousand Lost Civilizations, tourneur officiant habituellement dans la chapelle black metal, nous convie devant Dernière Volonté, projet de darkwave français tenu de main de maître par Geoffroy Delacroix depuis 1995. C'est d'ailleurs un projet ambitieux qui s'aligne derrière la tête d'affiche, avec pas moins de trois formations locales officiant dans des registres plus ou moins similaires mais tout aussi sombres en guise de soutien. La programmation est atypique et a le mérite de se tenir dans une salle et avec un organisateur qui me permettent d'espérer un public avec assez de recul sur les poses martiales. Par contre elle est costaude et, un vendredi, le couvre-feu sur le coup des 22h auquel se tient habituellement le M4 n'a pas lieu d'être. Le concert est prévu pour frôler minuit ; mauvaise pioche pour les provinciaux qui, comme l'ami Malice, visaient le dernier train pour rentrer. On verra qu'il n'aurait probablement pas vu le premier morceau s'il s'était entêté.

J'arrive juste à temps pour les dernières minutes du show de Necropop – très court du coup : probablement moins de 30 minutes. Je ne saurais donc en dire grand-chose, si ce n'est qu'il s'agit de darkwave tendance « electrogoth » (vous me pardonnerez ma faible maîtrise des classifications du style), et que le chanteur, la quarantaine en costume noir comme une bonne partie de l'audience, s'avère capable de très bons pas de danse. Tant pis, on se joindra à lui une autre fois, promis.

Double Darkness
20h55

Ambiance tout de suite moins enjouée avec la scénographie mi-anomie urbaine mi-journée déstockage aux catacombes pour Double Darkness. Cela dit j'attends beaucoup du groupe, dont le LP éponyme, sorti en août dernier, a pas mal rythmé mon activité d'écriture ces derniers jours. Celui-ci se compose donc quasi-essentiellement de deux voix, celles d'une jeune femme et d'un peï d'un certain âge qui se répondent sur fond de coldwave ionisante ; et c'est bon, très bon même ! Le travail à deux voix est très rodé dès un très groovy « Blinding Sanctuary » même si la dame est quelque peu en retrait. Son jeu de scène aussi se fait discret au début, mais les deux artistes trouveront au fur et à mesure comment occuper une scène que, du reste, je pense qu'ils connaissent bien ; je m'amuse vite à reconnaître les environs dans les images d'enfer urbain qui défilent en arrière-plan. Double Darnkess nous fera profiter de la totalité de son LP, dont un superbe « Fire » qui permet à la chanteuse de démontrer sa maîtrise vocale, mais aussi je pense quelques pistes inédites, pour lesquelles un guitariste finit par monter sur scène pour quelques riffs auxquels le mix n'a toutefois peut-être pas rendu honneur. Bref, un concert d'une musique froide portée par deux voix chaleureuses qui a eu un succès certain ; j'espère bien revoir Double Darkness sur les prochaines affiches de ce genre underground qui semble des plus vivants sous le béton bruxellois.

Luminance
22h

Le problème des musiques électroniques en live, c'est que l'aspect technique ne tolère aucune erreur et que la balance peut vite s'éterniser. Je me trouve donc un tabouret au bar et je m'y accroche, une porter locale pour la stabilité. Luminance, aussi un projet local, officie dans un registre plus synthpop inspiré des 80's qui pourrait être très pertinent pour danser sans arrière pensée, mais ça ne semble pas faire partie des habitudes au M4. C'est d'ailleurs quelque chose que j'avais déjà remarqué : les scènes electrogoth et darkwave bénéficient d'un public fidèle en Belgique, mais lors des concerts, il s'avère souvent difficile de le chauffer assez pour qu'il daigne bouger spontanément. Comme s'il était parfois dur de se défaire de cette image de froideur... Mais je m'égare. Ici c'est dommage, car Luminance a des qualités certaines, mais se glisse mal dans une ambiance un peu plus mélancolique. Le musicien solo derrière son clavier ne lésine pourtant pas non plus sur la mise en scène, avec deux Nazguls qui apparaissent soudainement derrière lui. Mais curieusement, j'y accroche moins.

Dernière Volonté
Théoriquement 23h05

Entre le démontage des câblages et les remerciements de Luminance au public, le retard commence à s'accumuler alors que la foule (hétéroclite, avec une belle proportion de gothiques vétérans plus ou moins lookés) se presse pour ne rien manquer de la tête d'affiche. Mais après quelques difficultés techniques qui ont confirmé que l'horaire théorique prenait l'eau, voici que résonnent les premières notes de « Au Travers Des Lauriers » qui suffisent amplement à mettre l'audience au garde-à-vous, les paroles sur les lèvres et la fleur au fusil. Delacroix prolongera même ce génial morceau, en partie au moins pour terminer la balance et réclamer plus de retours sur sa propre voix. Il est vrai qu'on a eu droit à quelques vilains larsens... On mixe rarement un chant clair au M4. Une fois le son stabilisé, le leader de la soirée comence à enchaîner les morceaux (« Le Quai De La Gare », « Corps Languissant », un splendide « L'Ombre Des Réverbères »), et je ne reviens pas de la présence qu'il arrive à incarner sur scène, alors qu'il est seul, debout face à son micro, avec seulement une batterie étrangement asymétrique pour l'accompagner. Delacroix, impérial et comme sûr de son triomphe, s'accompagne d'une caisse claire qu'il martèle de deux baguettes tenues d'une main tandis que son batteur s'escrime à la masse sur un tambour démesuré sans doute conçu pour mener des Orcs à la bataille. Le chanteur reste impassible mais parsème sa performance de quelques pas de danse, et d'ondulations du bassin qui ne laisseraient personne indifférent, toutes bannières confondues. Une gestuelle qui prend encore plus de sens quand le gaillard Geoffroy entame « Mon Mercenaire » ; il joue des codes virils et des attitudes martiales, comme seuls ceux qui au fond s'en moquent, et savent y instiller une sensualité certaine.

Le public l'a bien compris et s'en donne à cœur joie sans la moindre discipline, reprenant les refrains ou dansant le disco selon les goûts de chacun ; plutôt réceptif aux anciens morceaux, il ne se laisse pas pour autant aller au moindre temps mort. Je ne m'attendais pas à ça. Et c'est génial. Il y a du Laibach dans une performance de Dernière Volonté. J'y retrouve le même humour pince-sans-rire derrière ce bruit des bottes et cette impassibilité de façade, avec une touche de séduction à la française en plus. Mais je m'égare dans mes digressions et, retard accumulé n'aidant pas, je rejoins le calme nocturne un peu avant le clou du triomphe. A revivre, très clairement.

Crédit photo : Matthias