"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Seulement 3 ans après son album éponyme, revoilà déjà Rammstein en bacs, presque sans crier gare. 3 ans, ça fait long pour certains, mais pour un Rammstein qui avait su se faire désirer par le passé, c’est un évènement. Mais ne crions pas victoire trop vite, la dernière fois que Rammstein avait sorti un album aussi vite après son prédécesseur, ça s’était plutôt mal passé (RosenRot, en 2005). Mais n’oublions pas que ce dernier était constitué de chutes de studio de Reise, Reise (2004). Pourtant, des rumeurs avaient laissé entendre que Rammstein referait de même après Rammstein. Mais Zeit, 8ème album des Allemands, sera bien un album original. Et pour cause, les concerts ayant été mis en plan à cause du Covid, le groupe a eu tout le temps de composer. Voilà donc un nouvel album que l’on attendait pas aussi tôt. Et après un Rammstein qui n’avait pas forcément convaincu tout le monde (dans des proportions peut-être un peu plus favorables que pour Liebe Ist Für Alle Da (2009) malgré tout ?), Rammstein doit se remettre dans le droit chemin. En fédérant autour de quelque chose de plus fignolé que l’inégal éponyme ? Si la formation avait pris pour habitude de faire en sorte que chaque album ait plus ou moins son aura propre, il n’y avait pas forcément de thématique unique évidente (à part peut-être Reise, Reise). Zeit, le Temps, semble effectivement s’arrêter sur la thématique du temps qui passe, sous différents angles ("Zeit", "Zick Zack", "Deine Tränen", "Adieu", notablement), entre d’autres choses qui n’ont un peu rien à voir et, comme d’habitude chez Rammstein, quelques facéties sur lesquelles on va revenir en détail. Zeit évoque aussi la vieillesse, qui va bien sûr nous amener à une question inévitable, est-ce que Rammstein - surtout après trois albums de rang qui n’ont pas fait l’unanimité - ne commencerait-il pas sérieusement à subir le poids des ans ?
Pourtant, avec "Armee der Tristen", Rammstein montre d’emblée qu’il en a encore sous la semelle. Un opener flamboyant aux gimmicks fédérateurs et au sujet intéressant - un cercle de dépressifs, en gros - digne des meilleurs morceaux d’ouverture de la discographie du groupe, c’est déjà grandiose. Mais si Rammstein doit faiblir, ça serait plutôt sur un autre angle. Comme d’autres avant, pendant et après lui, Rammstein est tout de même un groupe de Metal « grand public », et ce n’est pas vraiment ici que l’on va retrouver du Metal-Indus qui tache méchamment comme à l’époque de Herzeleid et Sehnsucht. D’ailleurs, Zeit démarre finalement dans le plus grand des calmes, avec le très épuré mais appréciable morceau-titre ; et le plutôt sympathique "Schwarz", un très beau morceau mais aux guitares plus Rock et qui sonne plus comme un truc bien gogoth et 100% allemand comme Unheilig. C’est malgré tout convaincant pour peu qu’on aime bien quand Rammstein se pose, d’autant qu’il n’y a strictement rien à redire sur la forme (avec un album enregistré du côté de… Saint-Rémy-de-Provence, oui oui, comme le précédent d’ailleurs) ni sur le chant toujours incroyable de Till Lindemann. "Giftig", morceau plus enjoué et un brin éléctro, relance la machine mais ce n’est pas ici que l’on retrouvera un assaut à la "Mein Teil". A part peut-être pour "Angst", piste la plus lourde et acérée de Zeit, où l’on retrouve un Rammstein bien noir et qui sait encore pondre des compositions à la fois classiques mais suffisamment originales pour retenir l’attention et faire référence. Finalement, dans la lignée des deux opus précédents, Zeit est assez hétérogène dans toutes ses composantes, que ce soit dans l’esprit des morceaux ou leur qualité. Et les innovations sont plutôt rares, ou quand elles le sont vraiment, elles font grincer des dents, et notamment quand au détour d’un morceau sombre et épique comme "Lügen", la voix de Till est bien traficotée par… de l’autotune. Certes, pas réglé à 11 comme chez JuL, et il y en avait déjà un peu sur "Giftig" pour les plus attentifs. Mais étrangement, on se doute que c’est un choix artistique assumé et décalé et après quelques écoutes, ça ne dérange pas le moins du monde. Oui, Rammstein est toujours autant en réussite quand il fait n’importe quoi.
Sauf que… Zeit aligne quelques morceaux plus décalés et lollilol comme à l’accoutumée, et cette fois-ci c’est là que le bât blesse. "Zick Zack" est très fainéant et n’accroche que par son refrain, le plus rapide "OK" (pour… « Ohne Kondom », sans capote, quoi) rentre par une oreille et ressort par l’autre, "Dicke Titten" (pour « gros seins » (sic)) n’est pas en verve au niveau des riffs et son côté volontairement pompeux ne convainc pas. Sur ses morceaux censés être les plus efficaces, Zeit n'est pas un album franchement inspiré metalliquement parlant. On doit donc bien se rabattre sur les pistes les plus raffinées, mais le résultat est tout aussi hétérogène. Outre ceux que chacun devra apprécier à sa guise, il y a aussi une panne d’inspiration notamment pour un "Deine Tränen" plutôt joli mais très calqué sur des morceaux comme "Spieluhr" ou "Stein um Stein", on est bien loin de la réussite et de la surprise d’un "Puppe". Le bilan final n’est donc pas forcément très emballant, même si on finit par apprécier la globalité de Zeit sur la durée, tout en restant figé sur des morceaux de référence ("Armee der Tristen", "Schwarz", "Giftig", "Angst"). Mais pour une fois, ce sont les potentiels hits qui sont moins réussis, et laissent toute la place aux compositions plus posées et atmosphériques. C’est là qu’est tout le paradoxe de Zeit, Rammstein multiplie les morceaux plus lents et raffinés, mais c’est là qu’il se débrouille le mieux désormais. Autant dire qu’il va falloir savoir ce que vous vouliez y trouver, du Rammstein qui fait du gros Métale ou autre chose. Si aucun des deux ne vous va, peut-être que vous alliez trouver que Rammstein et Liebe Ist Für Alle Da n’étaient pas si mal que ça, et au moins ça sera ça de pris. Rammstein nous laisse donc sur un énième album inégal, où l’on devra extraire ce qu’il nous plaît pour garnir nos compilations, et hélas il n’y a pas vraiment plus à faire même si le groupe est loin d’être finito. Et puis… la clôture sur le très bon "Adieu" aux paroles très à-propos n’annoncerait-elle pas une retraite bienvenue ? Peut-être que ça serait finalement le bon moment, et une fois les tournées passées, nul doute que c’est ce qui alimentera les débats… à moins d’une suite qui réussisse cette fois-ci à mettre tout le monde d’accord. En bien ou en mal…
Tracklist de Zeit :
1. Armee der Tristen (3:26)
2. Zeit (5:22)
3. Schwarz (4:18)
4. Giftig (3:08)
5. Zick Zack (4:04)
6. OK (4:04)
7. Meine Tränen (3:57)
8. Angst (3:45)
9. Dicke Titten (3:39)
10. Lügen (3:50)
11. Adieu (4:38)