L'année 2020 vue par S.A.D.E
mercredi 27 janvier 2021Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Lorsqu’en mars 2020 je voyais pour la première fois Napalm Death en live (mieux vaut tard que jamais) pour une très intense séance de cardio, j’ignorais que cela allait être mon dernier concert avant…
Année noire, année blanche, tout le monde le sait, tout le monde le vit. Dans l'ensemble, le flou est total. Il a fallu (et va falloir) essayer de se satisfaire de ce qu’il nous reste, à savoir les sorties studios. Et de ce point de vue-là, 2020 est loin d’avoir été catastrophique ! Certains des albums que j’ai sélectionnés ici ont trouvé leur place dans notre bilan collectif, les autres sont des coups de cœur plus personnels. Et avant de rentrer dans le vif du sujet, voici une petite recension sauvage de sorties tout à fait méritantes : Xibalba, Regarde les hommes tomber, Grift, Hail Spirit Noir, Ovtrenoir, Intronaut, Dark Buddha Rising, AC/DC, Venom Prison, Igorrr, Envy, Mr Bungle, Napalm Death, Throane, Marilyn Manson, Satan, Ulcerate, Vile Creature...
Dernier point avant d'en terminer avec cette introduction : les classements sont établis sans ordre particulier, j'ai déjà eu suffisament de mal à extraire mes choix pour ne pas me torturer davantage en m'essayant à l'exercice impossible de la répartition ordinale.
Sélection albums
Imperial Triumphant – Alphaville
Dès la pochette, Alphaville impressionne. Les New Yorkais proposent une Metropolis d’or et de folie d’où l’homme a disparu, englouti par sa propre démesure. Et lorsqu’on lance la musique, le vertige est encore plus grand : le Black metal délivré par le trio, chaotique et étouffant, entremêlé d’éléments jazz tout aussi déroutants, est un infernal labyrinthe de riffs incompréhensibles et de rythmiques déstructurées. Il est facile de rester sur le carreau face à un brûlot de ce genre ; pourtant, si l’on parvient à s’y immerger, l’extase est absolue.
Depuis ses premiers EP, j’ai toujours eu un faible pour Ohhms. Tout dans la musique des Anglais me parle : la lourdeur doomesque, les accalmies post, la composition à tiroir et ce chant maîtrisé et expressif, tant sur les parties claires que les incursions plus hurlées. Et la cuvée 2020 proposée par le quintet est tout bonnement délicieuse : travaillant avec toujours autant de finesse et de bon goût chacun des titres, servi avec une production chaleureuse et précise, Close confirme tout le talent de ses géniteurs.
Thou & Emma Ruth Rundle – May Our Chambers Be Full
Sur le papier, on aurait pu croire à un album deux salles / deux ambiances. Dans les faits, cette collaboration entre la chanteuse folk multifacette et l’hyperactif combo de Louisiane est une merveille de dosage. Les deux entités stylistiques ne se marchent jamais dessus, elles s’emboîtent avec une facilité difficile à anticiper avant d’écouter. La lourdeur poisseuse côtoie la tendresse triste pour un résultat tout à fait réussi.
Rencontre entre les univers de trois légendes de la scène New-Yorkaise (Swans, Cop Shoot Cop et feu Unsane), ce premier effort d’Human Impact est une belle réussite. Malgré ses allures d’album un peu facile, entre noise rock et indus, il s'y cache une profondeur et une richesse qui n’apparaissent pas forcément aux premières écoutes. Un voyage dans une urbanité désenchantée à expérimenter de nuit.
Oranssi Pazuzu – Mestarin kynsi
S’éloignant toujours plus de l’étiquette Black metal (excepté pour le chant) et s’enfonçant toujours plus loin dans l’expérimentation psychédélique, Oranssi Pazuzu signe avec ce cinquième album une des œuvres les plus étranges et fascinantes de cette année. On navigue à vue dans un rituel aux conséquences incertaines, happé par des boucles et volutes (que l’on peine à appeler riff) aussi hypnotisant qu’ardus.
Avant la chronique du sieur Di Sab dans nos pages, je n’avais jamais entendu parler de Slift. Grave manquement tant leurs sorties précédentes brillaient déjà par leur qualité. Mais avec ce deuxième long format, les Toulousains poussent encore plus loin leur propension à vous emporter dans un voyage cosmique aux confins d’une palanquée de genres. Comme il est impossible de résumer en quelques lignes toute la richesse et l’intelligence musicale que renferme Ummon, un seul conseil : foncez !
Black Magnet – Hallucination Scene
Passerelle tendue droit vers l’Indus des années 90, ce premier album de Black Magnet a été une véritable claque. Tout y est intelligemment amené pour que l’hommage ne sombre pas dans la copie douteuse. Mais surtout, c’est absolument irrésistible : énergique, nerveux, sombre et varié sans perdre en cohérence, Hallucination Scene a tout pour lui. En moins de trente minutes, Black Magnet impose son premier album comme une des meilleures sorties de l’année.
Dans un savoureux mélange entre sludge, doom et black metal, Lares a frappé fort avec son premier album. Sombre et puissant, avec un brin de psychédélisme noir, Towards Nothingness s’avère fascinant d’un bout à l’autre. Et petite mention à l’artwork, l’un des plus réussis de l’année pour moi.
Golden Ashes – In The Lugubrious Silence Of Eternal Night
Fou furieux hyperactif et sur productif (il a quand même, si mes comptes sont justes, sorti cette année quatre albums en plus de celui dont il est question ici), Maurice de Jong nous a proposé en 2020 le quatrième album de son projet de Black Metal symphonique. Mais, comme toujours, le Néerlandais a injecté tout son savoir-faire bruitiste dans cette étiquette. Résultat ? La splendeur de mélodies célestes alliées au chaos étouffant propre à l’univers de Mories. Une traversée entre ténèbres et lumières aussi extatique qu’inquiétante, recommandée aux personnes averties.
Evoquant les ambiances des meilleures bandes-originales d’Ennio Morricone en leur donnant une teinte polaire, le tout sur fond de metal prog aux inspirations tribales, Onségen Ensemble propose avec son troisième album quelque chose de tout à fait inédit. Une dizaine de musiciens a participé à l’élaboration de cette œuvre, Onségen Ensemble se présentant davantage sous la forme d’un collectif que d’un groupe au line-up fixe. D’où une richesse musicale impressionnante, avec des cuivres, des chœurs et une charpente plus conventionnelle batterie/basse/guitare. Fear est un des bijoux de cette année.
Sélection découverte
Rencontre en des membres de In Mourning et Ahab, Svärd a sorti cette année son premier EP et il est tout à fait réjouissant. Avec un style qu’on pourrait rapprocher de Mastodon, avec un ton un peu plus rock’n’roll, les cinq titres de The Rift donnent immédiatement la bougeotte.
Crystal Spiders – Molt
Basse ronflante et chant clair féminin : l’accueil de ce premier album de Crystal Spiders est aussi simple que réussi. Et tout ce qui suit est de la même facture. Le duo américain nous propose un album plein d’un feeling southern, s’aventurant assez peu sur le versant witchy qui accompagne souvent la combinaison doom/chant féminin. Il se dégage quelque chose de très spontané, assez rock’n’roll ici aussi.
Avec son doom/stoner à l’efficacité redoutable, Somnus Throne a montré avec son premier album qu’il a tout compris. Du riffing à la production en passant par la construction des titres, tout sur cet éponyme respire la maîtrise et le savoir-faire. Aucune révolution dans le genre n’est proposée, simplement une synthèse intelligente et solide de ce qui se fait de mieux dans le domaine.
Déceptions
Déluge – Aego Templo
J’avais beaucoup aimé le premier album de Déluge : avec ses murs de son et sa pluie battante, il donnait à voir de véritable aperçu de son patronyme. Pour ce deuxième effort en revanche… Le groupe a voulu élargir son champ d’action en incorporant des voix claires, des passages plus postcore/post-rock et pour moi ça ne fonctionne pas. Non pas que les idées soient mauvaises en tant que telles, c’est sur la réalisation que ça pêche. Résultat ? Des passages edgy extrêmement agaçants et plus grand-chose de ce qui faisait la force de leur première sortie.
Anaal Nathrakh – Endarkenment
J’y ai cru pour cette fois-ci. Le temps d’un titre. Mais très vite, le duo anglais se vautre malheureusement une fois encore dans l’auto-plagiat désespérant. Les gimmicks sont toujours les mêmes, la violence visée n’est jamais atteinte et… C’est tout. Ça rentre par une oreille, ressort par l’autre et rien ne reste.
Greg Puciato – Child Soldier : Creator of God
Avec son immense versatilité, je me demandais vers quel horizon se dirigerait l’ancien chanteur de TDEP désormais en solo. La réponse ? Un peu partout. Et c’est bien ce dont souffre Child Soldier : Creator of God : un éparpillement dans toutes les directions sans vraiment de cohérence. S’il y a quand même d’excellents morceaux, l’ensemble s’écoute à un patchwork aux coutures grossières dont on peine à comprendre le sens.
Hors Metal
J’ai toujours un peu de retard sur les sorties hors-metal, donc mes écoutes ne collent pas forcément avec l’année en cours. Typiquement, je me suis souvenu que Ce monde est cruel de Vald était sorti il y a deux ans lorsque son nouvel album a paru en 2020. Tout ça pour justifier cette sélection un poil raccourcie, mais non moins savoureuse.
Korine – The Night We Raise
De la bonne humeur tout ce qu’il y a de plus typé années 80 et qui donne envie de danser n’importe comment. Je vous mets au défi de ne pas être hanté par la ligne de claviers de Fate dès la première écoute.
Mochat Doma - Monument
Toujours dans le registre du revival 80’s, Molchat Doma, avec sa touche post-soviétique, a beaucoup fait parler de lui. Et c’est tout à fait mérité : avec ses mélodies immédiates, sa personnalité forte et son sens du refrain, le trio a tout pour lui.
John Zorn – Baphomet
En lisant le bilan de Sleap, je me suis souvenu que je m’étais passé quelque fois ce Baphomet en début d’année. L’occasion de le réécouter de me rappeler que personne ne dépasse le maître Zorn en termes de compositions folles et hallucinées. Comme d’hab’, il en a sorti d’autres dans l’année et comme d’hab’, j’ai pas eu le temps de le suivre…
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