"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Quoi qu’il arrive à The Great Old Ones, on est à peu près sûrs qu’il y aura toujours quelque chose qui ne bougera jamais : Howard Phillips Lovecraft. Le 6ème membre virtuel du groupe, dont le portrait apparaît en concert et même sur certains montages promo. Le défunt écrivain fantastique américain sera toujours une figure du groupe, groupe qui lui a dédié l’ensemble de son œuvre depuis ses débuts. Malgré les remous possibles, The Great Old Ones sera toujours un témoin de l’œuvre de Lovecraft. Et des remous il y en a eu, notamment avec l’annonce l’an dernier du départ de Jeff Grimal, illustrateur et membre emblématique du groupe bordelais. Il laisse désormais Benjamin Guerry, malgré tout compositeur principal et parolier, seul membre d’origine (même si le batteur Léo Isnard était présent dès le premier album Al Azif (2012)). Mais il y a un autre membre qui a toujours été là, Lovecraft, et tant que son œuvre peut être racontée, The Great Old Ones peut perdurer. Avec deux nouveaux membres, le bassiste Benoît Claus (Gorod) et le guitariste Alexandre Rouleau, The Great Old Ones nous propose ici son 4ème album, encore et toujours Lovecraftien jusqu’au bout des ongles, bien évidemment… on aura directement coché le nom de Nyarlathotep dès la parution de la tracklist de Cosmicism. Avec Sulphur Aeon de l’autre côté du Rhin, The Great Old Ones est rapidement devenu un emblème du Metal Lovecraftien. Et n’a jamais déçu depuis ses débuts, dans son domaine propre qu’est le Post-Black Metal un brin atmosphérique. Al Azif et Tekeli-Li (2014) étaient déjà des réussites, et EOD - A Tale Of Dark Legacy (2017) avait enfoncé le clou, tout en montrant un The Great Old Ones qui évoluait un peu, densifiant son propos en le rendant un peu plus lourd, agressif et monumental, mais toujours pétri d’ambiances 100% Lovecraftiennes. Déjà une référence, qui ne demande qu’à sortir des albums encore meilleurs à chaque fois et pondre un véritable manifeste. Restant donc sur un excellent EOD - A Tale Of Dark Legacy, The Great Old Ones doit continuer à avancer, ou plutôt à creuser, toujours plus profond dans les abysses, pour y trouver des lieux et créatures morbides et y puiser son inspiration.
Après EOD - A Tale Of Dark Legacy qui relevait le défi d’inventer une séquelle au « Cauchemar d’Innsmouth », Cosmicism sera plus simplement inspiré par la philosophie du Cosmicisme, et il en découlera un nouvel hommage à l’ensemble de l’œuvre de H.P. Lovecraft. Le risque de tomber dans le cliché et la caricature n’est pas loin, un pas qu’a malheureusement franchi Sulphur Aeon l’an dernier avec son décevant The Scythe Of Cosmic Chaos. The Great Old Ones, lui, a plutôt choisi de progresser dans la continuité, et va donc capitaliser sur ce qu’il avait fait pour EOD - A Tale Of Dark Legacy. On se souvient déjà des morceaux énormes et percutants qu’étaient "The Shadow Over Innsmouth" et "When the Stars Align", les deux premiers vrais « tubes » de The Great Old Ones à mon sens, et ça ne pouvait pas mieux tomber car la majorité de Cosmicism va se baser là-dessus. Le groupe bordelais ou plutôt de R’lyeh s’éloigne du pur Post-Black à trémolos épiques, qui reste tout de même présent, pour définitivement prendre une voie plus variée et surtout plus rythmée, pour bien appuyer le côté colossal et monumental sorti tout droit de l’imaginaire de Lovecraft. La production s’éclaircit encore, elle est un chouïa plus propre que celle de EOD - A Tale Of Dark Legacy - même si attention, nous avons toujours affaire à un Black-Metal très rocailleux - et The Great Old Ones bénéficie ici de sa meilleure force de frappe. Jeff Grimal n’étant plus de la partie, Benjamin Guerry reprend l’intégralité des vocaux, cela ne constituera pas un énorme changement mais ses vocaux sont tout de même un peu plus rauques dans l’ensemble, se rapprochant même parfois des vocalises de… M. de Sulphur Aeon. Et tout ceci mis bout à bout va faire de Cosmicism l’album le plus mordant, et le plus mémorable, de The Great Old Ones. Qui commence avec une habituelle et belle intro, "Cosmic Depths", pour nous remettre dans l’ambiance, avant que "The Omniscient" ne débute réellement et doucement Cosmicism avec des compositions archi épiques, tout en trémolos. Mais quelques rythmiques bien senties et des patterns de batterie percutants se font entendre, avant de laisser place à un somptueux break atmosphérique, suivi de ce que j’ai envie de déjà déclarer moment le plus jouissif de l’album, voire du Metal de 2019 tout entier, la reprise rythmique imparable et implacable à 4’52. Vlan. C’est dit, The Great Old Ones est inspiré et accompagné de créatures Lovecraftiennes, va méchamment casser la baraque.
"The Omniscient" est déjà dans son ensemble un morceau sensationnel, tout The Great Old Ones y est déjà, et lance Cosmicism en fanfare. Un album qui va explorer tout le spectre musical du groupe et va l’amener à un nouveau niveau, se posant souvent comme une démonstration de sa force acquise depuis dix ans maintenant. Mais The Great Old Ones n’en demeure pas moins « atmosphérique » à sa manière, un morceau très mélodique comme "Of Dementia", d’ailleurs parsemé de vocaux clairs/grégoriens, est là pour le prouver, mais le groupe atteint ici un certain niveau d’intensité grâce à un appui rythmique constant qui maintient le côté massif de la musique proposée. Avec des compositions rythmiques très inspirées et toujours efficaces, The Great Old Ones n’a jamais été aussi accrocheur. "Lost Carcosa" poursuit cet effort, et on se laisse facilement emporter à la fois par ces trémolos gracieux et ces assauts rythmiques écrasants, les vocaux agressifs apportant encore une touche ténébreuse supplémentaire. Mais ce n’est pas le morceau le plus mémorable de l’album à ce stade, car le meilleur est encore à venir. Déjà avec ce pavé qu’est "A Thousand Young", presque 12 minutes au compteur, ce qui le place entre "Behind the Mountains" (18 minutes, Tekeli-Li) et "Mare Infinitum" (11 minutes, EOD - A Tale Of Dark Legacy) au rang des plus longues œuvres de The Great Old Ones. Et le jeu en vaut la chandelle, même sur un morceau aussi long le groupe se montre très accrocheur, car sur l’ensemble de cette piste l’assise rythmique est juste ravageuse, avec des accès de riffs rangés mortels, rajoutant de l’intensité à ce morceau une nouvelle fois très épique (le début est savoureux et les montées de trémolos ici et là sont formidables - on aura même le droit à un surprenant solo). La dernière partie est d’une epicness fabuleuse, et embraye, tout en contrastes, sur le morceau le plus court de la carrière de The Great Old Ones qu’est "Dreams of Nuclear Chaos", même plus court que "When the Stars Align". Et nous allons avoir affaire, justement, à un morceau encore plus expéditif que ne l’était ledit "When the Stars Align". "Dreams of Nuclear Chaos" est juste le morceau le plus bourrin composé par The Great Old Ones, terrifiant et terrassant, blastant et chaotique, le "The Devil’s Gorge" du groupe français, un coup-de-poing diabolique aux riffs tranchants, qui montre que le groupe peut aussi faire très mal, tout autant qu’il peut garder ses atmosphères sous le coude, le morceau finissant par partir dans une volée de trémolos lumineux avant un final supermassif. Un enchaînement tour-de-force, béni par la grâce et la puissance des Grands Anciens.
Et il fallait une conclusion à la mesure de l’univers sonore 666% Lovecraftien développé ici, c’est ainsi que Cosmicism va se clôturer avec "Nyarlathotep", nom de morceau là aussi complètement Lovecraftien mais l’hommage n’en sera que plus remarquable. Voici ce qui est la pièce la plus impressionnante et monumentale de The Great Old Ones, un morceau mid-tempo particulièrement lancinant qui aligne jusqu’à la transe mystique des rythmiques colossales, un chant possédé et des mélodies lumineuses, une montée jubilatoire des abysses jusqu’à la lumière, une piste plus épique que jamais pour The Great Old Ones qui fera date dans sa discographie. Il n’en fallait pas plus pour conclure ce qui est à ce jour, et largement, la meilleure œuvre de The Great Old Ones. Pas encore son chef-d’œuvre définitif car Cosmicism est avant tout l’aboutissement, sans réelle surprise, de ce que le groupe fait depuis Al Azif tout en validant la légère évolution entamée par EOD - A Tale Of Dark Legacy. Il subsiste encore quelques longueurs mais le groupe a ici livré ses meilleures compositions et surtout ses meilleurs arrangements. The Great Old Ones a su dépasser le cadre du Post-Black-Atmo-à-trémolos pour proposer quelque chose de plus personnel, se trouvant un cadre rythmique très travaillé qui a amené de l’intensité et des accroches aux atmosphères Lovecraftiennes. Il en résulte un album assez monstrueux, dans le bon sens Lovecraftien du terme, gorgé de moments forts qui resteront gravés dans la discographie du groupe et dans les oreilles des auditeurs, pour cette fin d’année 2019 mais aussi au-delà, en attendant un successeur qui on l’espère sera le manifeste définitif du Metal Lovecraftien. Ayant mieux géré son évolution que Sulphur Aeon, The Great Old Ones impressionne, et a livré un Cosmicism digne des adjectifs que l’on emploie en général pour décrire l’œuvre de H.P. Lovecraft et l’aura qui s’en dégage. J’avais un peu peur après le départ de Jeff Grimal, il n’en est rien, The Great Old Ones est une entité qui a atteint un sacré niveau dans son domaine, toujours sous la coupe de son mentor, son sixième membre : Howard Phillips Lovecraft.
Tracklist de Cosmicism :
1. Cosmic Depths (1:47)
2. The Omniscient (9:26)
3. Of Dementia (6:16)
4. Lost Carcosa (8:57)
5. A Thousand Young (11:44)
6. Dreams of the Nuclear Chaos (4:27)
7. Nyarlathotep (7:29)